La vraie-fausse "bourde" de Jacques Chirac

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Excellent article de Bernard Guetta qui a très bien compris les propos de Jacques Chirac sur le nucléaire iranien... il faut pas croire, mais il est soutenu.

La vraie-fausse «bourde» de Jacques Chirac

par Bernard Guetta

Le Temps (Suisse)


La politique n'est pas une sinécure. Nous ne cessons de reprocher à nos dirigeants de parler la langue de bois, nous dénonçons en chœur ce «politiquement correct» qui n'appelle plus les chats des chats et, sitôt qu'un candidat ou un élu ne s'embarrasse plus d'oxymores, on se gausse de ses «gaffes» et lui tombe dessus.

Ségolène Royal en fait si bien l'expérience qu'elle ne peut plus terminer une phrase sans qu'on lui reproche son «incompétence», et Jacques Chirac vient de tomber, à son tour, sous les verges de nos contradictions.

On connaît l'histoire. Lundi dernier, le président de la République accorde une interview commune au Herald Tribune, au New York Times et au Nouvel Observateur. Il est convenu que le sujet en sera l'environnement, mais les journalistes, c'est leur métier, en profitent pour l'interroger aussi sur les ambitions nucléaires de l'Iran et là, parlant sans notes, sans ce qu'on appelle un «langage» dans le jargon diplomatique, parlant comme il pense, il déclare: «Si l'Iran poursuit son chemin, le danger n'est pas dans la bombe qu'il va avoir. Cela ne lui servira à rien. Il va l'envoyer où cette bombe? demande-t-il. Sur Israël? Elle n'aura pas fait deux cents mètres dans l'atmosphère que Téhéran sera rasée.» «Ce qui est dangereux, c'est la prolifération», poursuit-il en expliquant que l'Arabie saoudite aurait alors la «tentation» et tous les «moyens financiers» de s'offrir la bombe à son tour et d'aider l'Egypte à en faire autant. «C'est ça le danger», conclut-il.

Ouille... Quand on parle si serré, on court le risque d'être très mal interprété. Si l'on ne rappelle soudain pas une évidence cent fois redite, on paraît, en l'occurrence, minimiser le danger pour Israël, prendre son parti de la bombe iranienne et accuser Riyad et Le Caire de se préparer à franchir le pas. Les conseillers de l'Elysée pressentent aussitôt ce «Chirac suggère qu'il y aurait peu de danger dans la bombe iranienne» du Herald de jeudi ou ce «Chirac a minimisé la menace représentée par Téhéran» du Monde daté de vendredi. Complet affolement au Palais et le président français fait revenir, mardi, les journalistes pour mieux enrober son propos.

Cela fait désordre, pas du tout professionnel, mais sur le fond  ?

Sur le fond, Jacques Chirac avait doublement raison.

Il est vrai, d'abord, que le danger que ferait courir une nucléarisation de l'Iran réside beaucoup plus dans la prolifération régionale puis mondiale qu'elle entraînerait, dans la fin du Traité de non-prolifération, que dans une attaque contre Israël qui aurait les effets qu'il a dits.

Dans une période où Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, est de plus en plus contesté à Téhéran, le président français n'avait, surtout, pas du tout tort de souligner, à l'intention de l'opinion iranienne, que cette aventure nucléaire ne rapporterait rien à l'Iran chiite si ce n'est de se retrouver entouré de pays sunnites disposant également de la bombe.

Ce que révèle la rapidité, presque syncopée, avec laquelle il s'était exprimé lundi, c'est le souci français de ne pas «rompre le fil» avec Téhéran, de ne pas laisser s'installer une situation dans laquelle le mysticisme et les provocations d'Ahmadinejad mèneraient droit à des bombardements préventifs des Etats-Unis qui, si justifiés deviendraient-ils, aggraveraient sérieusement les crises proche-orientales.

La France veut tenter de peser sur les débats internes du régime iranien. Que cela réussisse ou non, c'est mieux que de courir, bras croisés, à une guerre de plus. Si c'était une «bourde», elle est bienvenue.

Sources Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt

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