VILLEPIN SARKOZY : LES DEUX FRANCE
Le premier prône la « rupture », le second le « sursaut »...
Sarkozy-Villepin : les deux France
par Hervé Algalarrondo
Le président de l'UMP voit la France telle qu'elle est, avec ses chômeurs, ses exclus, sa dette. Pour la faire redémarrer, il préconise d'« essayer ce qui marche ailleurs » et appelle à la création d'un « nouveau modèle social ». Le Premier ministre, lui, croit à la France éternelle, singulière, qui « ne décroche pas » et garde intacte « la flamme d'une grande nation ». Ce qui n'empêche pas les deux rivaux de proposer des solutions économiques souvent très proches...
A droite, conformément à la tradition gaulliste, chaque leader s'applique à défendre une « certaine idée de la France ». Curieusement, Nicolas Sarkozy s'était jusqu'ici dispensé de le faire. Il l'a reconnu à La Baule, lors de la dernière université d'été de l'UMP: « La France ! Voici un mot que l'on ne prononce pas assez souvent. » La remarque avait valeur d'autocritique: le mot était d'abord absent de ses discours. Alors que Villepin parle France comme il respire, le ministre de l'Intérieur ne déteste rien tant que les cocoricos. Tout simplement parce qu'il pense que la France, depuis quelques décennies, a posé son baluchon.
C'est ce diagnostic sans complaisance qu'il a détaillé à La Baule. « La France, c'est une nation qui a souvent montré le chemin au monde mais qui donne le sentiment parfois de se reposer sur des lauriers glanés il y a bien des années. » Et d'appeler les Français à un peu plus d'humilité: « La France ne doit pas considérer que les efforts, pour mériter son statut, ne sont que pour les autres pays, et qu'elle peut s'en abstraire. » Dès son arrivée à Evian, au début de la semaine, à l'occasion des journées parlementaires de l'UMP, il a repris ce thème: « D'autres ont su réagir mieux que nous » à la montée du chômage, à la nouvelle donne économique, a-t-il déclaré devant les militants UMP réunis au palais des congrès. La France, cancre de la mondialisation: Nicolas Sarkozy a cette conviction chevillée au corps. Sans le dire explicitement, il est « décliniste », intimement persuadé que la France n'est pas à la hauteur de son « glorieux passé ». Une thèse que Dominique de Villepin rejette de toutes ses fibres. Lucide sur les paramètres économiques, le Premier ministre ne nie pas que la France ne soit pas au meilleur de sa forme. Mais il l'a posé en préambule d'un de ses livres, « le Cri de la gargouille » (1): « Je garde une conviction pour fil d'Ariane: la France a une âme, un destin qui même au bord du gouffre lui fera trouver la parade, l'antidote au venin mortifère, l'issue au cauchemar. Elle vacille, mais ne tombe pas. » Foi de Villepin, la France est éternelle !
Deux hommes, deux France. Jamais peut-être, à droite, deux leaders n'avaient posé des regards aussi opposés sur l'Hexagone. Pour Sarkozy, la France est un pays déchu. Comme il l'a déclaré récemment au « Monde », il veut « voir la France telle qu'elle est, pas telle qu'on la rêve ». Pour Villepin, la France a perdu quelques batailles, mais sûrement pas la guerre. « La France n'a pas décroché», a-t-il lancé au cours de cette même université d'été de La Baule. Dans « le Cri de la gargouille », il s'était fait lyrique: « La France brûle encore d'un désir d'Histoire ; elle a gardé intacte la flamme d'une grande nation, ardente à défendre son rang. »
Cette différence d'approche nourrit la querelle sur le « modèle social français ». Pour le président de l'UMP, ceux qui le défendent sont des escrocs, intellectuellement s'entend. Son jugement est sans appel: « La France ne peut plus affirmer avoir le meilleur modèle social, alors que nous comptons encore tant de chômeurs, tant de pauvres, tant d'exclus. » Et d'appeler sans précaution à la construction d'un « nouveau modèle français ». Villepin est beaucoup plus circonspect. Tout l'enjeu de sa politique est de « remettre d'aplomb le modèle social français », dont il doute qu'il soit en complète décrépitude: « Ne vaut-il pas mieux être soigné et transporté en France que dans les pays voisins ? », a-t-il demandé lors de l'université d'été.
Sarkozy est cohérent avec lui-même. Jugeant la France en panne, il estime nécessaire pour les responsables politiques de regarder du côté des pays qui font la course en tête. Il l'a martelé à La Baule: il faut « regarder tout ce qui est réussi dans le vaste monde, et ne pas hésiter à s'en inspirer. Il ne s'agit pas de copier un modèle quel qu'il soit. Il ne s'agit pas de refuser une vision exclusivement hexagonale de l'évolution de notre pays. » Et d'enfoncer le clou: « Pourquoi interdire aux Français d'essayer ce qui marche ailleurs ? » Du coup, il rejette tous les tabous, n'hésitant pas, par exemple en matière d'intégration, à prôner une « discrimination positive » inspirée des Etats-Unis et étrangère au modèle républicain.
Dans le discours sarkozien, c'est sans doute ce qui choque le plus Dominique de Villepin&: l'idée que la France serait désormais une nation en kit, réduite à piquer sa politique de l'emploi au Danemark, sa politique budgétaire aux Pays-Bas, etc. Lui croit à la « singularité » de la France, à son génie propre. Il récuse l'adoption d'un « autre modèle ». En particulier, il rejette le modèle anglo-saxon: « L'avenir ne se réduit pas au libéralisme des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne dont le laisser-faire creuse les ornières du laisser-de-côté. Une autre voie reste possible à condition de rester fidèle au meilleur de notre héritage. » « Le parti de l'étranger »: c'est ainsi que Chirac avait défini Giscard dans son célèbre appel de Cochin. Il ne faudrait pas beaucoup pousser Villepin pour qu'il reprenne la formule à destination de Sarkozy.
Ce rapport si différent à la France est bien sûr le produit de leurs itinéraires. Le chef du gouvernement et son ministre de l'Intérieur sont des Français particuliers. Le premier est un Français de l'étranger. Né au Maroc, il a grandi en Amérique avant de devenir diplomate. Le second est un Français de la première génération. Fils d'un émigré hongrois qui a vite déserté le foyer conjugal, il s'est attaché à son grand-père maternel, un juif de Salonique profondément gaulliste. En sa compagnie, il allait, enfant, voir le général de Gaulle ranimer la flamme sur la tombe du Soldat inconnu, place de l'Etoile. Villepin aussi a eu son enfance bercée par le général de Gaulle. Mais de façon beaucoup plus lointaine. « Sur ondes courtes », à des milliers de kilomètres, il écoutait, comme il l'a rapporté à Evian, l'homme du 18-Juin parler d'« une France qui ne se cabrait pas ».
Sarkozy a zappé ses souvenirs d'enfance. Alors qu'il est aujourd'hui le président d'un parti qui est d'abord l'héritier des formations gaullistes successives, il évoque rarement le fondateur de la Ve République dans ses discours. De Gaulle, connais pas ! Du temps où il faisait équipe avec Edouard Balladur, il se présentait volontiers comme « un UDF avec une tête de RPR »: entendez un orléaniste bon teint doté d'un tempérament bonapartiste, pour reprendre la célèbre distinction de René Rémond sur les deux droites.
De Gaulle, il connaît tout ! La référence gaullienne est omniprésente dans le discours de Villepin. Lui revendique hautement d'être un gaulliste avec une tête de gaulliste. Cela n'empêche pas les deux hommes de prôner souvent des solutions similaires sur des problèmes concrets. Sur le terain économique notamment, ils sont loin d'être en complète opposition. Villepin récuse le libéralisme mais, comme le montre la création du contrat nouvelles embauches, il n'hésite pas à l'occasion à prendre de singulières libertés avec le Code du Travail. A l'inverse, Sarkozy n'est pas le libéral pur sucre parfois décrit à gauche. Lors de son dernier passage à Bercy, les Allemands ont critiqué son dirigisme en matière de politique industrielle. C'est « un faux Américain », estime le « New Yorker », c'est-à-dire un Américain à la sauce française, interventionniste.
Sur le fond, Sarkozy ne se veut pas le chantre de la France mais d'une France, « la France qui se lève tôt le matin», comme il l'exalte à longueur de discours, la France qui travaille, montrant du doigt les chômeurs et les titulaires d'allocations soupçonnés d'être des adeptes de la grasse matinée. Villepin récuse cette thématique au parfum droitier. « A La Baule, Sarkozy a fait le procès du social », juge un villepiniste, qui ajoute: « Le Premier ministre a au contraire en permanence le souci de l'équilibre entre nécessités économiques et justice sociale. »
Emporté par son élan, Sarkozy prône désormais une « rupture ». Pessimiste sur la France, il est plus optimiste sur les Français. « Ils n'ont pas peur du changement. Bien au contraire, ils l'espèrent, l'attendent, l'exigent. » Villepin est plus prudent, timoré presque. « Au coeur du mystère français, a-t-il écrit dans "le Cri de la gargouille", gît un sentiment profond, irrationnel, irréductible aux statistiques mais pourtant presque palpable: la peur qui court le long des siècles. » La peur des invasions hier, la peur de la mondialisation aujourd'hui. D'où son souci de ne pas violenter les Français, même si, gaullien, forcément gaullien, il croit en la nécessité d'un « sursaut ».
Ce dimanche, le résultat des élections allemandes est venu temporairement arbitrer ce débat naissant entre les deux France. Angela Merkel, qui incarne à sa manière une volonté de rupture, n'a pas obtenu outre-Rhin le succès annoncé par les sondages. D'où une certaine perplexité chez les parlementaires UMP réunis à Evian. Pour la plupart, ils font de Sarkozy leur champion pour 2007 tout en partageant sur le fond les analyses de Villepin. Le constat est incontournable: si la gauche est plus que jamais « plurielle », la droite, elle, est durablement menacée de schizophrénie.
Sources : LE NOUVEL OBSERVATEUR
Posté par Adriana Evangelizt
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