KLASFERLD : QUELLE HISTOIRE !
Nous présentons ici un article de Bernard Lallement, proche de Sartre, avec lequel il a fondé le quotidien français Libération, Bernard Lallement a été un témoin privilégié de la vie du philosophe. Il lui a consacré deux ouvrages, dont une biographie à l'occasion du centenaire de sa naissance, en juin 2005.
Ecrivain et critique littéraire, il commente sur son blog l'actualité culturelle et politique en se demandant ce que Sartre en aurait lui-même pensé.
KLARSFELD : QUELLE HISTOIRE !
par Bernard Lallement
Jacques Chirac avait annoncé, le 9 décembre, la création d’une « mission pluraliste » sur le rôle du parlement face à l’histoire présidée par un fidèle du chef de l’Etat, Jean-Louis Debré. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire du ministre de l’Intérieur qui, ne voulant pas laisser à l’Elysée le monopole des initiatives sur des sujets sensibles, a souhaité nommer sa propre commission dans le but « d’accompagner la réflexion » du président de l'Assemblée nationale.
Au moins aurions-nous pu espérer la désignation, à sa tête, d’un historien de renom à la réputation incontestable. Mais les intrigues ont pris le pas sur la raison et Nicolas Sarkozy a préféré persévérer sur les layons de la polémique, qui semble être devenue son environnement quotidien, en faisant choix de l’avocat Arno Klarsfeld.
Effectivement, à peine installé dans ses fonctions, ce dernier a dû subir une attaque des plus inattendues, celle du MRAP. Son secrétaire général, Mouloud Aounit, a contesté « sa compétence et sa légitimité » en précisant : « Peut-on faire confiance dans ce domaine à un défenseur de la colonisation israélienne qui, après avoir pris la nationalité israélienne, a servi volontairement dans une unité de gardes-frontières de l'armée israélienne et a participé délibérément à l'humiliation et à la répression de la population palestinienne ? »
Mouloud Aounit fait référence à l’engagement d’Arno Klarsfeld au sein de Tsahal, au titre de son service militaire en 2003.
La réponse ne s’est pas fait attendre. Mardi, au 13/14 de France Inter, l’avocat lui a répliqué : « M. Aounit est peut-être sur la même ligne du président iranien qui estime que les juifs n'ont rien à faire au Moyen-Orient. »
Comme on peut le constater, la sérénité et la mesure qu'il sied à toute étude sur un sujet brûlant est loin d’être à l’ordre du jour et augure mal de conclusions qui emporteraient tous les suffrages.
Ne pas confondre la morale et les moeurs
Mais au-delà de ces agitations politiciennes, faut-il instaurer des commissions pour rappeler aux historiens comment décrypter l’histoire ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Lorsque Arno Klarsfeld souhaite voir la loi reconnaître, à la fois, « les bienfaits et les méfaits de la colonisation » il démontre non seulement qu’il n’est nullement historien mais, plus grave, qu’il n’entend rien à l’histoire.
Ecrire l’histoire n’est, certes pas, chose aisée. Mais vouloir transformer l’historien en comptable du temps, alignant des bilans pour en extraire d’improbables soldes est, tout bonnement, un non sens. Tel évènement peut-être tragique (mais pour qui ?) à un moment donné et se révéler profitable (peut-être pour les mêmes) par la suite. Qui donc, et en vertu de quelle grille de lecture, devrait en définir les bénéficiaires et, par conséquent, les victimes ? L’histoire ne se résume pas en pertes et profits.
Par ailleurs, contrairement à ce que semble croire Arno Klarsfeld, le droit n’est pas la morale et le législateur le clerc d’une église, fusse-t-elle laïque. La loi n’est que le reflet, la photographie, du fonctionnement d’un corps social à un moment donné.
Ne nous y trompons pas, les « bornes morales » dont parle l’avocat ne sont que des règles conventionnelles que nous nous fixons. Il ne s’agit pas de faire établir, par le parlement, une théorie du Bien et du Mal. Souvenons-nous de la mise en garde du philosophe chrétien Jean Guitton : il convient de ne pas confondre la morale et les mœurs.
Les lois sont affaires de politiques, c’est-à-dire de mœurs. Elles ne sont pas paroles d’Evangiles, il suffit de voir avec quelles fréquences elles s’abrogent l’une l’autre, se surajoutent ou se contredisent pour s’en convaincre.
Que les parlementaires veillent s’inspirer des leçons de l’histoire pour leurs travaux, rien n’est plus louable mais, comme j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, laissons les historiens travailler en toute liberté, loin des débats passionnés et sectaires.
En s’enferrant dans son impossible mission, j’ai bien peur qu’Arno Klarsfeld en vienne à endosser les habits de Winston Smith, le héros de Georges Orwell, qui au ministère de la Vérité retouche les journaux déjà parus afin de les mettre en accord avec la réalité révélée depuis et réécrit l’histoire en y gommant les inexactitudes.
Chez Staline on se plaisait à dire « qu’il faut lire les évènements d’hier à la lumière des vérités que le parti édicte aujourd’hui. »
Somme toute, comme à l’UMP
Sources : LE BLOG DE BERNARD LALLEMEND
Posté par Adriana Evangelizt