Sarko pêche en eaux troubles
Sarkozy : la pêche en eaux brunes
par Claude Askolovitch
Pour répondre à l'offensive de Villiers et de Le Pen, le président du RPR a choisi sa stratégie : prendre leur sillage
Ce n'est plus la rupture mais un déjà-vu. Nicolas Sarkozy a fait régresser la droite de vingt-trois ans, en accueillant samedi dernier les nouveaux adhérents de son UMP : «Nous en avons plus qu'assez de devoir en permanence avoir le sentiment de s'excuser d'être Français, a lancé le ministre de l'Intérieur. D'ailleurs, si certains se sentent gênés d'être en France, je le dis avec un sourire mais aussi avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas, parce que nous, notre pays, nous l'aimons!»
Nous, les bons Français, contre les autres. «Certains». Mais qui faut-il chasser de la patrie ? Les émeutiers de novembre ? Les supporteurs qui sifflaient « la Marseillaise » en 2001 lors de France-Algérie ? Les rappeurs qui vomissent la «FranSSe» ? Les casseurs des manifs étudiantes ? Des prêcheurs islamistes ? Ou Bouteflika, ce président algérien qui se fait soigner dans un pays qu'il traite de « génocidaire » ? La phrase de Sarkozy est d'autant plus gênante qu'elle est imprécise. Et, sous sa fausse banalité, elle renvoie à une période révolue, quand la droite républicaine n'était pas au clair avec l'extrème-droite.
«La France, aimez-la ou quittez-la.» C'était, en 1983, le slogan du MIL, le Mouvement indépendant des Libertés, l'aile dure du chiraquisme. Le RPR faisait alors rimer insécurité et immigration, et validait l'alliance avec le Front national aux municipales de Dreux. Nicolas était petit, mais déjà militant. La droite se voulait libérale et reaganienne. D'ailleurs, la petite phrase venait d'outre-Atlantique : «America, love it or leave it.» On affiche ça sur un sticker à l'arrière de son truck ! Les mots ont une histoire. Après le MIL, le Front national s'approprie le slogan en 1984. Puis Philippe de Villiers, nouveau croisé anti-islamique, en 2005, sur le mode tutoyant : «La France, tu l'aimes ou tu la quittes!» Et maintenant Sarkozy.
La suite est un emballement médiaticopolitique, où la gauche se délecte de voir son ennemi s'oublier. La thématique « sarko-facho » trouve un nouvel argument, après le « Kärcher » ou la « racaille ». L'an prochain, on dira au peuple qu'un président ne parle pas comme le populo. Et à ce jeu, les socialistes pourront compter sur les chiraquiens, tel Jean-Louis Debré, qui s'est ostensiblement pincé le nez. «Quand le ministre de l'Intérieur Debré faisait expulser les sans-papiers de Saint-Bernard, il était moins sucré et délicat envers les étrangers», ironise le député sarkozyste Yves Jégo. Ambiance à droite. Rien que du classique, dira-t-on. Mais la pugnacité de Jégo révèle aussi la nervosité du camp Sarkozy. Le chef subit trop d'attaques. Et, surtout, sa stratégie n'est plus claire, même pour ses amis.
Quand on leur demande d'expliquer la sortie du leader, les sarkozystes se contredisent piteusement. Version numéro un : «C'est une sortie délibérée, pour se marquer à droite après la crise du CPE, affirme un ancien ministre. On se fait engueuler pour avoir cédé aux manifestations. Donc, on parle à la droite, et on va continuer.» Version numéro deux, à l'opposé : «Nicolas est fatigué, il n'avait rien prévu,et a lâché cette phrase sans réfléchir, regrette un député. Mais il doit faire attention à se tenir.» Version numéro trois, la banalisation : «Sarkozy a déjà dit des choses comparables sans provoquer de scandale, dit Jégo. La gauche n'a rien à proposer, alors, elle diabolise. Maisil y a une synthèse Sarkozy. Vote des étrangers, suppression de la double peine. Mais également fermeté sur les principes républicains.»
L'incertitude et la prudence illustrent la période. Sarkozy, point de mire depuis quatre ans, se trouve pris en tenaille : la gauche revient et l'extrême-droite revit ! Sarkozy est inquiété, voire décroché, dans les sondages par Ségolène Royal. Et, face à Villiers et au Front national, le ministre de l'Intérieur n'incarne plus une droite assumée, qui romprait, enfin, avec les molles ambiguïtés du chiraquisme.
C'est une des clés de la droitisation du discours : Sarkozy n'est pas seul. Ils sont deux autres à danser autour d'une patrie fatiguée et d'un peuple excédé. Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers, désormais inséparables médiatiquement, sont engagés dans un double combat: contre Sarkozy, ce «bluffeur» qu'ils exècrent. Et entre eux, pour la conduite du camp nationaliste.
Villiers a l'enthousiasme des nouveaux convertis. Il s'exalte d'avoir «rompu avec le système» dont il pense, depuis le référendum européen, qu'il est à bout de souffle. Il a du culot. Quelque chose d'américain dans le style - quel paradoxe pour ce fier nationaliste -, une manière d'être le député qui porte les sujets brûlants sur la place publique. Villiers prétend déchirer le rideau des convenances et briser les mensonges du pouvoir. Son livre, « les Mosquées de Roissy », qui prétend révéler à la France une menace islamiste qui aurait subverti jusqu'à l'aéroport Charles-de-Gaulle, est typique de sa méthode : une extrapolation outrancière d'éléments réels, sur fond d'inquiétude que l'on flatte et exacerbe à la fois. Méfiez-vous des hôtesses beurettes en uniforme Air France, elles portent le tchador à la maison, explique-t-il à ses lecteurs en prétendant lutter contre le terrorisme ! Il construit une argumentation en poupées gigognes : musulmans, islamistes, terroristes, tous liés dans une chaîne de la peur. Indigne, mais efficace. «Jamais nous n'avons été ausi sollicités par les médias, se réjouit Guillaume Peltier, secrétaire général du Mouvement pour la France, parti du Vendéen. Nous démontrons que nous avons raison quand nous dénonçons la menace islamiste. Et nous prouvons que Sarkozy, qui promettait la sécurité, ne fait rien face aux dangers.»
Peltier est l'homme heureux derrière Villiers. Ses airs de jouvenceau médiatique, persuadé de toucher le vrai peuple entre les shows de Ruquier et d'Ardisson, masquent un stratège implacable. Formé au Front national, pressenti en 1998 pour prendre la tête des jeunes lepénistes, Peltier a quitté Le Pen persuadé que celui-ci ne voudrait jamais prendre le pouvoir. C'est lui qui construit le nouveau Villiers. «La question de l'islam sera aux années 2000 ce qu'a été l'immigration aux années 1980, dit-il. Une question-clé, indispensable. Tous les partis populistes d'Europe du Nord, aux Pays-Bas, en Scandinavie, se sont construits autour de ce sujet. Celui qui s'emparera de ce thème construira une droite populiste capable, enfin, de gagner.»
Le reste est affaire de patience. Peltier recrute des déçus du lepénisme pour construire le parti. Jacques Bompard, maire d'Orange, qui apporte le Vaucluse dans l'escarcelle. Marie-Christine Bignon, maire de Chaufailles en Bourgogne. Damien Barriller, ancien bras droit de Mégret, dans les Bouches-du-Rhône. Peltier n'est pas trop regardant sur le passé des impétrants. Il a refusé le catholique traditionaliste Bernard Antony, mais a acccepté, avec Bompard, le porte-parole du maire d'Orange, André-Yves Beck, ancien de l'ultra-droite et du mouvement Troisième Voie. «Je suis républicain, et notre charte se réclame de la Résistance,se défend Peltier. Et nous ne tomberons jamais dans l'antisémitisme.» Il guette les flottements de la maison d'en face, sollicite ceux que l'immobilisme de Le Pen excède...
En face, le menhir et les siens traitent officiellement par le mépris Villiers l'usurpateur et le petit Peltier. «Tout ce qu'ils disent nous profite en définitive», affirme Marine Le Pen. Mais les frontistes prennent soin de conforter les hésitants, et qualifient le vicomte de diviseur du camp national. Petite tactique pour gros enjeux. Conquête des parrainages pour 2007. Et, surtout, l'après-présidentielle. «Le Pen aura ses signatures, et sera devant nous à la présidentielle, dit Peltier. Mais nous serons installés dans le paysage. En se présentant, Le Pen fait perdre cinq ans à sa fille et à son mouvement.»
L'argument est vicieux, mais efficace. Car Marine Le Pen, dans cette comédie, est la grande perdante. Amaigrie comme pour partir en campagne, publiant un livre entre autobiographie et manifeste politique (« A contre-flots », Grancher), elle est prête pour un combat qu'elle ne mènera pas. «Villiers est irresponsable, tant il dresse les gens les uns contre les autres, dit-elle.Il découvre qu'il y a des problèmes, quand nous en parlons depuis des années. Il n'y a qu'une réponse posssible, une fermeté absolue sur les principes républicains.»
L'héritière poursuit sa modernisation - dans un mouvement opposé à la radicalisation de Villiers. Mais elle sait déjà qu'elle devra s'effacer devant son père, quand celui-ci s'avancera. Alors, elle regardera le vieil homme, mener, après quatre ans de quasi-silence, son dernier combat. Elle tremblera de voir Villiers réussir à la dépouiller avant terme. Elle ne partagera, avec l'ennemi, qu'une seule détestation : celle de Sarkozy, sur lequel convergeront, finalement, tous les coups. Sarkozy et cette droite que les extrêmes n'en finiront jamais de menacer, mépriser, et terroriser, depuis bientôt trente ans
«Sarkozy, c'est Chirac en pire, dit déjà Peltier. Jamais nous ne ferons voter pour l'homme du vote des immigrés.» En face, l'UMP se divise, entre une piétaille en mal de fermeté, qui poussera Sarkozy au raidissement et à l'entente avec les extrêmes - comme jadis les pasquaïens... Et les moralistes qui demanderont la rupture : «Ce qu'il dit sur l'islam qui serait incompatible avec la République met Villiers hors du jeu républicain, affirme Jégo. Il faudrait rompre avec lui et son mouvement, nationalement et localement.» Les cauchemars sont éternels.
Sources : NOUVEL OBSERVATEUR
Posté par Adriana Evangelizt