Montebourg : Sarkozy, la dérive absolutiste

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Montebourg : Sarkozy, la dérive absolutiste


« Avec la pratique sarkozienne du pouvoir, nous observons l’accentuation de la dérive absolutiste. Le centre de gravité de la République s’est déplacé vers le président. Le parlement n’est plus qu’un théâtre artificiel et les conseillers ont remplacé les ministres, transformés en figurants dépossédés du pouvoir de décider. » Jamais avare de formules qui claquent, Arnaud Montebourg dresse son acte d’accusation contre l’action du gouvernement et les transfuges du PS.

entretien paru dans l’hebdomadaire Le Point daté du 1er novembre 2007

Le Point : Le 6 novembre marquera les six premiers mois à la tête du pays de Nicolas Sarkozy. Economie, immigration, politique étrangère : quel est votre jugement sur ces sujets ? Commençons par la loi sur l’immigration, par exemple, donc la polémique sur les tests ADN.

L’affaire est sérieuse. Ces tests génétiques renvoient à la conception assez effrayante chez Nicolas Sarkozy : celle du déterminisme génétique des individus. Rappelez-vous sa conversation avec le philosophe Michel Onfray. Ministre de l’Intérieur, il déclara que la pédophilie ou les tendances suicidaires n’appartiennent pas à la trajectoire personnelle acquise de l’individu, mais à des déterminants génétiques.

Cette conception -anti scientifique- conduit à la fin de toute rédemption. L’individu n’est plus libre car enchaîné dans ses gènes et ne peut s’améliorer et racheter son comportement. C’est la raison pour laquelle les chrétiens ont été ulcérés par cette glaçante philosophie, tout comme les républicains devant la ruine du modèle rédempteur incarné par Jean Valjean dans les Misérables. Avec cette idéologie, les mesures d’éducation n’ont plus aucun sens. En revanche, l’enfermement et le bio-contrôle des individus est justifié.

C’est l’arme idéologique des régimes autoritaires à laquelle le président Sarkozy a prêté une oreille involontairement attentive. Ce n‘est pas pour rien que François Léotard s’inquiète du révisionnisme de l’histoire de France selon Nicolas Sarkozy.

Révisionnisme ? Vous y allez fort, non ?

Non. Sarkozy cherche à faire avec l’histoire ce qu’il a fait en politique électorale : fusionner la droite et l’extrême-droite. La réhabilitation en sous main des valeurs de l’extrême droite pétainiste a contaminé sa vision officielle de l’histoire de France au prix d’un arasement progressif des valeurs du Gaullisme. Il eût été un minimum de rappeler dans la circulaire qui accompagnait l’hommage à Guy Môquet qu’il avait été d’une part militant communiste, d’autre part qu’il avait été arrêté par des policiers français du régime de Vichy pour le compte des nazis.

Avec les tests ADN, on met la génétique à la disposition de la police administrative. Cela renvoie au seul texte qui a établi un classement policier des individus selon leur hérédité génétique : la loi sur le statut des juifs de 1940. Voilà pourquoi, trois anciens Premiers ministres de droite ont refusé ces tests et pourquoi la majorité UMP a failli être minoritaire en perdant 50 voix le jour du vote à l’Assemblée nationale.

Ces tests se pratiquent pourtant dans une dizaine de pays européens...

C’est inexact. Seuls deux pays européens les utilisent. Mais, en France, on assiste à ce que le président de la CNIL, le sénateur UMP Alex Türk, a décrit comme « une dérive très dangereuse dans le fichage des individus ». Depuis cinq ans, et la présence de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur n’y est pas pour rien, on crée un fichier à chaque problème. Si vous ajoutez à cela l’usage à des fins administratives du contrôle biologique des individus, nous entrons dans une nouvelle ère. Benjamin Franklin a dit : « Ceux qui abandonnent une liberté essentielle pour une sécurité minime et temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité ». Méditons cet aphorisme.

Comment jugez-vous l’exercice du pouvoir par Nicolas Sarkozy ?

Avec la pratique sarkozienne du pouvoir, nous observons l’accentuation de la dérive absolutiste. Le centre de gravité de la République s’est déplacé vers le président. Le parlement n’est plus qu’un théâtre artificiel et les conseillers ont remplacé les ministres, transformés en figurants dépossédés du pouvoir de décider. Le problème, c’est que les conseillers du président, le secrétaire général, le Président lui-même, tous ceux qui font la politique, ne rendent de comptes à personne. Cette situation n’existe dans aucune démocratie contemporaine. Nous sommes sur la pente inquiétante de l’excès de pouvoir, que rien ne pourra arrêter !

Le droit donné au président de la République de se présenter devant l’Assemblée, comme le propose la commission Balladur, serait-il une avancée ?

Au contraire, ce serait un recul. S’il se présente devant l’Assemblée, le président doit encourir la censure. L’équilibre des pouvoirs l’exige : le parlement a droit de vie et de mort sur le gouvernement avec la censure, et le président a droit de vie et de mort sur le parlement avec la dissolution. Or, en se présentant devant l’Hémicycle, Nicolas Sarkozy tiendrait les députés en respect avec l’arme de la dissolution sans que ceux-ci puissent le censurer.

Les socialistes critiquent sa proximité avec George W. Bush. Vous êtes anti-américain ?

Il y a peu, l’ambassadeur des Etats-Unis en France, Craig Stappleton, m’a demandé pour quelle raison nous étions contre les Etats-Unis. Je lui ai répondu que nous les socialistes étions de fervents admirateurs du peuple américain, mais que nous combattions ouvertement l’administration Bush. Elle est responsable, à nos yeux, de l’aggravation de nombreux problèmes planétaires. Nicolas Sarkozy, lui, choisit ses vacances pour faire une visite à un président conspué dans son propre pays, sans poser sur la table nos désaccords. Comme s’il voulait transformer la France en meilleur élève neoconservateur de la classe Bush !

Ce n’est pas de la diplomatie, c’est une affaire privée...

Non. Deux présidents qui se rencontrent en vacances, c’est de la diplomatie. Et l’alignement sur la politique de Bush est de plus en plus marqué, si on en juge par les déclarations à l’égard de l’Iran. Monsieur Sarkozy a affirmé devant les ambassadeurs que son bombardement était possible alors que d’après les spécialistes onusiens et français, les iraniens ne maîtriseront pas la technologie interdite avant plusieurs années. Monsieur Kouchner a évoqué la perspective d’une guerre... Monsieur Fillon a parlé de « tensions extrêmes » entre la France et l’Iran mettant une huile inutile sur le feu international. Et, pour couronner le tout, le ministre de la Défense, monsieur Morin, explique qu’il faudrait revenir dans le giron de l’Otan, au sein de son commandement intégré. Tout ça en un mois ! Un enterrement de première classe du gaullisme diplomatique !

Comment, au PS, juge-t-on le rôle de Bernard Kouchner ?

Bernard Kouchner est un soutien de longue date des bellicistes américains, qui a trouvé au Quai d’Orsay son terrain d’entraînement. Il est le seul qui, contre l’avis de tout le parti socialiste, avait approuvé l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Mais, de façon moins anecdotique, Nicolas Sarkozy nous emmène dans une aventure qu’il ne maîtrise pas. Il se transforme en soutien d’intérêts qui ne sont pas les nôtres, dans une glissade dont on ne sait pas où elle s’arrêtera. Au moment où l’Espagne, l’Italie et l’Angleterre se sont retirées du processus d’adhésion aux excès du bushisme, la France aurait-elle décidé de se jeter dans la marmite bouillante des faucons américains ?

Passons à l’économie. Quel bilan faites-vous des premières mesures du gouvernement ?

Celui d’une incroyable incompétence économique et financière. Voilà une équipe qui a fait de l’endettement du pays l’un des thèmes centraux de sa campagne, mais quel est son premier geste une fois au pouvoir ? Jeter par les fenêtres 15 milliards d’euros (100 milliards de francs) avec le paquet fiscal de l’été, alors que nous avons un déficit de 41 milliards. Et pourquoi ? Pour satisfaire des intérêts corporatistes et électoraux. Deux mois plus tard, le Premier ministre déclare le pays en faillite... Les auteurs de la faillite sont ceux qui gaspillent l’argent public pour ensuite la faire payer par les classes moyennes et populaires, c’est-à-dire le plus grand nombre. Semaine après semaine, nous interrogeons le ministre des comptes public pour qu’il promette de ne pas augmenter la TVA, la CSG et la CRDS. En réponse, il esquive et regarde ses chaussures.

Ces augmentations sont inéluctables à vos yeux ?

Evidemment. Au PS, nous pensons qu’elles auront lieu entre les municipales et la présidence française de l’Union Européenne, en juin prochain, afin de présenter une meilleure crédibilité devant nos partenaires européens. Je n’ai aucun doute sur la hausse de la TVA et de la CRDS puisque les comptes sociaux sont dans un état d’alerte maximale. Je rappelle que le bouclier fiscal a concerné 2398 contribuables. Le gouvernement leur a restitué la somme de 120 millions d’euros, l’équivalent de 100 000 SMIC de remise fiscale ! Cela n’a aucune utilité dans cette période de déséquilibre dramatique des comptes publics. Je crains que la nation ne paie très cher une telle incompétence.

L’utilité, c’est renforcer le pouvoir d’achat ?

Le gouvernement ne traite pas sérieusement la question. Durant la campagne électorale, le candidat de l’UMP défendait la valeur du travail sans jamais s’intéresser à son prix, qui est sa véritable valeur, c’est-à-dire les salaires. Si vous voulez revaloriser le travail, il faut augmenter les salaires, tout en évitant d’exposer les entreprises les plus engagées dans la compétition internationale. Or, que fait-on ? On gèle les salaires et on propose des heures supplémentaires défiscalisées qui ne concerneront pas des millions de salariés, comme ceux qui ont des accords d’annualisation du travail ou ceux qui sont en temps partiel et qui voudraient travailler à temps plein.

Pourtant travailler plus pour gagner plus, c’est bon pour l’économie et le pouvoir d’achat, non ?

Non, c’était un leurre, et de haute voltige ! Je crains que cela n’ait produit une espérance de pouvoir d’achat sans aucun lendemain. Pendant ce temps, les prix des denrées alimentaires, de l’énergie et du logement explosent. Aujourd’hui deux petits salaires ne permettent plus à une famille de vivre.

Vous exagérez !

Nullement. Je suis l’élu d’une région agricole et industrielle (la Bresse , NDLR), où l’on vit avec de tout petits revenus. Les employés, les ouvriers, les cadres moyens, les retraités, tous ceux-là sont asséchés. Au 15 du mois, certains me disent : « Comment je fais pour finir ? ».

La réforme des régimes spéciaux ne vous paraît-elle pas aller dans la bonne voie ?

Mais les régimes spéciaux ne concernent que 5% des retraités ! Il reste donc 95% du problème à traiter. Cette réforme est utilisée comme une sorte de chiffon rouge. Elle n’est en rien le remède aux problèmes de financement qui nous attendent. Je rappelle que le déficit du régime général atteint près de 3 milliards d’euros cette année !

Leur réforme est pourtant nécessaire, non ?

Bien sûr. Le PS est favorable à l’évolution, mais dans une négociation générale et décloisonnée. Que fait-on des millions de salariés qui travaillent pendant trente ans à la chaîne, debout, dans le froid, la nuit ? Pour eux, il n’est pas injustifié au regard de l’inégalité devant l’espérance de vie dont ils sont victimes que la pénibilité des taches leur donne droit à une nouvelle forme de solidarité nationale à travers le maintient de la retraite à 60 ans. Ils ont écouté les promesses du candidat Sarkozy, qui s’est mis à prononcer pour la première fois de sa vie le beau mot de travailleur dans sa campagne électorale. Mais ils ne voient rien venir.

En gros, vous rejetez tout. N’êtes-vous pas systématiquement négatif ?

Certes, les annonces du Grenelle de l’environnement sont très positives, même si elles ne sont pas encore financées. Pour le reste, je cherche les initiatives intelligentes. Nous avons soutenu la déduction fiscale pour les investissements dans les PME, car c’est une très bonne mesure. Mais elle est infinitésimale dans l’océan de cadeaux improductifs accordés à des situations de rentes patrimoniales.

L’ouverture ?

C’est un bric-à-brac politicien qui s’appuie sur la faiblesse humaine. Nicolas Sarkozy veut faire valider ses dérives par des personnes dont l’apparence pourrait faire penser qu’elles peuvent porter des convictions de gauche.

Aucune personnalité d’ouverture ne trouve grâce à vos yeux ?

Non. Elles sont surtout au service d’elles-mêmes. Elles ne peuvent pas porter des convictions contrecarrés chaque jour par les décisions gouvernementales.

Même Fadela Amara ?

Fadela Amara a désapprouvé des choix qui ont néanmoins été entérinés, comme les tests ADN. C’est donc qu’elle ne joue aucun rôle. Elle n’est là que pour servir un tout autre but que la satisfaction des convictions qu’elle prétend défendre. Que fait-elle encore au gouvernement ? Même chose pour Martin Hirsch : il a désapprouvé les franchises médicales, puis il les a avalées. Ce sont donc des élevages entiers de couleuvres que tous ces gens vont devoir ingurgiter, au nom du plaisir insigne et égoïste qu’ils ont à être dans l’apparence du pouvoir. Mais le pouvoir, ce n’est pas eux qui l’ont.

Les ministres d’ouverture désavouent par leur action le PS, qu’ils jugent incapables de réformer la société. Comment le rendre à nouveau attractif ?

Nicolas Sarkozy est fort de nos faiblesses. Je suis très malheureux que le PS ait décidé de débrancher son propre cerveau. Il est en électro-encéphalogramme plat, sous prétexte que des élections municipales arrivent et qu’il ne faut pas nous remettre en question.

Pour cela, ne faudrait-il pas un nouveau leader au PS ?

Ne mettons pas la charrue devant les bœufs. Tout chef qui s’avancera sur ces ruines ne sera que le chef des ruines. Si on continue nos combats de gladiateurs, on arrivera encore une fois en miettes à l’échéance de 2012. Je préconise donc de mettre au pot nos idées et de commencer à contre-proposer. Nous avons commencé à le faire dans le groupe parlementaire, qui, fort heureusement, est à l’abri des mauvaises influences du parti.

Le Premier secrétaire élu en 2008 sera-t-il le candidat de 2012 ?

Non. Ce sera avant tout un reconstructeur du parti, entouré d’un collectif. Le temps des reconstructeurs est venu. L’opposition, nous la commençons dans vos colonnes.

Propos recueillis par Denis Demonpion et Michel Revol

publication originale Le Point, via Rénover Maintenant

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Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Arnaud Montebourg

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