2 - Quel monde Nicolas Sarkozy nous prépare-t-il ?

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Deuxième et dernière partie...

 

2 - Quel monde Nicolas Sarkozy nous prépare-t-il ?


Par Jean-François Goulon

1ère partie

16 chercheurs vous livrent les clés du futur

 

9. Nicolas : une vision néocolonialiste -

Louis-George Tin, professeur de Lettres

""Je crois en effet que Nicolas Sarkozy est habité par une vision néo-coloniale. Cela peut poser des difficultés pour les quartiers, pour les jeunes de banlieue, etc., surtout les noirs et les arabes. Mais cela peut aussi avoir des inconvénients au niveau géopolitique, dans les relations internationales.

"Je veux simplement vous citer quelques-unes de ses déclarations :

- 7 février 2007, discours de Toulon : 'Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s'est rétréci lorsque s'est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l'Europe sur les routes de l'Orient. Le rêve qui attira vers le Sud tant d'empereurs du Saint Empire et tant de Rois de France. Le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc, ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquêtes qu'un rêve de civilisation. Cessons de noircir le passé !'

- 22 juin 2006, Nicolas Sarkozy dénonce ceux qui, 'au de se donner du mal pour gagner leur vie, préfèrent chercher dans les replis de l'Histoire une dette imaginaire que la France aurait contractée à leur égard. Ceux qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une compensation que personne ne leur doit, plutôt que de chercher à s'intégrer par l'effort et par le travail.' C'est le texte prononcé, écrit sur son site, et je trouve cela assez fort, tout de même.

"'Une dette imaginaire'. Il se situe, en fait, au bord du négationnisme. Quand il parle aussi de ceux qui au lieu de se donner du mal pour gagner leur vie - évidemment les Noirs et les Arabes sont paresseux ! -, donc c'est bien normal. Et cette surenchère des mémoires qu'il dénonce me paraît une chose vraiment sordide. Je crois que dans ces conditions, il ne peut y avoir qu'une seule réponse et j'ai proposé notamment une autre citation, qui est celle d'Aimé Césaire et qui est tirée du discours sur le colonialisme.

"'A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. J'entends la tempête, on me parle de progrès, de réalisations, de maladies guéries, du niveau de vie élevé au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de société vidée d'elle-même, de culture piétinée, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificence artistique anéantie, d'extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan, je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme.'"

10. L'expérience de Resf -

Richard Moyon, porte-parole de Réseau Education Sans Frontière (Resf)

"Depuis 25 ans, au moins, tous les ministres de l'intérieur successifs, tous les gouvernements, d'une façon ou d'une autre, ont fait de l'immigration ce qu'ils appellent un problème. Et, explicitement de façon très appuyée, quand il s'agit de certains partis politique, comme le FN ou, actuellement, Monsieur Sarkozy, on rend l'immigration responsable de toute une série de fléaux, de maux : le chômage, l'insécurité. On associe l'immigration avec les drogues, l'immigration avec les (inaudibles), l'immigration et la délinquance, l'immigration et le SIDA,… On rend l'immigration responsable de tout et n'importe quoi, dans un but purement électoral - il faut bien le dire ! Le matelas de voix que M. Le Pen s'était constitué intéressait bien des gens et bien des politiciens et qui étaient prêts, ou à peu près, à tout sacrifier pour récupérer ces voix.

"Or, à travers les actions du réseau, on découvre ce qu'est la réalité de l'immigration. L'immigré, c'est l'élève que vous avez en classe, le sans papier, c'est l'élève qu'on a en classe, que rien, strictement rien, ne distingue de ses camarades. Il parle français, il a les préoccupations de ses camarades, il rit de ce dont rient ses camarades, il pleure de la même façon. Et la preuve, c'est que à chaque fois qu'un jeune se révèle être sans papier, c'est la stupeur.

"Aussi bien dans les écoles primaires que dans les écoles privées, machin, untel, sans papiers, ce n'est pas possible. Et cela prouve que les immigrés, jeunes, majeurs ou parents, sont des gens comme tout le monde. Ils essayent de vivre, de gagner leur vie, d'élever leurs enfants et de vivre comme tout le monde. Et, dans ce contexte-là, l'expulsion ce sont des - on ne mesure pas … M. Sarkozy est très fier de ses 25.000 expulsions. Ce sont 25.000 vies sacrifiées.

"C'est le père qui, un soir, ne rentre pas et cela rend les gosses quasi orphelins. Et c'est un comportement inhumain. Les enfants qui vivent dans ce pays on le droit d'y vivre, ils ne sont pour rien au fait que leurs parents les ont emmenés là ou les ont conçus dans ce pays. Ils ont donc le droit d'y vivre et ce qui est profondément encourageant, tout de même, c'est que quand on met la réalité de l'immigration sous les yeux des gens, quand on lève le secret de ce qui se fait dans les centres de rétentions, les préfectures et les commissariats, eh bien on trouve des dizaines des centaines, des milliers de gens qui sont capables de se lever, de se dresser, de se battre, de se coucher devant les véhicules de police comme à l'école (inaudible) ou de cacher des enfants pour ne pas laisser faire l'inhumain. Et ça c'est quand même, malgré tout, profondément encourageant."

11. Immigration

Emmanuel Terray, ethnologue

"La politique de M. Sarkozy en matière d'immigration est une politique profondément attentatoire au droit et à la dignité des personnes. Trois séries de remarques.

"Première remarque concernant la législation. Ce qui est caractéristique des lois de M. Sarkozy, et elles introduisent un élément nouveau par rapport à la politique antérieure, c'est que, elles ne se bornent plus à aggraver la chasse aux immigrants irréguliers, en supprimant la règle de la régularisation au bout de 10 ans de séjour, mais elles s'en prennent désormais à l'immigration régulière. En la déstabilisant, par exemple, en soumettant le regroupement familial, qui est un droit constitutionnel, à des conditions de plus en plus strictes, de sorte que ce droit devient en réalité formel et vide. En soumettant le mariage des étrangers, également à des conditions de plus en plus rigoureuses et enfin en déstabilisant ce qui avait été le grand acquis des années 1980, 'la carte des 10 ans' qui est désormais soumise à des conditions restrictives et dont l'attribution n'est plus automatique comme elle était dans le passé. Voilà ce qui concerne la loi.

"En ce qui concerne les pratiques, eh bien les pratiques tout le monde les connaît. C'est l'assignation aux forces de police d'objectifs chiffrés en matière de reconduite à la frontière, avec tous les abus que cela entraîne. Et ces abus, ils ont défrayé la chronique, les 'rafles'. Semaine après semaine au métro Belleville, par exemple, ou la célèbre 'rafle' aux restaurants du cœur de la Place de la République, avec l'arrestation des enfants dans les écoles, la mise en rétention des enfants, c'est à dire que le fait, par exemple, au Centre de Lyon 181 enfants ont séjourné, alors que les enfants ne sont pas expulsables et que cette présence des enfants dans les centres de rétention est totalement illégale. C'est en même temps la célèbre circulaire de janvier 2006, qui régissait les conditions de l'interpellation, qui légalisait les convocations pièges à la préfecture, c'est à dire une convocation est adressée à l'étranger disant 'on va examiner votre dossier' et, en réalité, quand il arrive à la préfecture il est interpellé. Et qui énumérait l'ensemble des lieux dans lesquels on pouvait interpeller des étrangers et parmi ces lieux figuraient les hôpitaux et, non pas la chambre des malades, considérée comme un domicile, mais le bloc opératoire était considéré comme un lieu où des interpellations pouvaient avoir lieu. Ceci est caractéristique d'une politique dont l'esprit xénophobe ne fait aucun doute.

"Alors, il y a une dimension européenne de cette affaire. Cette dimension européenne, M. Sarkozy est un des apôtres de l'Europe forteresse. De l'Europe forteresse, c'est à dire qui renforce ses protections aux frontières et là aussi c'est au mépris, non pas des droits et de la dignité des personnes, c'est au mépris des vies humaines. Il faut savoir que depuis cinq ans dans le détroit de Gibraltar on a compté plus de 6.000 noyades. Qu'on compte le même effectif de noyades depuis cinq ans dans le trajet qui sépare la côte africaine des îles Canaries. Ces chiffres sont éloquents, parce qu'il faut se rappeler qu'en 40 ans le mur de Berlin a fait quelque chose comme 400 morts, en quarante ans. Alors qu'en cinq ans, tant aux Canaries, qu'à Ceuta et Medila, nous avons une dizaine de milliers de morts.

"En plus, et ça fait partie de la politique de M. Sarkozy, l'Europe est en train de sous-traiter le contrôle de ses frontières à des pays de la périphérie, contre évidemment espèces sonnantes et trébuchantes. Deux exemples : le Maroc qui reçoit des sommes relativement importantes pour assurer le contrôle à sa frontière à Ceuta et Medila et exemple encore plus caractéristique : la Libye de M. Kadhafi, pays oh combien protecteur des droits de l'homme - comme chacun sait - qui reçoit également de l'argent européen pour établir des centres, des camps, en réalité, pour empêcher les migrants africains de passer.

"Alors là, il y a une urgence, à mon avis, démocratique. On est train en notre nom dans ce pays de commettre des choses abominables. Et il est vraisemblable que si elles se poursuivent, dans 30 ou 40 ans nous aurons des cérémonies de repentance à organiser, comme il y en a eu pour des périodes antérieures, de manière à ce que la France soit lavée de ces choses honteuses qui se produisent sous notre nom en ce moment."

12. L'instrumentalisation des femmes et du féminisme

Nacira Guenif-Souilamas, sociologue

"Sans doute faudrait-il commencer par dire que Sarkozy a beaucoup contribué à créer un climat de confusion autour de l'usage des femmes et du féminisme, puisqu'il en a été l'un des instigateurs, au cours de ces dernières années. Il est l'un de ceux auxquels on doit l'invention d'un pseudo 'féminisme d'en bas', qui ferait que certaines femmes devraient pouvoir se contenter d'avancées limitées - au regard de ce que les femmes qui ont été admises dans l'universel (elles sont presque des hommes, du coup !) pourraient attendre d'une libération totale.

"Donc, il y a la libération absolue qui est, quand même, à l'horizon lointain pour tout le monde, et puis, il y a une libération moins importante. Alors, il a contribué à construire ce canevas, ce cadre, et il le reprend aujourd'hui sans aucune limite, sans aucune vergogne, avec un aplomb total, en brodant sur le thème des femmes martyrisées… auxquelles il promet des papiers, un accueil, un asile en France, si d'aventure elles parvenaient jusqu'à lui. Ce qui n'est quand même pas évident et qui finalement ne lui fait pas prendre beaucoup de risques.

"Alors, pourquoi ce brusque intérêt ou ce regain d'intérêt pour les femmes martyrisées de par le monde ? On peut imaginer différentes raisons.

"D'abord parce qu'il a contribué, en bon capitaliste qu'il est, à faire monter la valeur féminine. C'est à grâce à lui que cette valeur est devenue particulièrement concurrentielle sur le marché idéologique. Et donc, il est en train de faire son retour sur investissement, puisqu'il est celui qui a le mieux promu, qui a le mieux vendu. Il veut quand même en tirer les bénéfices au moment des élections présidentielles. Donc tout cela n'est pas un hasard.

"Et puis, parce que, d'ailleurs, il a bien compris que c'était une corde sensible, y compris en termes pragmatiques, parce que pendant qu'on détourne le regard des réalités françaises et que l'on pleure sur le sort des femmes afghanes ou d'autres - qui sont constamment montées en épingle, montrées de manière absolument indécente, exposées au regard voyeuriste des bien-pensants occidentaux et français - eh bien ! On peut oublier le sort des travailleuses pauvres, des femmes battues en France. C'est à dire, de toutes celles qui vivent des formes d'oppression qui deviennent douces au regard de qui se passe dans ces pays lointains.

"Donc, en fait, il nous voit comme une espèce de souffrance féminine, exotique, qui nous permet de nous consoler de notre triste sort et qui permet aussi de hiérarchiser les souffrances, les oppressions. Et grâce à cela, il est en train d'opérer une forme de prise en otage des femmes, à des fins politiques, ultra-libérales. Il gère cela comme si c'était des fonds personnels. Il préempte les femmes. Il les met en gage et il décide que c'est lui qui est le mieux placé, dans sa mansuétude, pour leur accorder la généreuse protection que personne d'autre, jusqu'à présent, n'a été capable de leur accorder. Donc, il a la stature présidentielle, autrement dit."

13. La justice -

Hélène Franco, secrétaire générale du syndicat de la magistrature

"D'abord, ce que je souhaiterais indiquer, c'est que, nous, au syndicat de la magistrature, nous sommes tout sauf conservateurs et corporatistes, en matière de justice, puisque notamment au moment de l'affaire d'Outreau nous avons développé 49 propositions de réforme du système judiciaire dans son ensemble, afin que de telles affaires ne se reproduisent pas. Puisque pour nous, l'affaire d'Outreau n'est que la résultante d'un certain nombre de tendances lourdes que l'on fait subir à l'institution judiciaire, du côté du pouvoir politique, depuis un certain nombre d'années.

"Nous n'avons pas eu du côté du pouvoir politique en place de réponses à la hauteur des enjeux. Et pour ce qui est des élections présidentielles, je souhaiterais rappeler que l'article 64 de la Constitution fait du président de la république le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Ce sont les termes exacts. Parce que, effectivement, la justice dans nos institutions n'est pas traitée institutionnellement comme un pouvoir à l'égal du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. C'est une autorité et le président de la république, en tant que président du Conseil Supérieur de la Magistrature a la haute main sur les nominations des magistrats, notamment du parquet.

"Depuis 2002, sous cette législature, où Nicolas Sarkozy, je vous le rappelle, était la plupart du temps numéro deux du gouvernement, nous avons eu une accélération incroyable des tendances que nous dénonçons depuis des années. A savoir, la mise sous tutelle des nominations les plus importantes, dans la magistrature, avec notamment des nominations au parquet qui se sont faites pour 25% d'entre elles - un quart d'entre elles - contre l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ça, c'est effectivement le verrouillage auquel on a pu assister ces dernières années et qui est un phénomène nouveau, puisque dans la précédente législature, le gouvernement avait tenu parole sur ce point : il n'avait jamais passé outre les avis négatifs du Conseil Supérieur de la Magistrature.

"L'autre tendance évidente de cette législature, dont Nicolas Sarkozy est comptable, c'est de faire de la Justice une sorte de bras armé de la police. C'est à dire, on attend des juges, non plus qu'ils garantissent les libertés individuelles aux termes de l'article 66 de la Constitution - c'est donc notre mission constitutionnelle - on n'attend plus cela d'eux du côté du pouvoir politique, version UMP.

"On attend au contraire des magistrats, des juges qu'ils prolongent l'activité de la police sans rechigner. Alors cela c'est quelque chose évidemment que nous ne pouvons pas accepter et quand Nicolas Sarkozy attaque de manière très brutale les Juges des Enfants de Bobigny , par exemple, on voit se profiler cette vassalisation de la justice qui peut être explosive, si jamais Nicolas Sarkozy devient président de la république."

14. Institutions : "Le mensonge d'une présidence responsable" -

Thomas Heams, administrateur de la C6R-Paris

"On parle actuellement d'institutions qui sont assez largement déséquilibrées par l'exécutif. Ce sont des institutions qui ont été dénoncées historiquement par la gauche, par des figurent comme Mendés ou par Mitterrand et qui sont assez largement à rebours des institutions de nos voisins européens, au sens où elles organisent une concurrence des pouvoirs, entre un président de la République qui est élu directement et un parlement et Premier ministre qui est élu par le biais d'élections législatives.

"En France, on est un peu les seuls à avoir cette élection qu'on nous présente comme le summum de la démocratie, l'élection du président de la République au suffrage universel, que les Français aiment beaucoup mais qui peut poser des questions parce qu'elle organise une sorte de concurrence entre les pouvoirs.


A SUIVRE . . . . .

Sur le site de l'autre campagne :

REFUTATIONS
Un film de Thomas Lacoste

Recommandé fortement par :
Alterdoc, Bastamag.org, Charlie Hebdo, Confluences, Editions La découverte, Les Inrocks, L'humanité, Le Passant Ordinaire, Marianne, Politis, Questions Critiques, Mouvements, Regards, Témoignage chrétien, Vacarme…

Avec :
Jeanne Balibar, Monique Chemillier-Gendreau, Anne Debrégeas, Eric Fassin, Hélène Franco, Susan George, Nacira Guénif-Souilamas, Thomas Heams, Michel Husson, Bruno Julliard, Christian Lehmann, Richard Moyon, Thomas Piketty, Emmanuel Terray, Louis-Georges Tin et Alain Trautmann

Sources Questions Critiques

Posté par Adriana Evangelizt

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