Le Président en mode subliminal

Publié le par Adriana EVANGELIZT

 

 

 

Le Président en mode subliminal



par Didier Lefranc


 

 

Les vœux du président ne sont pas un exercice convenu et banal : ils sont en mode subliminal un concentré d’idéologie dominante.

Explications.

Les vœux du président Chirac, le 31 décembre 2006, sont intéressants car ils constituent une synthèse rapide de l’idéologie dominante à l’usage des gens pressés et peut-être aussi des thèmes d’une future campagne présidentielle.
Ces vœux peuvent faire, en effet, l’objet d’un décryptage sur le mode positif (les faits que le président analyse manifestement positivement pour notre pays) ou négative (ce contre quoi le président entend mettre les Français en garde) : l’analyse des deux registres est éclairante.

L’analyse positive

Le président Chirac cite manifestement positivement : le fait que « nous vivons des changements considérables », l’expansion de l’économie mondiale, la concurrence mondiale, la révolution de l’Internet, la baisse du chômage, la réforme des retraites, la réforme de la Sécurité sociale, la construction de logements sociaux, l’attitude vis-à-vis des handicapés, des malades du cancer (présentés comme des « victimes ») et des « violences routières » : il est notable que cette liste ressortit quasi exclusivement au domaine économique et social.

Dans son souhait que le gouvernement soit au travail, il cite d’ailleurs trois domaines : « la sécurité » (sans déterminant particulier : on ne sait donc s’il vise la sécurité civile, celle des personnes, des biens, la sécurité routière ou par exemple la sécurité sociale ou la sécurité économique), « l’emploi » et « le pouvoir d’achat » : soit au moins deux thèmes sur trois qui se rattachent à la sphère économique et sociale.

Dans la suite de son propos, parmi ce qu’il considère comme les cinq « enjeux majeurs » trois sont présentés sur un mode semi-positif :
– « évidemment » (sic) le progrès économique et social ;
– l’Europe « garantie de la paix et de la démocratie sur notre continent » et l’Europe des projets : recherche, énergie, sécurité et immigration ;
– l’enjeu écologique, qui doit nous conduire à une nouvelle révolution industrielle, celle du développement durable « source de croissance et d’emplois ».

Cette énumération est significative en ce que J. Chirac cantonne le champ du politique national – et ce qu’il présente implicitement comme des réalisations à mettre à son actif – au seul domaine économique et social ; les domaines de souveraineté comme la sécurité (non déterminée cependant) et l’immigration sont en effet présentés comme un enjeu européen : en d’autres termes, on ne saurait mieux exprimer l’abandon par l’Etat de ses missions de souveraineté ou son incapacité à vouloir les assurer.

Certes, le président cite comme troisième enjeu la vocation de la France « d’affirmer sa voix avec force et indépendance pour la paix et la justice » mais il ne la décline que sur un seul registre : agir pour le développement c’est une exigence morale (« bien sûr essentielle ») et c’est aussi notre intérêt de prévenir l’immigration à nos frontières (il ne prononce d’ailleurs pas le mot immigration mais use d’une formule contournée : « l’afflux à nos frontières de tous ceux qui quittent leur pays parce qu’ils n’ont plus d’espoir », ce qui permet de leur donner par la même occasion le statut de victimes).

L’idée de la puissance et celle de la force comme moteurs de la souveraineté et du politique n’entrent pas dans ce système de pensée : le seul domaine où J. Chirac évoque la puissance et la force est d’ailleurs celui de… l’économie (« la force des économies modernes » et « donner plus de puissance à nos entreprises »).

Ce que rejette le président

Le registre négatif de son discours est tout aussi éclairant.
J. Chirac cite manifestement négativement et sur le même plan la surexploitation des ressources naturelles (qui) dérègle le climat, les inégalités entre riches et pauvres, le 11-Septembre, le terrorisme, la guerre en Irak et la crise au Proche-Orient.

En d’autres termes, ce qui est mal c’est le domaine de l’affrontement, c'est-à-dire celui de la force, des conflits de valeurs et DU politique. A contrario, ce qui est bien c’est le développement économique et durable, l’ouverture aux autres (la France qui « tend la main »), l’humanisme et la paix. Forte pensée qui est au cœur de l’idéologie marchande et dominante !

Mais cette énumération débouche sur trois mises en garde explicites :
– contre « la tentation absurde et irresponsable du choc des civilisations et des cultures » ;
– contre « les apprentis sorciers de l’extrémisme » ;
– contre « les idéologies, les illusions du retour aux recettes qui ne marchent pas ».

L’ordre de ces mises en garde, même si les médias ont surtout retenu les deux dernières, est significatif : la mise en garde qui vise plutôt la gauche n’arrive qu’en dernier ; elle ne se situe pas au même plan que les autres. Cela traduit le complexe habituel de la droite établie face à la gauche : la critique de la gauche ne se situe pas dans le registre des valeurs mais des moyens (« bien sûr je voudrais que les choses avancent plus vite ») ; J. Chirac ne fait d’ailleurs que reprendre sur ce plan le slogan de Giscard d’Estaing dans les années 1980 : « Ça marche mal, c’est socialiste ». Donc implicitement si ça marchait ce serait bien…

Bien plus cruciale lui apparaît la mise en garde contre les partisans du choc des civilisations et l’extrémisme car ils lui semblent en contradiction avec les fameuses valeurs « qui font la France » et qui constituent donc son premier enjeu majeur. On notera toutefois qu’il considère que la France est belle quand elle doit tout à la fois « faire respecter ses règles et tendre la main » : formule énigmatique qui donne à penser que ces fameuses valeurs sont désormais flexibles…

Mais surtout J. Chirac nous désigne sur un mode subliminal son adversaire politique principal, qu’il décide de placer unilatéralement hors les valeurs de la France et ce n’est pas, semble-t-il, la gauche qu’il vise.

Tout en adoptant un mode impersonnel qui ne permet pas facilement la réplique. Qui le président vise-t-il exactement ? Les faucons néoconservateurs américains ou israéliens ? Les islamistes ? L’extrême droite ? L’extrême gauche ? Aucun n’est vraiment cité sinon sur le mode incantatoire habituel de l’établissement : les (méchants) racistes, antisémites et communautaristes qui ne respectent pas la laïcité et l’humanisme ; bref, ceux qui ne comprennent pas la subtilité de « l’unité et du rassemblement » autour notamment « du respect de la diversité et des différences » mais sans le « communautarisme ». Formule claire et compréhensible !

La référence au thème de l’apprenti sorcier à propos de l’extrémisme est plus originale. Mais il faut rattacher ce thème à ce que J. Chirac dit d’abord – si on le comprend bien – de ceux qui préconiseraient le choc des civilisations : l’irresponsabilité.

J. Chirac semble leur reprocher tout à la fois d’être « absurdes et irresponsables » : c’est contradictoire, car si le choc des civilisations n’existe pas on ne voit pas quel mal il y aurait à l’invoquer. A moins précisément que, selon un processus magique, en l’invoquant on ne donne du corps au concept ; ce serait alors de « l’irresponsabilité ». Mais, a contrario, cela démontrerait que ce choc existe bien et qu’il n’est dès lors pas « absurde » de s’y préparer…

En introduisant le concept « d’apprentis sorciers », J. Chirac cherche à dévaloriser ceux qui n’ont pas l’expérience du pouvoir et qui risqueraient de déclencher des forces qu’ils ne pourraient maîtriser. Il est évident que cela vise surtout ceux qui à droite ont été écartés du pouvoir ; cela permet de prendre à revers, en quelque sorte, ceux qui ne se sont pas compromis avec lui. Et aussi d’une façon collatérale de contrer l’inexpérience des autres candidats mais qu’il ne range néanmoins pas parmi les extrémistes. Et de tirer partie de sa durée au pouvoir à défaut de son bilan.

Bonne année mes chers compatriotes !

Sources Polemia

Posté par Adriana Evangelizt


Publié dans JACQUES CHIRAC

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article