Vincent Geisser, un spécialiste de l’islam sous haute surveillance

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Vincent Geisser pratiquement victime d'un inquisiteur, serait-ce possible ? Quand on lit la généalogie des Illand, effectivement, on retrouve quelques curés, diantre ! Génétiquement parlant, tout s'explique !






Vincent Geisser, un spécialiste de l'islam sous haute surveillance


par Thierry Leclère



Un mystérieux "fonctionnaire de défense" qui surveille les déplacements et les fréquentations des chercheurs du CNRS. Un sociologue, spécialiste de l’islam, soupçonné de mauvaises pensées… L'"affaire Vincent Geisser" démontre combien le climat sécuritaire post-11 septembre a contaminé le milieu universitaire. Au point de soulever l’indignation de centaines d’intellectuels, inquiets pour leur liberté de pensée.


Edgar Morin, Etienne Balibar, Patrick Weil, Eric Fassin, Olivier Roy, Tzvetan Todorov, Alain de Libera. Une liste de signataires à faire pâlir d’envie tout éditeur en sciences humaines. Et tout le gratin du milieu universitaire réuni dans un tout nouveau « collectif pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs de la fonction publique ». Hier,
plus de 1300 signataires ont paraphé la lettre ouverte au ministre de l’enseignement et de la recherche, Valérie Pécresse. Les signataires craignent que l’obligation de réserve des fonctionnaires ne soit opposée aux intellectuels français (eux-mêmes fonctionnaires du public, dans leur grande majorité) pour leur brider la parole. Pourquoi ce remue-ménage et cette mobilisation menée comme une opération commando par l’universitaire Esther Benbassa, spécialiste de l’histoire des juifs ?

C’est l’annonce du passage en commission disciplinaire, lundi 29 juin, du sociologue Vincent Geisser, spécialiste de l’islam en France, qui a provoqué la bronca. A l’origine de cette affaire, un conflit vieux de cinq ans entre ce jeune chercheur et le « fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS », Joseph Illand, qui, estime Vincent Geisser, « surveille ses écrits et sa pensée ». Illand, d’après le chercheur, aurait constitué au fil des années « un dossier complet sur (ses) activités publiques et (ses) prises de parole à l’étranger ». Il n’aurait pas cessé de lui mettre des bâtons dans les roues au point de faire même capoter l’une de ses enquêtes sociologiques sur les chercheurs français maghrébins ou d’origine maghrébine (
lire le témoignage de Vincent Geisser).

Première surprise : qui est ce « fonctionnaire de défense » qui ressemble furieusement à un personnage de roman d’espionnage à la John le Carré ? Jusqu’à cette affaire, Vincent Geisser et ses collègues de l’Iremam d’Aix en Provence (l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman, rattaché au CNRS) ne connaissaient pas son existence. D’après une autre chercheuse de l’Iremam Françoise Lorcerie,
citée par Libération, ce « FD », fonctionnaire de sécurité de défense, « dont il semble qu’il ait le grade de général » a un droit de regard sur les travaux supposés sensibles des chercheurs : « Quand on part en mission à l’étranger dans des pays sensibles, on est obligés de lui communiquer nos plans de mission : qui on va rencontrer, où on va loger, et on doit avoir son autorisation pour partir ».

Les chercheurs qui travaillent sur l’islam et l’islamisme croisent évidemment sur leur chemin des « fonctionnaires de défense » et des agents des services secrets aux missions plus ou moins claires. Mais de là à être fiché, observé, au sein même de son organisme de recherche, par un collègue aux pouvoirs hiérarchiques obscurs... Les lecteurs les plus assidus du journal du CNRS avaient pu avoir un avant goût des tâches de Joseph Illand
puisqu’il s’expliquait ici, en 2004, sur sa mission, allant de « la fuite de secrets-défense à l'utilisation frauduleuse de moyens informatiques, en passant par le pillage technologique ».

Dans la
lettre de convocation en commission disciplinaire adressée à Vincent Geisser la direction du CNRS reproche au chercheur d’avoir manqué à l’obligation de réserve en ayant tenu des propos « aux conséquences dommageables » à l’égard de Joseph Illand. Dans un mail privé, qui a atterri sur un blog, contre la volonté de son auteur, Vincent Geisser avait comparé l’action sécuritaire du « FD » « aux méthodes utilisées contre les juifs et les Justes ». Il reconnaît l’excès de ses propos mais estime surtout que cet homme l’a « harcelé moralement » et a voulu le faire passer pour un chercheur suspect « d’infiltrer le CNRS, au service d’un ‘lobby islamique’ ».

Pour qui connaît les travaux de Vincent Geisser, il n’y a guère de doute : les prises de positions du bouillonnant auteur de La nouvelle islamophobie (La Découverte, 2003), dénonçant de nouvelles formes de racisme anti-arabe – à l’égard des filles voilées, notamment – a pu déchaîner les passions. Mais Vincent Geisser n’est en rien un crypto-islamiste ou un idéologue déguisé en chercheur.

Alors, excès de zèle d’un « fonctionnaire de défense » imprégné de la doxa sécuritaire post-11 septembre ? Si c’était le cas, ce serait déjà grave. Le spécialiste de l’islam, Olivier Roy,
semble confirmer cette hypothèse puisque le même « FD » lui avait déjà reproché , dans un mail « de mieux traiter l’islam que le christianisme »… Inquiétante, et surtout ridicule admonestation, à l’égard de l’un des meilleurs spécialistes en France de la question !

Pour Esther Benbassa, « l’affaire Geisser » a valeur d’exemple. Cette historienne travaillant elle aussi dans un domaine sensible – l’histoire des juifs et le judaïsme – s’inquiète du climat actuel à l’Université et des risques de pression du pouvoir politique sur les chercheurs : « L’obligation de réserve ne peut en aucun cas valoir pour les intellectuels, y compris lorsqu’ils sont fonctionnaires » écrit-elle dans la
lettre à la ministre Valérie Pécresse. « Les y soumettre revient purement et simplement à les faire disparaître comme intellectuels ».

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Témoignage de Vincent Geisser

"Motion  de soutien à notre collègue Vincent Geisser"

Sources Télérama

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