Jacques Chirac, du "jeune loup" au "vieux lion"

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Avec un beau tableau du Président en  Bonaparte. Mais pas n'importe lequel.

Jacques Chirac, du "jeune loup" au "vieux lion"


par Béatrice Gurrey


Voici l'histoire d'un homme dont la carrière politique commence "sous Kennedy et Khrouchtchev" et s'achève quand ces deux mythes de l'Amérique et de l'Union soviétique ont disparu depuis des lustres. La vie de Jacques Chirac est d'abord un récit de longévité, dont Patrick Rotman nous offre, en deux films de 100 minutes, la trame chronologique. Films d'archives, photos alternent avec une vingtaine de témoignages actuels d'hommes politiques de droite et de gauche, tandis que le commentaire du réalisateur tente de démêler l'écheveau de cette vie hors du commun. Y parvient-il ?

La première partie, intitulée Le Jeune Loup, est indéniablement la plus réussie. Elle ne révèle aucun fait extraordinaire ou méconnu, mais un excellent travail d'archives met en lumière cette partie de la vie de Jacques Chirac, animée par une sorte d'ambition joyeuse et bénie par la réussite. "Jacky", fils chéri de Marie-Louise, petit-fils de quatre grands-parents instituteurs et institutrices, était, à l'en croire, "plutôt gâté". "Quand j'avais besoin de quelque chose, j'étais prioritaire", raconte-t-il sans forfanterie, dans un témoignage en voix off recueilli voilà plusieurs années, car l'acteur principal a refusé de participer à ce documentaire, tout comme la plupart des grands ténors de la droite.

UNE "GÉNÉRATION" PROCHE DES AFFAIRES

Du beau gosse insolent, animé d'idées généreuses, qui entre à Sciences Po à 18 ans, à l'énarque bien classé qui repart en Algérie en 1959, après y avoir servi deux ans comme sous-lieutenant, aucun épisode essentiel de la prime jeunesse n'est oublié. Pas même la petite amie américaine, du temps où le futur président vendait des glaces - "vingt-huit sortes", dit-il - chez Howard Johnson. Et surtout pas la pétition que Bernard Stasi, un copain de promo, lui fit signer in extremis à l'ENA en faveur du général de Gaulle, alors que le coeur de l'ancien officier penchait vers l'Algérie française. Un geste qui a sans doute changé le sens de sa vie politique. "Il a été le dernier à signer. Je crois qu'il a bien fait", sourit Stasi.


C'est aussi l'histoire d'une "génération" que raconte Rotman, qui écrivit sous ce titre un roman, avec Hervé Hamon. Une génération d'hommes nourrie des relations incestueuses entre la politique et les affaires. Marcel Dassault, ami de la famille, finance les campagnes du jeune Chirac, chargé du secteur aéronautique à Matignon. Et la pompe à finances, puisant à diverses sources, ne fait que s'amorcer. Lors d'un débat télévisé avec Georges Marchais, redoutable bretteur qui lui demande s'il est prêt à faire voter une loi sur le financement de la vie politique, Chirac répond, mal à l'aise : "C'est sans aucun doute un problème à étudier", puis il jette un coup d'oeil inquiet et furieux vers le public du studio, qui n'a pu s'empêcher de rire.

Cette première partie dépeint encore l'influence des mentors, qui permirent l'avènement d'une carrière pour laquelle l'impétrant avait des dispositions. Pompidou, bien sûr, qui le distingua lui, plutôt qu'Edouard Balladur. Assidu à ses soirées où brillent intellectuels et artistes, secrétaire d'Etat puis ministre qui remplit avec zèle les tâches qu'on lui assigne, Chirac est effondré à la mort de ce père spirituel. "Il a été profondément affecté, ce n'était pas seulement un deuil, mais une douleur", se souvient Pierre Messmer. Une autorité morale et politique qui n'hésitait pas à étriller le nouveau châtelain de Bity. Au premier rang des mentors se tient aussi le duo des "diaboliques", Pierre Juillet et Marie-France Garaud, dont Bernadette Chirac eut, dit-on, raison. Histoire connue mais que l'on revoit avec étonnement, car elle n'a pas d'équivalent aujourd'hui.

"LE TERRAIN A ÉTÉ NETTOYÉ"

Les séquences, le montage choisis par Patrick Rotman pour dépeindre les relations avec Valéry Giscard d'Estaing ne feront sans doute pas plaisir à l'ancien président de la République. A dire vrai, il apparaît assez ridicule. Tantôt monarque prétentieux, tantôt gandin de la politique qui se fait plumer par un roué qu'il méprise, l'Ex perd le match face à Chirac. Car celui-ci peut avoir "tué" Chaban politiquement, ravi le parti gaulliste aux barons et claqué la porte de Matignon quinze jours après avoir déclaré à la télévision qu'un "homme politique ne démissionne pas", il parvient encore à attirer la sympathie. Une scène muette vaut tous les commentaires : celle où, un 15 août, en rade de Toulon, un Chirac mâchoire crispée et jumelles en main, jette des regards noirs au président, qui lui tourne le dos, lors d'une revue militaire. Il l'a fait élire, il le fera battre. "Désormais, à droite, il a le champ libre", commente Patrick Rotman, tandis que Raymond Barre confirme, avec un faux air de maître Yoda : "Le terrain a été nettoyé."


La seconde partie, Le Vieux Lion, qui commence avec l'élection de François Mitterrand, est racontée plus platement. Est-ce parce que cette histoire est plus proche ? Parce que les témoins choisis, quand ils ne sont pas des seconds couteaux dont la gouaille amuse puis lasse - comme Jean-François Probst -, tiennent trop leur langue, à l'instar de Philippe Séguin ou de Nicolas Sarkozy ? Ou qu'ils ne sont pas au coeur de l'histoire, comme Pierre Moscovici ? Une exception : Charles Pasqua, qui livre au soir de sa vie un témoignage plein de justesse et de verve. La séquence consacrée aux affaires, minutieuse et ponctuée par le témoignage du juge Eric Halphen, jeune magistrat de Nanterre, saisi en 1994 d'une enquête sur une affaire de comptabilité suspecte par les services de Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, est ravageuse. Mais l'on n'apprend pas grand-chose sur Chirac président. Bientôt douze années pourtant, dont le film hésite à tirer le bilan. C'est cette ambiguïté qui grève l'autre moitié du documentaire : l'hésitation entre récit et bilan. Il y manque aussi des personnages essentiels, comme Bernadette et Claude Chirac, l'épouse et la fille, quasi absente pour l'une et entraperçue pour l'autre. Il y manque la vie de l'Elysée, les rapports de Jacques Chirac avec ses premiers ministres successifs, dont le sujet n'est qu'effleuré, le combat pour les réformes.

Philippe Séguin le juge "encore plus complexe que Mitterrand". Et lui, que pense-t-il de lui-même ? Il faudra se contenter de cette réponse qu'il fit à une journaliste, voilà plus de trente ans ; "Coupez ! Qu'est-ce que vous voulez que je réponde à cette question ?" Et il éclata de rire et se renversa en arrière.

Sources : LE MONDE

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans JACQUES CHIRAC

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