LES SEPT TRAVAUX DE SARKOZY
par Denis Sieffert
Voilà que, depuis quelques jours, nous sommes invités à nous extasier sur le dernier tour de force de Nicolas Sarkozy. Après les prostituées, les sans-papiers, les immigrés, les condamnés à la double peine, les chauffards, et bien sûr, les petits délinquants, notre ministre herculéen de l’Intérieur vient d’accomplir un nouvel exploit : la création d’une instance représentative de l’islam en France. « C’est une chance pour l’intégration de l’islam », a-t-il lui-même commenté. En soi, l’expression « intégration de l’islam » laisse songeur. Faut-il intégrer une religion ? Et, d’ailleurs, l’intégrer à quoi ? Pour nous, ce sont les humains dont il s’agit de faciliter l’intégration dans nos sociétés, et cela, quelles que soient leurs religions et leurs philosophies, dès lors qu’elles sont compatibles avec les valeurs de notre vie sociale. L’islam, pas davantage d’ailleurs que le judaïsme, le bouddhisme ou le christianisme, n’a donc besoin d’être « intégré ». Sans doute y a-t-il des musulmans qui ont de la peine à trouver leur place dans la France du troisième millénaire. Mais il n’est pas sûr que leur religion soit le problème. Surtout lorsqu’ils sont, en même temps que musulmans, chômeurs, frères ou fils de chômeurs, et qu’ils vivent dans des cités depuis longtemps abandonnées par notre société et toute espèce de service public.
Le dernier triomphe sarkozien ressemble en fait aux six autres travaux de notre nouvel Hercule de la place Beauvau : il s’agit avant tout de déplacer le problème pour, au propre comme au figuré, cacher la misère. Car, au fond, que s’est-il passé le 20 décembre au château de Nainville-les Roches (Yvelines), où le ministre avait réuni dans un huis clos au finish les responsables des trois grandes fédérations de l’islam en France ? On y a ratifié un accord de cartel, un partage des postes de direction au sein d’un futur Conseil français du culte musulman. Les responsables de la Mosquée de Paris, réputés proches du gouvernement algérien, de la Fédération nationale des musulmans de France, notoirement liés au royaume marocain, et de l’Union des organisations islamiques de France, inspirés par les Frères musulmans, s’y sont taillé la part du lion. Est-il certain que cet accord au sommet va bouleverser nos banlieues ? Certes, des élections viendront consacrer le processus, en principe au mois de mars. Mais, pour l’essentiel, il n’échappera à personne que les postes importants ont par avance été attribués.
Plus encore, ce montage politico-diplomatique, déjà contesté par le Collectif des musulmans de France, très implanté chez les jeunes, risque d’apparaître comme une fiction. Depuis Pierre Joxe en 1990, en passant par Jean-Pierre Chevènement en 1997, et jusqu’à Nicolas Sarkozy aujourd’hui, tous les ministres de l’Intérieur ont partagé cette obsession de donner au gouvernement de la République un interlocuteur unique émanant de la communauté musulmane. Si l’opération semble cette fois avoir abouti, il n’est pas sûr que la représentativité de la nouvelle instance confère une vraie légitimité à ceux qui se targueront demain d’être les porte-parole « des musulmans de France ». Il est évident en revanche que l’État feindra d’y croire dur comme fer. Au risque de produire une institution fantoche, et de jeter un peu plus dans la marginalité tous ceux qui ne s’y reconnaîtront pas. Ou bien, de créer un monopole de la parole qui ne rend pas compte de la diversité d’une communauté. L’exemple du Crif, qui déploie toute son énergie à faire accroire que toute la communauté juive marche comme un seul soldat derrière le général Sharon, devrait nous inciter à la prudence. Mais qu’importe ! On aura insidieusement pointé l’islam comme un problème en soi. On aura relégué une grille de lecture sociale qui, mieux que toute autre, permet pourtant de comprendre les difficultés de jeunes issus de l’immigration maghrébine, lesquels ne sont pas tous musulmans (ou ne se définissent pas essentiellement comme tels). On aura aussi détourné le regard pour ne pas voir les grands problèmes internationaux qui créent un si fort sentiment d’injustice dans les banlieues, et démonétisent toute référence à une quelconque notion de droit. En prenant le risque d’hypertrophier le facteur religieux, on adhère mezza voce au principe du choc des civilisations. Une lutte efficace contre le chômage et la précarité, un engagement clair contre la guerre d’Irak et en faveur des droits nationaux palestiniens, auraient sans doute plus de vertus dans les banlieues que l’édifice politicien qui se construit sous nos yeux. Mais, évidemment, tout cela supposerait une autre politique, et une autre vision du monde. L’idée est à ce point éloignée de notre sombre réalité qu’il ne serait guère raisonnable d’en faire le voeu pour 2003. C’est pourquoi, au nom de toute l’équipe de Politis, je préfère former pour nos lecteurs des voeux plus traditionnels de bonheur personnel et de santé (et de bonne lecture de Politis). Ceux-là sont modestes, mais ils sont sincères. Des voeux de paix et de justice au moment même où George W. Bush s’apprête à embarquer le monde dans une nouvelle aventure meurtrière seraient parfaitement déplacés.
Sources : POLITIS
Posté par Adriana Evangelizt