Le masque olympique de Pékin

Publié le par Adriana EVANGELIZT




Le masque olympique de Pékin



par André Navarre


Le pouvoir chinois a proclamé qu'il ne fallait pas politiser les jeux. Or les JO de Pékin sont d'abord un projet politique, un outil de propagande patriotique destiné à légitimer la dictature du parti unique. Pour en assurer le succès, Pékin a promis des Jeux verts, technologiques, populaires. Ils seront aussi «sécuritaires».

Depuis quatre ans, au centre de Pékin, dans le hall d'entrée du «Centre d'exposition de la planification urbaine», le drapeau officiel des Jeux olympiques trône sous verre comme la relique la plus précieuse de la cité. L'étendard «sacré» - c'est ce qu'indique la légende - a été remis au terme des Jeux d'Athènes par le président du Comité international olympique (CIO), Jacques Rogge, au maire de Pékin. L'équivalent d'un Graal. Depuis son arrivée en terre chinoise, ce bout de tissu blanc marqué des cinq anneaux est l'objet d'un culte national. Car si le Parti est au service du peuple, comme le répète la propagande, les JO, eux, sont au service du Parti dont le nationalisme, après l'abandon du communisme, est la nouvelle religion. 

Pour s'en convaincre, il suffit de gagner l'amphithéâtre du troisième étage de ce centre d'exposition où deux courts films d'images de synthèse résument le projet de Pékin. A la splendeur passée de la capitale de cinq dynasties impériales répond la planification d'une ville futuriste qui brillera à nouveau à la face du monde. Tout comme Khanbaliq (la capitale qu'érigea Kubilay Khan, petit-fils de Gengis, le fondateur au XIIIe siècle du plus vaste empire de l'Histoire), considérée comme la plus belle ville du monde par Marco Polo, Pékin veut redevenir le centre de l'univers, le nouveau pôle vers lequel affluent monde marchand et Etats tributaires. C'est du moins le message subliminal.

Pour réaliser ce pari, Pékin était prête à tous les sacrifices comme le montre le reste du musée, et sa gigantesque maquette de la ville. Dès l'obtention des Jeux, le 13 juillet 2001, Pékin s'est lancée dans «les plus grands travaux depuis la Grande Muraille» proclamaient à l'époque les autorités municipales: 43 milliards de francs ont été injectés - un record olympique - pour redessiner le visage de la capitale; 1,25 million de personnes ont été déplacées dans le cadre de la préparation des Jeux, selon un rapport du Centre sur les droits au logement et les expulsions (Cohre) dont le siège est à Genève, un chiffre toutefois contesté par la municipalité.

Les JO comme projet politique

Les JO ont été le moteur de cette transformation en servant de slogan à ce qui ressemble étrangement à une vaste campagne de masse pour mobiliser l'ensemble de la population derrière cet objectif national. La fête proprement dite des JO fera pour sa part office de tribune pour la mise en scène de cette puissance retrouvée, de cette nouvelle ère qui s'ouvre. Elle sera comme le festin auquel sera convié le monde entier, à titre de témoin.

En cas de réussite, la légitimité du régime en sortira d'autant renforcée. Voilà pourquoi l'enjeu des JO est si sensible. Car il s'agit avant tout d'un projet politique. Est-ce un hasard si le dauphin présumé de Hu Jintao, Xi Jinping, a été nommé en février au titre de superviseur des JO alors qu'un comité d'organisation était déjà en place depuis quatre ans?

En proclamant la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949, Mao Tsé-toung affirmait que la Chine s'était redressée: la fierté nationale était rétablie. Lavée l'humiliation du démembrement du pays, des occupations étrangères et des guerres perdues. Le 8 août 2008, la cérémonie d'ouverture des JO de Pékin fera résonance à ce discours. Désormais, non seulement la Chine est debout, mais elle marche en tête du concert des nations. Elle aura effacé l'histoire sanglante du XXe siècle. Elle tiendra sa revanche.

De tout cela, les Pékinois en ont parfaitement conscience. Dans les rues de la capitale, les slogans associent les Jeux avec une nouvelle morale, l'armée, la police, l'union patriotique, la stabilité, la sécurité et l'«esprit du 17e congrès du PCC». Les autorités chinoises peuvent proclamer qu'il ne faut pas politiser les Jeux en réponse aux critiques qui fustigent les promesses non tenues en matière de libertés. Seuls les dirigeants du CIO veulent bien feindre de le croire.

Les condamnés des JO

Ai Weiwei est l'une des figures de proue de l'art contemporain chinois. En l'an 2000, il organisait avec de nombreux artistes une exposition «off» en marge de la Biennale d'art de Shanghai intitulée «Mode non coopératif» en forme de défi à l'autorité. L'affirmation d'un individualisme moderne en était le thème central. Cet esprit rebelle s'est ensuite associé à l'élaboration du stade olympique, le fameux «Nid d'oiseau» des Suisses Herzog & de Meuron. L'an dernier, il a toutefois clairement pris ses distances avec la cérémonie d'ouverture des JO. Dans une interview accordée au journal britannique The Guardian, il exprimait son «dégoût» envers les artistes comme le cinéaste Zhang Yimou qui se font les instruments de la propagande patriotique en participant à l'évènement. Il précisait que, pour sa part, il n'avait pas travaillé pour le régime, mais simplement collaboré avec un bureau privé d'architectes.

Aujourd'hui, Ai Weiwei demande juste qu'on l'oublie. Les autorités ont fermé les yeux. D'autres n'ont pas eu cette chance. Le militant des droits de l'homme Hu Jia, par exemple, a été condamné en avril à trois ans et demi de prison pour «incitation à la subversion contre l'Etat». L'automne dernier, il avait à plusieurs reprises dénoncé l'augmentation de la répression envers des Chinois ordinaires à l'approche des Jeux. Dans un texte cosigné avec le juriste Teng Biao intitulé «La vraie Chine avant les Jeux olympiques», il accusait les autorités d'utiliser les JO comme prétexte pour restreindre les libertés civiles. Il est probable que cette critique soit à l'origine de son arrestation.

Des JO sécuritaires

A la veille des Jeux, Pékin met une dernière touche pour se présenter sous ses plus beaux atours. Les immeubles défraîchis situés à proximité d'un axe routier olympique ou touristique sont repeints, du moins le côté exposé au regard, comme dans un décor de film. Dans les anciens quartiers, les maçons s'activent pour ériger de fausses façades devant les maisons décrépites afin d'offrir un visage plus présentable. Là aussi les peintres s'activent pour enduire les briques d'une nouvelle couche de gris, teinte traditionnelle et uniforme du vieux Pékin érigée au statut de couleur officielle de la ville pour les JO. Il y a quelques années, un cénacle d'experts avait décrété que ce gris était la résultante du mélange du bleu, jaune, rouge et vert des anneaux olympiques...

Pour faciliter le contrôle social pendant les Jeux, la municipalité va se débarrasser de ses «waidiren», les migrants sans papiers de résidence au nombre de plusieurs millions qui alimentent en bras la construction et les services. Durant les compétitions, Pékin sera une ville quadrillée par des agents de sécurité professionnels avec de multiples relais au sein de la population. La police et l'armée seront appuyées par de nouvelles forces d'intervention antiterroristes, les forces antiémeute de la police armée (wujing), des centaines de milliers de «volontaires» des comités de quartier (sous la supervision du Parti) auxquels s'ajoutera une «brigade spéciale de sécurité des Jeux» formée de 50 000 personnes. Selon un calcul des autorités, chaque district du centre-ville devra compter au moins 1,5 brigadiste pour 100 habitants.

Des Pékinois «civilisés»

En 2001, Pékin s'était engagé à organiser des Jeux «verts, technologiques et populaires». Pour les jeux verts, ce ne devrait pas être un problème. En 2008, la capitale chinoise est plus que jamais l'une des villes les plus polluées du monde. Mais pour les deux semaines d'épreuves sportives, les nuisances devraient chuter grâce à l'arrêt des usines et l'instauration d'une circulation alternée. La ville a par ailleurs planté des millions de roses le long des routes et replanté quantité d'arbres pour l'occasion. Quant au ciel, ses orages et l'humidité du mois d'août, il sera sous le contrôle d'un «Bureau des manipulations climatique» équipé de canons et d'avions de chasse qui bombarderont d'obus chimiques les nuages qui menaceraient les compétitions.

Pour le défi technologique, là aussi, Pékin sera à la hauteur avec sa nouvelle architecture ultramoderne. Reste l'aspect populaire ou «humaniste» (renwen). Avec la sécurité, c'est le principal souci des autorités. Il y a trois ans, Wang Qishan, maire de Pékin devenu entre-temps vice-premier ministre, déclarait: «Le problème le plus ennuyeux, le plus difficile à résoudre, lors des JO 2008, sera d'assurer une qualité suffisante de nos citoyens.» Les Pékinois seront-ils présentables, seront-ils fair-play, accueillants, distingués? Bref, seront-ils à la hauteur de l'évènement?

Pour s'en assurer, le pouvoir a multiplié les mesures: campagnes d'apprentissage de 100 phrases d'anglais pour les chauffeurs de taxi et dans les comités de quartier; assainissement des toilettes publiques; campagnes contre les crachats; campagne pour respecter les règles de circulation; campagnes pour applaudir de manière olympique. Au mois de mai a commencé une campagne enseignant à faire la queue pour prendre les transports publics. Le pouvoir veut faire des Pékinois des «homo olympicus», un projet paternaliste qui colle à sa volonté de former une société de consommateurs dociles, apolitiques et patriotes. L'enthousiasme des Pékinois pour les Jeux est réel. Mais il est aussi de commande.

Durant un peu plus de deux semaines, les Pékinois vont ainsi jouer à faire semblant d'être «civilisés» comme les y appelle sans relâche la propagande ou seront priés de rester à la maison devant leur écran de télévision. Pékin, les Pékinois, va s'affubler d'un masque olympique. Ce sera la vérité. Mais une partie de la vérité seulement.

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Pékin, ville olympique (2/4)

Extrait d'un texte intitulé «La vraie Chine avant les Jeux olympiques» publié sur Internet à l'automne 2007 par Hu Jia, militant des droits civiques, et Teng Biao, juriste. Le premier a été condamné à 3 ans et demi de prison et le second privé de sa licence d'avocat.

«Lorsque vous viendrez à Pékin pour les Jeux olympiques, vous verrez des gratte-ciel, de larges avenues dégagées, des stades ultramodernes et une foule de gens enthousiastes. Vous verrez la vérité, mais une partie seulement de la vérité, de la même manière que l'on ne voit que la partie émergée de l'iceberg. Vous pourriez ne pas voir que les fleurs, les sourires, l'harmonie et la prospérité s'enracinent dans les doléances, les larmes, l'emprisonnement, la torture et le sang.»

 

Sources Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt
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