Le miroir des illusions

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Le miroir des illusions

par  Christophe Jakubyszyn et Philippe Ridet

 

S'ils ont une chose en commun, c'est probablement cette capacité à prendre les victoires d'un jour pour des avancées durables, des coups tactiques pour la validation d'une stratégie et la flatterie d'un conseiller pour la marque de leur triomphe.

Dominique de Villepin croit qu'il s'est à nouveau ouvert le chemin d'un destin présidentiel parce qu'il se projette d'ores et déjà dans "l'après-Clearstream". Nicolas Sarkozy espère apparaître comme le "rassembleur" de toute la majorité parce qu'il a choisi de rester au gouvernement. Mais les deux hommes sont, en fait, pris au piège d'une illusion. Illusion de puissance, d'où ils tirent la conviction qu'ils sont l'un comme l'autre au-dessus des aléas et qu'ils sortiront indemnes du maelström qui secoue la vie politique française.

Apparaissant, le 23 mai sur France 2, le premier ministre a donné, comme après la crise du contrat première embauche (CPE), l'impression que les événements n'avaient décidément pas prise sur lui. Optimiste, il s'est refusé à reconnaître qu'il avait perdu son pari : il n'est plus un rival crédible de son ministre de l'intérieur. "La photographie d'aujourd'hui n'est pas le sujet", a-t-il pourtant éludé, laissant entendre qu'il n'a renoncé à rien.

La réussite de son voyage à la Réunion, pendant que M. Sarkozy était en butte à l'hostilité des Africains sur son projet de loi sur l'immigration, son habileté à jouer le pompier social malgré les ambiguïtés de l'Etat actionnaire dans les licenciements de la Sogerma, semblent avoir stoppé sa chute vertigineuse dans les sondages, qui avait commencé en pleine crise du CPE. Selon un sondage TNS-Sofres-unilog pour Le Figaro, RTL et LCI du 22 mai, 64 % des personnes interrogées estiment que M. de Villepin doit rester à son poste. Et 59 % que l'affaire Clearstream n'est "pas si importante que ça". Ajoutons à cela le succès de sa stratégie consistant, tout en allumant des contre-feux, à se poser lui aussi en victime d'un complot qui n'aurait pas de coupable. Et l'on comprendra pourquoi le premier ministre s'accroche à Matignon et aux espérances qu'il permet comme une "moule à son rocher".

Face à un chef de l'Etat qui ne se résout pas à se séparer de son ancien secrétaire général, M. de Villepin veut croire que sa situation est finalement intacte. Les avantages institutionnels du poste demeurent ; la confiance du chef de l'Etat lui reste acquise, même si elle traduit davantage son embarras que son adhésion. Restent l'environnement politique d'une majorité effarée par ses maladresses, la méfiance des Français et les conditions d'une crise de régime : des variables que M. de Villepin, qui n'aime rien tant que les batailles au finish, se fait fort de pouvoir, le jour venu, retourner à son avantage. Depuis une semaine, la question n'est donc plus, comme il y a dix jours : "Combien de temps va-t-il rester ?" mais : "Et s'il restait... ?" Relançant, du même coup, la pression des sarkozystes, qui continuent de demander un changement de premier ministre et s'interrogent, faussement compatissants, sur la manière dont le chef de l'Etat pourra aborder sa traditionnelle intervention du 14-Juillet dans de telles conditions.

Tout le pari de Matignon est le suivant : un jour ou l'autre, M. Sarkozy, arrimé au gouvernement, décrochera lui aussi dans les sondages, et la majorité réalisera alors que le ministre de l'intérieur n'est pas une garantie de victoire. A ce moment-là, se disent les conseillers du premier ministre, il sera encore temps de présenter une solution alternative... De son côté, M. Sarkozy a désormais la certitude d'avoir pris définitivement l'ascendant sur son rival. Cette certitude - ou cette illusion - explique en partie le choix qu'il a fait de rester au gouvernement. Malgré les avis de nombreux conseillers qui souhaitaient qu'il profite de cette "fenêtre de tir" pour abréger le bail qu'il s'est fixé.

LE FARDEAU ET LE FLAMBEAU

Fort d'avoir évoqué "l'après-Villepin", en tête à tête avec Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy imagine être revenu en grâce auprès de lui. Fidèle à la ligne de conduite qu'il s'est fixée vis-à-vis du chef de l'Etat en 1999 - "J'ai décidé de lui faire confiance", avait-il déclaré au pied des marches de l'Elysée -, le président de l'UMP estime que son départ scinderait la majorité et rouvrirait la vieille fracture entre chiraquiens et libéraux. Or, pour gagner en 2007, M. Sarkozy sait qu'il aura besoin des deux forces.

N'ayant pas renoncé à un adoubement en bonne et due forme de M. Chirac, le probable candidat de l'UMP se sent assez fort pour porter à la fois le fardeau de "l'héritage" chiraquien et le flambeau de "la rupture", espérant alléger l'un par les promesses de l'autre.

Pari tenable ? Les sondages le créditent d'une belle avance sur tout autre candidat de son camp. Son image, croit-il, est suffisamment identifiée pour ne pas s'altérer au gré des ralliements et des alliances. Enfin, son statut de "première victime" de l'affaire Clearstream le prémunit, espère-t-il, contre tout risque d'amalgame.

Pourtant, nombreux sont ceux qui, dans son entourage, redoutent qu'il ne soit tombé dans un piège. Ils pressent leur champion de revenir sur sa décision, soupçonnant M. de Villepin de jouer la complémentarité avec son numéro 2 pour mieux l'étouffer, suspectant M. Chirac de se complaire dans un double jeu. A ceux-là, M. Sarkozy répond qu'il a encore du travail à faire au "service des Français", comme une réforme à conduire sur la délinquance des mineurs. Et il pourrait ajouter : des voyages lointains (Etats-Unis, Nouvelle-Calédonie, Antilles) qui, tant qu'il sera au gouvernement, ne seront pas imputés sur le budget de l'UMP ni sur le compte de campagne du candidat.

Conséquence de ce grand bluff, les manoeuvres autour du groupe UMP de l'Assemblée nationale ont repris de plus belle. Une vingtaine de députés inconditionnels de M. de Villepin ont annoncé la prochaine création d'une association qui, au sein de l'UMP servira à "défendre le bilan du président de la République et du gouvernement". Mais que vaut cette phalange face aux 200 députés UMP absents au moment du discours de M. de Villepin lors du débat de motion de censure le 16 mai ? Un chant du cygne dérisoire ou le début d'une reconquête ?

Cette initiative enchante M. de Villepin, qui recommence à confier à ses proches qu'une élection présidentielle se joue dans "les derniers mois" et qu'elle est d'abord "une affaire de psychologie". "Ils vont bientôt s'apercevoir que je suis assez con pour rester jusqu'au bout" : cette phrase attribuée à M. de Villepin lui vaut aujourd'hui d'être finaliste pour le prix "Press-Club de l'humour politique". Mais elle ne fait pas rire tout le monde.

Sources : Le Monde

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Villepin Sarkhozy

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