«Juju», l’homme de l’ombre
«Juju», l'homme de l'ombre
par Pascal Virot
Le versatile député de l’Essonne a poussé sur le devant de la scène de nombreuses personnalités.
C’est un homme de coups. Un adepte du billard à multiples bandes. Un joueur de poker. Mais, ne prêtant qu’aux riches, on lui attribue beaucoup d’intrigues. Trop sans doute. Julien Dray n’a pas aligné que des coups gagnants.
Jamais il ne s’en est caché : sa rencontre avec François Mitterrand a été le grand tournant dans sa carrière politique. C’est en 1985 que Julien Dray, alors âgé de 30 ans, rencontre le chef de l’Etat. Son cursus est banal. Né en 1955 à Oran (Algérie), fils d’instituteur, il arrive en France à dix ans. Rapidement, il s’engage en politique. A l’extrême gauche, et plus précisément à la LCR, avant de s’encarter au Parti socialiste, en 1982.
Unef-ID et SOS Racisme. Premier coup, il participe au lancement de l’Unef-Indépendante et démocratique contre la «vieille» Unef d’obédience communiste. L’Unef-ID, elle, est sous influence trotskiste. Son heure de gloire, il la tiendra en 1984, avec la fondation de SOS Racisme, deuxième gros coup. L’association, qui générera une foultitude de «bébés Dray», naît sous les auspices de l’Elysée. Muni d’un DEA de sciences économiques, Dray s’inscrit dans le mouvement de résistance au Front national, qui connaît ses premiers succès électoraux. Dans toute la France, des milliers de personnes porteront la petite main jaune siglé du célébrissime «Touche pas à mon pote». C’est lui qui débusque Harlem Désir, de père antillais, et l’incite à en devenir le premier président.
Grand découvreur de talents, il est encouragé par François Mitterrand. Du vieux sage, il apprend la politique, avec ses coups tordus, ses rapports de force, ses traîtrises et ses bluffs. Tout en grimpant les échelons de la hiérarchie socialiste (toujours sous les bons auspices de François Mitterrand), ce qui le conduira à devenir député de l’Essonne en 1988, «Juju», comme l’appellent ses amis et ses affidés, élargit sa sphère d’influence aux mouvements de jeunes. Plus particulièrement la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (Fidl), le syndicat lycéen créé en 1987. Mais à trop jouer les deus ex machina, il se grille aussi. Ainsi, à l’automne 1990, quand la grogne lycéenne sonne sur le pavé, Julien Dray est-il à la manœuvre. En coulisses, comme il aime tant. Problème, le ministre de l’Education s’appelle Lionel Jospin, venu d’une autre chapelle trotskiste. Dans l’ombre, «Juju» s’active. La Fidl, antichambre de SOS Racisme, s’oppose au Premier ministre, Michel Rocard, et à Jospin. Sur l’insistance de Dray, Mitterrand reçoit une délégation de la Fidl à l’Elysée. Et débloque plusieurs milliards de francs pour ce mouvement qui réclamait dans la rue «du pognon pour l’éducation». Rocard et Jospin sont désavoués. Ce dernier se souviendra de cet épisode en 1997, lorsqu’il entrera à Matignon et qu’il refusera un poste ministériel à Dray. On ne peut gagner à tous les coups.
Promoteur de talents (qualité assez rare en politique), il a poussé sur le devant de la scène des gens comme Malek Boutih et Nasser Ramdane, issus de SOS Racisme, Delphine Batho, députée de Deux-Sèvres, venue de la Fidl. Il connaît bien aussi Fadela Amara, la secrétaire d’Etat à la Ville, ancienne présidente de Ni putes ni soumises, une association qu’il a parrainée. La PME Dray, une pépinière de talents.
Bling-bling. Côté privé, l’homme ne cache pas une appétence pour le bling-bling. Comme Nicolas Sarkozy avec qui il entretient des liens et qui a voulu, en 2007, le débaucher pour le faire entrer au gouvernement. D’ailleurs, son entourage ne pense pas que le mauvais coup vienne de l’Elysée, puisque jusqu’au milieu de la semaine passée, Sarkozy aurait voulu faire de Malek Boutih, son ami, un ministre… Aimant le clinquant, donc, les objets luxueux, Dray se définit comme un «acheteur compulsif». «Les montres, c’est ma vie», aime-t-il à répéter. Cyclothymique, c’est aussi un impulsif aux coups de gueule mémorables. Actuellement, disent ses proches, «il a envie de se battre et puis, l’instant d’après, il est prêt à laisser tomber». «Je suis rentré dans un autre monde. Il y a une vie qui vient de s’achever, c’est triste pour moi. Mais elle s’était déjà achevée avec le congrès», confiait-il récemment au Figaro.
Le congrès de Reims justement vient clore une période confuse pour Dray. Cofondateur du NPS, en 2002, juste après la défaite de Jospin à la présidentielle, avec Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Vincent Peillon, il en claque la porte un an plus tard pour rejoindre François Hollande. Sans doute fatigué d’être un éternel minoritaire depuis son aventure de la Gauche socialiste avec son ex-complice Jean-Luc Mélenchon. Lors de la présidentielle de 2007, il devient l’un des premiers supporteurs de Ségolène Royal… avant de se porter candidat à la succession de Hollande. Dans un premier temps signataire de la contribution du premier secrétaire sortant, il rejoint finalement la maison Royal… Ces allers et retours lassent. Au congrès de Reims et lors des bagarres qui ont suivi, il n’est pas au premier rang du camp royaliste.
Sources Libération
Posté par Adriana Evangelizt