LES VILLEPIN OU LA TENTATION DU PAPIER GLACE
Les Villepin ou la tentation du papier glacé
par Vanessa SCHNEIDER
Tout à l'élaboration de son image de modeste serviteur de l'Etat, le Premier ministre est débordé dans sa retenue par une épouse mondaine et des enfants jets-setteurs, mannequins et avides de lumière. Portrait d'une famille de la haute.
Costumes sombres dans les bureaux, paillettes et fashion dans les étages. Verbe contenu devant les micros et fiestas au fond du jardin. Depuis l'arrivée de la famille Villepin, l'hôtel Matignon vit une petite révolution. Quand le père travaille son image de modeste serviteur de l'Etat, remise smokings et saillies poétiques comme autant d'accessoires inadaptés à sa «bataille pour l'emploi», le reste de sa maisonnée envahit bruyamment les couloirs de Matignon et les pages people des magazines.
Il y a trois semaines, Marie, l'aînée de 19 ans, posait dans Elle sur six pages. Des photos prises par le photographe des stars, Gilles Bensimon, et déjà parues dans le Elle américain. Visiblement mal à l'aise pour gérer cette intrusion glamour dans la construction de l'image du Premier ministre, l'entourage de ce dernier invoque alors une embrouille médiatique. La jeune fille n'aurait jamais donné son accord pour une publication en France des clichés... Quelques jours plus tard, son petit frère Arthur, 17 ans, a également défrayé la chronique. Pris dans une bagarre sur un trottoir du XVIe arrondissement, le blouson doré a dégainé un peu vite son identité lorsque les forces de l'ordre sont arrivées. Signe de malaise, Matignon contredit là encore la version des témoins en expliquant que, le garçon étant mineur, c'est le policier qui a pris l'initiative de téléphoner au Premier ministre pour lui demander s'il voulait porter plainte à la place de son fils.
Outre le chef du gouvernement, il y a donc chez les Villepin une modeuse jet-setteuse, un ado beau gosse et turbulent, et une épouse un tantinet mondaine. Seule Victoire, 15 ans, la cadette des trois enfants, ne fait pas parler d'elle. Sa politesse et sa discrétion sont appréciées dans les couloirs de la rue de Varenne, où l'on fusille bien volontiers cette «famille royale» arrivée sous les lambris de Matignon en juin dernier.
Les Galouzeau de Villepin appartiennent à la bonne société parisienne. Grand appartement avenue Niel, dans le XVIIe arrondissement, écoles privées pour les enfants, fréquentation des rallyes les plus chic. Comme il se doit, l'aînée, Marie, a fait son entrée dans le monde en 2001 au bal des débutantes, soirée en robe longue pour filles de bonnes familles, à particule de préférence. Dominique et Marie-Laure se sont connus dans un bus parisien en 1981. Elle avait alors 19 ans, lui 28. Depuis, elle élève leurs enfants, et a suivi son époux dans les résidences de France à Washington et New Delhi, consacrant son temps libre à la reliure et à la dorure. Ses amis la décrivent comme «très cultivée, éprise de littérature et de peinture». Elle organise des dîners avec des amis écrivains et philosophes, comme Jorge Semprun, Christine Orban ou Luc Ferry. Surtout pas de politiques, jugés «assommants» par son mari. «Elle sait tenir son rang», résume un de ses proches. A leur retour en France en 1992, le couple renoue rapidement avec les occupations de leur milieu : vernissages, cocktails, avant-premières. Les mondanités s'accélèrent lorsque Dominique devient ministre en 2002. En janvier dernier, le couple pose avec Maryvonne Pinault (la femme de l'homme d'affaires François Pinault, patron du groupe PPR) à une soirée en faveur de la recherche contre le cancer. En février, ils sont photographiés dans une boîte de nuit pour la soirée de lancement de Cell-Box, l'entreprise de batteries de téléphone portable que leur fille Marie a montée avec un copain.
Bernadette Chirac appelait Villepin «le monsieur assis dans le fauteuil Louis XV»
Depuis qu'il est à Matignon, Dominique de Villepin ne sort quasiment plus. A en croire son entourage, il serait devenu un véritable moine. Du travail, du travail, rien que du travail et s'il monte dîner en famille une petite heure le soir c'est pour redescendre dans son bureau à 22 heures et se remettre à ses dossiers avec son directeur de cabinet, Pierre Mongin, et son conseiller, Bruno Le Maire. Son épouse, en revanche, figure toujours en bonne place dans l'avant-dernière page de Paris Match, intitulée «la Vie parisienne». En juillet dernier, on la voit ainsi poser avec le mondain Henry-Jean Servat à une représentation de la Traviata au Sénat. Elle emmène ses enfants au Prix de l'Arc de triomphe, où elle retrouve son amie Betty Lagardère, ou au Racing, le très select club de sport du bois de Boulogne où un chauffeur de Matignon la conduit tous les jours pour lui permettre de faire ses longueurs de piscine. Le personnel la voit ainsi passer, assise à l'arrière de sa voiture, les mains plongées dans les poils d'un splendide chat angora.
C'est donc tout naturellement que les deux aînés suivent les traces de leur mère. Mi-étudiante (en économie à Dauphine), mi-mannequin, mi-business woman, apprentie comédienne (un petit rôle dans la Bûche de Danièle Thomson), assurément jet-set, Marie, grande liane blonde de 1,80 m, s'affichait déjà il y a deux ans dans Paris Match vêtue d'une tenue Ungaro, un ami de sa mère. L'année dernière, elle portait la robe de mariée du défilé Franck Sorbier. Quand elle est à Paris, elle sort au Baron, boîte hype du moment, où on la décrit plutôt comme «une gentille fille». Elève en classe de terminale, Arthur a, lui aussi, tâté le mannequinat. Choisi par une marque de prêt-à-porter italienne, il a fait ses débuts l'année dernière sur un podium à Milan. Et a posé pour le magazine Optimum. «C'est juste pour s'amuser, ça les fait marrer de faire ça», assure un ami. «Il n'y a aucune visée familiale de mise en scène sur le plan esthétique, ajoute le même. La stratégie du papier glacé serait de toute façon une erreur.» Le Premier ministre, qui a si bien ciselé, pour le compte de Jacques Chirac, la caricature d'Edouard Balladur en aristo juché sur sa chaise à porteurs, sait combien il serait facile, en campagne présidentielle, de stigmatiser ces Galouzeau au port altier attirés par les lumières du monde. Dominique de Villepin lui-même, que Bernadette Chirac appelait «le monsieur assis dans le fauteuil Louis XV», doit gommer cet aspect de sa personnalité s'il veut être candidat à la présidentielle de 2007. En voyage à Rabat au Maroc il y a quinze jours, soucieux de jouer la carte de la sobriété, il a ainsi refusé de dire dans quel quartier (résidentiel) il a vécu ni quelle école (chic) il a fréquentée de crainte d'alimenter les chroniques sur son origine sociale favorisée. «J'ai servi l'Etat pendant toute ma vie dans la discrétion la plus totale et surtout dans le bonheur de cette discrétion», a-t-il fait mine de s'emporter auprès de l'écrivain Daniel Rondeau (1) après la parution des photos de mode de sa fille. «Je suis entré dans la lumière sans l'avoir choisi», ajoutait-il jeudi dernier lors de l'émission télévisée A vous de juger sur France 2. Et de préciser, alors qu'on lui montrait des images de son footing avec son fils sur la plage de La Baule début septembre, bronzage impeccable et muscles dessinés : «Je ne me suis jamais prêté à la politique people, je n'ai jamais parlé à la presse people.» Tout à l'élaboration de sa nouvelle image, le Premier ministre oublie un peu vite qu'il a comme tous les hommes politiques de premier plan posé avec sa femme pour des photos intimes dans Paris Match parues quelques jours après sa nomination. Le sujet est sensible à Matignon où l'on se contente d'un : «La famille, c'est privé.» Les proches du Premier ministre sont briefés depuis quelques années déjà : le prévenir dès qu'un journaliste les interroge et rester le plus langue de bois possible.
Dans les couloirs de Matignon, en revanche, les langues se délient. Marie et son frère Arthur, fils adoré du Premier ministre qui l'a nommé ainsi en hommage à son poète préféré, Rimbaud, y sont considérés comme des «enfants trop gâtés». Boissons (Coca Light le plus souvent) commandées au milieu de la nuit, appels aux agents en service pour changer les draps des lits pour les amis, les jeunes Villepin et leurs camarades de jeu semblent avoir tendance à se croire dans la suite d'un palace plutôt que dans une résidence gouvernementale. Il faut dire que le 57, rue de Varenne n'a pas tellement l'habitude des ados. Fleur Raffarin avait préféré l'anonymat de Londres pour poursuivre tranquillement ses études plutôt que d'avoir à porter le statut de «fille de Premier ministre». Lionel Jospin avait gardé son appartement de la rue du Regard où son fils habitait et Alain Juppé avait seulement sa petite dernière à ses côtés.
Les chauffeurs sont priés de ne plus lire le journal dans la cour
Après la discrète Anne-Marie Raffarin, le style Marie-Laure, la mère, a également surpris. Habituée au luxe des ambassades et au service cinq étoiles, elle prend son rôle de maîtresse de maison très au sérieux à Matignon. Trop, selon certains. Le premier acte de la femme du chef de gouvernement a été de se débarrasser au plus vite du mobilier choisi par le couple des picto-charentais Raffarin : «Ça ne plaira pas à mon mari.» A propos de deux fauteuils installés dans un vestibule, elle lâche cette phrase : «Vous n'avez qu'à les mettre chez moi.» Le possessif a heurté quelques oreilles. Après s'être occupée des travaux pour améliorer le confort du logis, comme cela se fait à chaque changement de Premier ministre, Marie-Laure s'est mis en tête de s'occuper des dépendances. «De quoi avez-vous besoin ?» lance-t-elle un jour aux journalistes présents dans la salle de presse. Après son passage, des ouvriers viendront pour lessiver les murs. Elle a ensuite décidé de s'occuper de la courette, encombrée de morceaux de bois et qui «ne ressemblait plus à rien». Il est désormais interdit de jeter des mégots de cigarettes sur le gravillon. Les chauffeurs sont également priés de ne plus lire le journal dans la cour. Et surtout pas les magazines dans les pages desquels les aventures de la petite famille sont de plus en plus souvent relatées.
(1) Le Monde du 4 octobre.
Sources : LIBERATION
Posté par Adriana Evangelizt