La création d’une base interarmées aux Emirats arabes unis révélatrice du néo atlantisme de Nicolas Sarkozy
La création d'une base interarmées aux Emirats arabes unis, une décision hasardeuse, révélatrice du néo atlantisme de Nicolas Sarkozy
Par Martin Basler
Le 15 janvier 2008, Nicolas Sarkozy a annoncé à Abou Dhabi que la France allait installer aux Émirats arabes unis une base interarmées permanente. Cette décision n’aura, à court terme, qu’une portée limitée en termes strictement militaires. Mais, sur le plan politique, c’est un nouveau signe du rapprochement des positions françaises et américaines.
Le renforcement de la coopération franco émirienne en matière de défense semble pourtant, à première vue, répondre à une logique de continuité. Entamée dès 1971, cette coopération est devenue étroite après la guerre du Golfe de 1991. L’accord du 18 janvier 1995 par lequel la France s’engage à défendre la souveraineté des Émirats en établit le cadre actuel. Les deux pays coopèrent dans les domaines du renseignement, de l’entraînement des forces et de la planification militaire. Ils organisent régulièrement des exercices militaires communs. Une centaine de coopérants militaires français assistent les forces émiriennes. La densité des fournitures d’armement reflète l’étroitesse de ces liens militaires. Plus de la moitié des équipements militaires émiriens sont d’origine française. Après avoir acquis 390 chars Leclerc, les Émirats ont notamment passé fin 1997 un marché portant sur la livraison de 30 Mirage 2000 9 et la rénovation de 33 autres Mirages 2000.
La France apporte ainsi depuis une vingtaine d’années une contribution majeure à l’important effort d’armement des Émirats même si, dans la période récente, et en particulier à la suite des attentats du 11 septembre 2001, les livraisons d’équipements militaires en provenance des États-Unis n’ont cessé de croître. En témoigne l’achat par les Émirats dès mars 2000 de 80 F 16 armés de missiles air air et antiradar avancés. Des accords de défense lient d’ailleurs les Émirats aux États-Unis comme au Royaume-Uni depuis le milieu des années 90.
La création de la base française pourrait dès lors s’analyser seulement comme un moyen de préserver une influence concurrencée par la présence américaine. Les effectifs permanents de la base seront d’ailleurs limités (4 à 500 militaires). L’élément naval assurera notamment le soutien des bâtiments français opérant dans le Golfe et l’Océan indien. L’élément aérien permettra des déploiements temporaires dans le cadre d’exercices communs. L’élément terrestre constituera un point d’appui pour l’entraînement. Au delà de ces arrangements pratiques, c’est cependant la dimension politique de l’engagement français qui doit retenir l’attention. On peut d’abord relever que la future base interarmées disposera des moyens, de commandement en particulier, qui lui permettront d’accueillir un corps expéditionnaire important dans le cadre d’une intervention en coalition. On peut même se demander si sa création n’entre pas dans le cadre d’une réorganisation d’ensemble du dispositif français d’intervention qui le ferait basculer de l’Afrique de l’Ouest vers l’axe Golfe océan Indien.
En répondant à la demande des Émirats d’accroître son engagement sur leur territoire, la France entérine par ailleurs une politique émirienne dominée par trois priorités : conforter le lien stratégique entre l’Occident et les puissances arabes sunnites, contenir et, au besoin, refouler la montée en puissance de l’Iran, assurer une stabilisation de l’Irak assise sur un nouvel équilibre entre ses composantes chiite, sunnite et kurde. Ces priorités sont dictées aux Émirats par les spécificités de leur situation intérieure et extérieure. Pays sous direction sunnite, opposé à l’Iran pour des raisons tant politiques et religieuses que territoriales, les Émirats s’efforcent, parfois difficilement, de concilier leurs intérêts stratégiques avec ceux de leurs partenaires de la péninsule arabique, et singulièrement de l’Arabie Saoudite. Ils tirent leur prospérité, non seulement du pétrole mais aussi de leur intégration à l’économie mondiale. S’ils sont avantagés par une position stratégique unique au bord du Golfe et du détroit d’Ormuz, par où transitent chaque jour 17,4 millions de barils de pétrole, leur gouvernement a besoin d’un appui extérieur pour maintenir son autorité sur une société hétérogène, fragmentée en sept principautés et divisée entre des nationaux à la culture politique traditionnelle et des immigrés représentant de l’ordre de 80 % de la population.
En appuyant de la sorte la politique émirienne, Nicolas Sarkozy poursuit dans le Golfe des objectifs qui coïncident avec ceux de l’Administration Bush : réduire l’influence iranienne au moment où celle ci progresse en Irak dans le chaos consécutif à l’invasion américaine, contrer, au besoin par la force, la marche de l’Iran vers le statut de puissance nucléaire et réaffirmer l’engagement des puissances de l’Alliance atlantique aux côtés des pays arabes qui leur sont proches dans le cadre de la « lutte globale contre le terrorisme ».
Il intensifie à cet effet les relations militaires que la France entretient dans la région avec les États-Unis et les pays européens de l’OTAN, en particulier le Royaume-Uni. Dans le domaine aérien, l’Air Warfare Center construit par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sur la base aérienne d’Al Dhafra pourrait, en cas de conflit, devenir le centre opérationnel d’opérations en coalition. En accord avec les orientations américaines, le gouvernement français s’efforce d’associer à ses initiatives militaires les différents pays du Golfe en encourageant notamment le Conseil de Coopération du Golfe à accroître ses capacités opérationnelles communes. En cohérence avec le projet de réintégration complète dans le dispositif militaire de l’OTAN, il entend, à partir de sa nouvelle implantation aux Émirats, devenir un partenaire privilégié des États-Unis dans la mise en œuvre de la politique de coopération entre l’Alliance et les pays du Moyen Orient, en particulier dans le cadre de l’Initiative d’Istanbul.
Cette politique, qui n’a fait l’objet d’aucun débat au Parlement ou dans la presse, est dangereuse. Étant donné l’hostilité fondamentale des États-Unis, non seulement à la politique nucléaire de l’Iran, mais à son régime et le soutien systématique qu’ils accordent à Israël au détriment des chances de stabilisation durable au Moyen Orient, le risque est grand que la France se trouve liée par des décisions américaines de confrontation armée avec l’Iran et ses alliés (Syrie ou Hezbollah au Liban) sans pouvoir exercer son influence modératrice traditionnelle et proposer des voies alternatives de dialogue.
Sources Cirpès
Posté par Adriana Evangelizt