Derrière Clearstream, la guerre entre Villepin et Sarkozy
Derrière l'affaire Clearstream, la guerre pour le pouvoir entre Villepin et Sarkozy
Ce jeudi 27 avril, ils sont cinq autour de la table. Dominique de Villepin est venu avec son directeur de cabinet, Pierre Mongin, et son conseiller, Bruno Lemaire. Nicolas Sarkozy, avec son ami politique le plus fidèle, le ministre Brice Hortefeux. C'est l'un de ces étranges déjeuners entre gens qui se fréquentent, se mesurent et parfois se haïssent. Mais "l'atmosphère, assure sans sourciller M. Hortefeux, était détendue et chaleureuse". Depuis une semaine, la compétition acharnée qui oppose Dominique de Villepin à Nicolas Sarkozy a pris un tour violent avec les développements de l'affaire Clearstream. Alors, "détendue et chaleureuse"...
En tout cas, Clearstream est au menu. Depuis qu'il a appris, à l'été 2004, qu'un "corbeau" l'avait placé sur une liste de personnalités supposées détenir des comptes occultes à l'étranger, envoyée aux juges, Nicolas Sarkozy cherche tout haut "trois choses" : 1) Est-ce un coup monté ? 2) D'où vient-il ? 3) Est-ce une manipulation politique ? Depuis, il a quasiment répondu à ces questions en accusant Dominique de Villepin d'avoir, au minimum, cherché à exploiter l'affaire pour le déstabiliser, lui, le candidat à la présidentielle que la Chiraquie voudrait éviter. Lors du déjeuner, les cinq hommes ne parlent que de "ça". M. de Villepin jure qu'il n'est pour rien dans l'histoire, que l'enquête sur les listings du corbeau a d'abord été menée par Michèle Alliot-Marie. La veille, justement, avant le conseil des ministres, M. Sarkozy s'est durement expliqué avec la ministre de la défense. Sarkozy met en garde Villepin : mieux vaut faire toute la lumière entre nous et espérer que l'affaire s'arrête effectivement au ministère de la défense, comme l'assure le premier ministre.
"Atmosphère détendue et chaleureuse"... Depuis des mois, il est clair pour toute la droite que la bataille entre les deux hommes se déroulera jusqu'au dernier sang. Clearstream en est la démonstration la plus spectaculaire, mais elle n'est pas le seul motif. Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin se battent pour la conquête de la présidence de la République en 2007, mais aussi la vengeance d'un passé qui, depuis l'affrontement fratricide Chirac-Balladur, douze ans plus tôt, les a déjà opposés dans leurs rôles de stratèges respectifs des deux candidats.
Depuis 2002, et plus encore depuis que Dominique de Villepin croit pouvoir être le dauphin de Jacques Chirac, les deux hommes cherchent à s'éliminer. "Villepin aime Sarkozy faible, Sarkozy ne peut supporter un Villepin fort", résume un ministre. Déjà, lors de la guerre Chirac-Balladur, ils se sont aiguisé les dents l'un contre l'autre. Villepin, alors directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères Alain Juppé, observait Sarkozy de son bureau du Quai d'Orsay, bien décidé à faire mordre la poussière à celui qu'il appelait "le roquet". M. Sarkozy, lui, a sans doute longtemps sous-estimé les ambitions et la dangerosité politique de M. de Villepin. Mais les deux hommes ont ensuite choisi de mettre leur mouchoir sur cette bataille. Et c'est Villepin qui a réintroduit Sarkozy dans le cercle élyséen en 1999.
La lune de miel aura été de courte durée. Dès la réélection de Chirac en 2002, M. de Villepin conçoit l'ambition d'être bientôt premier ministre et, sans doute, de tenter sa chance à l'Elysée. En attendant, il obtient de M. Chirac de remplacer Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, en 2004, et déclenche la vraie guerre. Leur bataille porte sur tout : les arbitrages budgétaires, les choix politiques, la stratégie "vendue" régulièrement au président de la République. Au lendemain des élections régionales de 2004, alors que Dominique de Villepin fait mine de plaider pour une éventuelle nomination de Nicolas Sarkozy à Matignon, celui-ci grince devant ses conseillers : "C'est pour mieux me griller."
"ÇA Y EST ! ON LE TIENT !"
Quand l'affaire Clearstream commence, avec la publication d'un article dans Le Point, en juillet 2004, Sarkozy, qui n'a rompu avec aucun de ses réseaux dans la police et le renseignement, soupçonne Villepin de le faire surveiller. M. de Villepin, lui, exulte devant le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin : "Ça y est ! On le tient !", dit-il de Sarkozy. Le 15 octobre 2004, les deux rivaux ont une explication sur Clearstream dans le bureau de Villepin, place Beauvau, en présence du directeur de la DST, Pierre Bousquet de Florian. Dominique de Villepin en sort en pensant "avoir dissipé tout malentendu". Sarkozy, lui, reste convaincu que des choses restent cachées, et que le directeur de cabinet de Villepin, Pierre Mongin, l'a fait écouter sur sa vie privée.
Un an plus tard, lorsque Nicolas Sarkozy revient au ministère de l'intérieur, en juin 2005, il explique : "Je serai mieux protégé au ministère de l'intérieur que par les permanents de l'UMP." Quelques semaines plus tard, lorsque sa femme Cécilia le quitte, on lui rapporte chaque jour que Villepin se réjouit devant ses interlocuteurs de ses malheurs conjugaux. Pendant l'été 2005, Sarkozy, qui ne pense plus qu'à Clearstream, dira - selon Franz-Olivier Giesbert dans La Tentation du président (Grasset) : "Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un crochet de boucher !" La nomination de Villepin à Matignon va encore exacerber la bataille. Ni la crise dans les banlieues ni les manifestations contre le CPE ne peuvent détourner les deux hommes de leur compétition. Nicolas Sarkozy a prévenu ses proches : "Entre lui et moi, ce sera une lutte jusqu'à ce que mort s'ensuive."
Sources : LE MONDE
Posté par Adriana Evangelizt