EADS : le pacte franco-allemand menacé par l'Etat
EADS : le pacte franco-allemand menacé par l'Etat
par Grégoire BISEAU
A la surprise générale, le gouvernement a déclaré devant les députés réfléchir à changer le pacte d'actionnaires d'EADS et la direction du groupe aéronautique en crise.
Qui a dit que les questions industrielles sont bien trop ennuyeuses pour faire le grand spectacle de la politique ? En deux jours, Dominique de Villepin a fait la spectaculaire démonstration que l'on peut mettre le feu à une Assemblée nationale avec des histoires d'entreprises. Le dossier GDF-Suez avait déchiré la majorité UMP pendant une semaine. Et, hier, il a suffi que la question de la confiance à Noël Forgeard, le coprésident français d'EADS, soit posée par François Hollande, pour que Dominique de Villepin accuse le premier secrétaire du Parti socialiste de «lâcheté» et provoque la sortie immédiate du groupe PS de l'hémicycle. Et le Premier ministre de déclarer dans la foulée qu'«il remettrait les choses à plat» concernant le pacte d'actionnaires du groupe européen. Avec 15 % du capital, l'Etat est, en effet, le premier actionnaire français avec Lagardère (7,5 %), à parité avec leur partenaire allemand le groupe privé DaimlerChrysler (22,5 % du capital). Le Premier ministre ne peut pas ignorer qu'une telle «remise à plat» signifie envoyer illico la relation franco-allemande, déjà mal en point, au bloc opératoire.
Quelques minutes avant, Thierry Breton, le ministre de l'Economie, avait chauffé la place en annonçant devant les députés qu'il venait tout juste de rencontrer Arnaud Lagardère «pour parler avec lui des évolutions éventuelles» de l'actionnariat du management du groupe européen. En clair, le gouvernement ne s'interdit rien : ni de virer Noël Forgeard, ni de modifier l'équilibre des pouvoirs au sein d'EADS. Bref, une vraie bombe, lâchée là en plein milieu des députés. C'est d'autant plus surprenant que ce n'est pas le genre de Thierry Breton de mettre les pieds dans le plat, et que Jacques Chirac avait assuré publiquement la semaine dernière Noël Forgeard du soutien du gouvernement. Pourquoi alors cette double déclaration de guerre ? Trois explications.
1) Un jeu politique
«C'est pas rationnel», «c'est totalement surréaliste», «un emballement politicien», «tout le monde sait que l'on ne bougera pas d'un iota sur cette question du pacte d'actionnaires». Voilà comment, hier, les entourages de Noël Forgeard et d'Arnaud Lagardère réagissaient à la mise en garde du gouvernement. «Il veut quoi, renationaliser EADS ou dissoudre le pacte des actionnaires ? J'espère que les politiques ont conscience que, pour les Allemands, le vrai problème, c'est la présence de l'Etat au capital du groupe», s'interrogeait, hier, un proche d'Arnaud Lagardère. Dans la soirée, à Bercy, on tentait de calmer le jeu. «La priorité du gouvernement n'est pas de changer le pacte, mais d'apporter des réponses aux problèmes industriels qui ont causé le retard de l'A380», dit un conseiller de Breton. A l'Elysée, même tonalité : «Il ne faut rien s'interdire, mais la priorité c'est l'A380.»
2) La peur d'un délit d'initié
Et si l'Etat français craignait un gigantesque délit d'initié ? Noël Forgeard aurait vendu ses stock-options, en mars, puis Lagardère et DaimlerChrysler 7,5 % du capital d'EADS, début avril, choisissant de garder pour eux les informations sur le retard probable de l'A380... Si tel était le cas, le gouvernement aurait intérêt, par mesure de précaution, à prendre fissa ses distances avec le groupe pour ne pas être emporté par le scandale. Hier, l'Autorité des marchés financiers (AMF) confirmait que ses enquêteurs dépêchés au siège d'Airbus à Toulouse lundi avaient choisi de prolonger leur séjour. «S'ils sont bons et persistants, ils trouveront des éléments de preuve», assure un très bon connaisseur de la maison Airbus. Pour l'instant, à l'Elysée et à Bercy, on jure bien sûr n'avoir aucune remontée d'information : «On laisse l'AMF faire son travail, et on en tirera les conséquences le moment venu.» Chez Lagardère et dans l'entourage du coprésident d'EADS, on affichait hier la plus grande sérénité.
3) Le rapport de force avec les Allemands
«Le gouvernement est simplement en train de réaliser que la guerre des chefs au sein d'EADS qui a eu lieu en 2004 a fait un dégât considérable et qu'il doit reprendre la main», décrypte une source proche du dossier. D'autant que, pour beaucoup, les Allemands d'EADS sont décidés à profiter de cette crise pour se débarrasser de Forgeard, déjà très fragilisé. «Si Thomas Enders, le coprésident allemand d'EADS, est resté très en retrait de cette affaire, ce n'est pas un hasard», assure un ancien cadre d'Airbus. D'où l'intérêt pour l'Etat français de montrer ses muscles. Tant qu'il est encore temps.
Sources : Libération
Posté par Adriana Evangelizt