Villepin défend les valeurs républicaines en banlieue
Dominique de Villepin défend
les valeurs républicaines en banlieue
Propos recueillis par Anne Chemin, Christophe Jakubyszyn et Arnaud Leparmentier
Les juges poursuivent leurs investigations dans l'affaire Clearstream. En janvier 2004, avez-vous agi en tant que ministre des affaires étrangères ?
Bien évidemment. En tant que ministre des affaires étrangères, dont la compétence interministérielle est reconnue dans le domaine international, j'ai de mandé au coordinateur du renseignement de vérifier des informations liées aux frégates de Taïwan. Je n'ai jamais demandé d'enquête, aucun rapport ne m'a été remis, je n'ai revu le général Rondot que sept mois plus tard. Une fois encore, il s'agissait d'une simple vérification. En juillet, des personnels de la DST ont été mis en cause. Sur instruction du premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, j'ai donc demandé à la DST de faire toute la lumière. Si j'avais voulu exploiter ces informations, pourquoi les aurais-je fait vérifier ? Tout cela est surréaliste. Que dirait-on d'un ministre qui ne ferait pas vérifier une information touchant aux intérêts de l'Etat ? Il était de mon strict devoir de le faire. [Un ministre ou ancien ministre ne peut être poursuivi que devant la Cour de justice de la République pour des actes accomplis dans le cadre de ses fonctions.]
Pensez-vous être un jour convoqué par les juges ?
Je l'ai déjà dit : je le souhaite, et le plus tôt sera le mieux. Car je suis effaré par l'énormité des mensonges colportés. Dans cette histoire, le mensonge fait la calomnie, et la calomnie, l'injustice. Je vous donne un exemple précis : on affirme en toute impunité que j'aurais détruit une note essentielle de la DST. C'est faux. Tous les documents de la DST qui m'ont été destinés ont été transmis en temps utile aux juges. Le directeur de la DST l'a affirmé lui-même publiquement. J'aurais voulu réserver ces éléments aux juges. Mais les violations incessantes du secret de l'instruction, qui entretiennent les mensonges et la confusion, me conduisent à clarifier les choses. Rien en tout cas ne me détournera de ma tâche au service des Français.
Aujourd'hui, comment voyez-vous la situation dans les banlieues ?
Depuis un an, avec Jean-Louis Borloo et tout le gouvernement, nous avons développé des efforts sans précédent pour apporter des réponses aux problèmes de chômage, de développement économique et de logement dans ces quartiers. Mon objectif est simple : il faut que partout en France les mêmes principes républicains s'appliquent, les mêmes droits, les mêmes chances, mais aussi les mêmes règles. Il ne doit y avoir dans notre République ni impunité ni zone de non-droit.
Avec la cour d'assises pour les auteurs de violences contre les policiers ?
Désormais, tous les auteurs de coups et blessures contre des policiers, des gendarmes ou des pompiers pourront encourir jusqu'à 15 ans de réclusion criminelle s'ils ont agi armés et en bande organisée, ou dans le cadre d'un guet-apens.
Avec Nicolas Sarkozy et Pascal Clément, nous avons retenu trois mesures pour lutter contre le sentiment d'impunité : une présence plus forte sur la voie publique avec des patrouilles dans les quartiers et des contacts avec les riverains ; une investigation renforcée afin de retrouver les auteurs de faits de délinquance ; une interpellation systématique des délinquants et un meilleur fonctionnement de la chaîne pénale avec la présentation immédiate des mineurs, l'élargissement de la palette des peines et leur aggravation en cas de violences contre les forces de l'ordre.
L'exigence de sécurité amène les policiers à faire des contrôles d'identité systématiques qui nourrissent l'hostilité des jeunes envers les forces de l'ordre. Comment sortir de cette spirale ?
Il faut à la fois être ferme et comprendre le sentiment de harcèlement que certains jeunes ressentent en banlieue. N'opposons pas ce qui peut être concilié. La meilleure façon de le faire, c'est de combiner une police d'investigation, une police d'interpellation et une police de terrain en contact étroit avec les populations. Dès lors que vous connaissez bien un quartier et ses habitants, l'atmosphère est différente : la police est plus efficace, les tracasseries et les contrôles peuvent être moins nombreux, la sécurité et la tranquillité publique sont garanties.
En même temps, il faut poursuivre notre action contre les réseaux mafieux, qui alimentent les trafics et la criminalité. Contrairement à la police de proximité conçue par les socialistes, l'îlotage doit apporter une réponse active aux problèmes de sécurité dans les lieux où les menaces sont les plus fortes – dans certains quartiers, dans les gares, dans les halls d'immeubles – et aux heures les plus difficiles, notamment la nuit.
Les familles exclues de la régularisation mais qui ont des enfants scolarisés seront-elles expulsées ?
En matière d'immigration aussi, les règles de la République doivent s'appliquer. Cela ne doit pas nous empêcher de prêter une attention particulière à certains cas difficiles. Vous évoquez les enfants scolarisés : c'est évidemment l'une des situations les plus douloureuses. Un examen au cas par cas est la meilleure solution. La fermeté peut aller de pair avec l'humanité.
Pour mieux appréhender les trajectoires individuelles de chacun, faut-il recourir à un comptage ethnique ?
Je me méfie de tout ce qui ressemble à des classifications et à des comptages. Identifier une personne à son origine, à sa religion, à la couleur de sa peau, c'est aller à l'encontre de l'esprit de la République, qui est celui de l'homme universel. S'engager dans la voie du comptage ethnique, ce serait ouvrir les vannes du communautarisme. Je crois à une République unie. En même temps, il est indispensable d'apporter des réponses aux discriminations, qui sont intolérables et nuisent à notre cohésion nationale. Ce gouvernement, sous l'impulsion du président de la République, a pris le problème à bras-le-corps : la Haute Autorité de lutte contre les discriminations fait un travail remarquable.
Six mois après l'échec du CPE, que comptez-vous faire pour améliorer l'entrée des jeunes sur le marché du travail ?
Sur le long terme, c'est à l'école et à l'université que tout se joue. Depuis plusieurs mois, Gilles de Robien a mis en place toute une série de mesures pour que l'école de la République soit bien une école de la réussite individuelle, une école où chaque élève est accompagné personnellement et trouve des réponses aux difficultés qu'il rencontre. En repérant dès la fin du CE1 les retards de certains enfants en lecture ou en écriture, en apportant un soutien en français aux enfants d'origine étrangère, en mettant en place des équipes de réussite éducative, nous permettons à notre école de répondre à des défis nouveaux.
Pour l'Université, François Goulard a pris des décisions qui permettront d'améliorer les conditions de travail des chercheurs et de concentrer leurs efforts, pour rivaliser avec les meilleurs centres de recherche internationaux.
Ma priorité, c'est que l'Université prépare mieux à l'emploi. Avec une clé essentielle : l'orientation. Nous allons instaurer un dossier unique d'orientation pour chaque élève : il lui permettra sur une base volontaire d'être éclairé dans ses choix, dès la troisième et jusqu'en terminale. Dans les universités, une information sera mise à disposition des étudiants sur chaque filière, chaque formation, qui leur indiquera le taux de réussite ainsi que le taux d'emploi. Par ailleurs nous allons instituer un module obligatoire de recherche d'emploi en licence.
Remettrez-vous en cause le libre choix de l'orientation ?
Non, il n'est pas question d'introduire un système obligatoire. Je crois davantage à l'incitation qu'à la contrainte.
Envisagez-vous un numerus clausus par filière universitaire ?
Pourquoi entrer dans une logique de sélection? L'essentiel est de faire de tous les diplômes universitaires un passeport de la réussite. Un spécialiste de Rabelais peut très bien devenir s'il le souhaite un grand spécialiste des marchés financiers.
Approuvez-vous les dispositifs de discrimination positive, comme à Sciences Po Paris ?
Tirons tous les enseignements des expériences réussies. Des élèves issus de ZEP peuvent entrer à Sciences Po sans examen, s'ils présentent un dossier solide : mais ils suivent la même scolarité et passent le même diplôme que les autres. On peut très bien mettre le pied à l'étrier des jeunes les plus en difficulté, sans entrer dans un système de discrimination positive.
Avez-vous abandonné l'idée d'assouplir le contrat de travail ?
Mon objectif avec le CPE était de faciliter l'embauche des jeunes sans diplôme ni qualification. Cette intention n'a pas été comprise, j'en ai tiré les leçons. Mais il faudra bien reposer la question de l'équilibre entre plus de sécurité pour les salariés et plus de souplesse pour les employeurs : c'est un des enjeux des prochaines échéances. Le succès sans précédent du CNE montre que nous ne pouvons pas nous passer de ces instruments si nous voulons donner un emploi à chacun.
Jusqu'où réformerez-vous la justice après l'affaire Outreau ?
Un travail considérable a été fait par les parlementaires. Personne ne comprendrait que nous n'en tirions pas toutes les leçons. La réforme présentée par Pascal Clément, à qui je fais toute confiance, apportera des réponses nécessaires. En matière de responsabilité des magistrats, nous prendrons en compte l'avis du Conseil d'Etat et nous chercherons par amendement et dans le souci de la concertation la plus étroite avec les magistrats à trouver l'équilibre juste.
Sources : LE MONDE