Bernard Kouchner est prêt à assumer sa rupture
Bernard Kouchner est prêt à assumer sa rupture
par Richard Werly
Les proches du fondateur de MSF justifient ses tractations avec Nicolas Sarkozy.
Lui ne décroche plus son téléphone. Mais eux passent leurs journées au bout du fil, à jouer les poissons pilotes d'un futur Quai d'Orsay, version Bernard Kouchner: ambassadeurs proches du fondateur de Médecins sans frontières, compagnons d'armes humanitaires. Celui que Nicolas Sarkozy envisage de nommer à la tête de la diplomatie française prépare le terrain. «Croyez-moi, Bernard a beaucoup d'amis, en France et à l'étranger, confie l'un de ses confidents. Il n'est pas du tout, sur la scène internationale, un individu isolé.» Comprenez: cible rituelle de la nomenklatura diplomatique, l'ex-«french doctor» est en revanche de plain-pied dans les affaires du monde.
Pas question donc, dans son entourage, de baisser la tête devant les reproches des socialistes à qui, pourtant, il doit tout politiquement. Secrétaire d'Etat à l'action humanitaire, puis ministre de la Santé entre 1988 et 1993 (il reviendra sous Jospin), Bernard Kouchner est un enfant de l'ouverture, version Michel Rocard. Une référence qu'il n'a pas cessé d'évoquer pour justifier son appel à un programme commun de gouvernement avec le centre de François Bayrou: «Cette ouverture, Mitterrand l'avait faite, nous avait-il expliqué mi-avril, sur le perron du siège du PS rue de Solferino. Alors, qu'on ne me dise pas qu'elle est inacceptable!»
Homme blessé
Une nécessité, surtout, pour cet homme pressé, fils de déportés, qui a toujours passé son temps à sauter les barrières: jeune médecin au Biafra en 1969, il rompt avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR); fondateur contesté de MSF, il crée Médecins du monde; mis en échec à Gardanne (Bouches-du Rhône) où il tente de se faire élire député en 1996, il renonce à l'idée d'une circonscription... Alors, rompre une fois encore pour rejoindre en 2007 le premier gouvernement de Sarkozy, après avoir soutenu Ségolène Royal? «Je ne crois pas que, dans sa tête, Bernard le vive comme une rupture, ajoute un autre proche. Ce type a la passion de faire. Il se cherche des alliés pour agir: qu'importe s'ils sont de gauche ou de droite.»
La vérité est qu'à 67 ans l'homme est blessé. Et qu'il ne croit plus en sa famille politique. Il faut l'avoir entendu, durant la campagne, parler trop longuement, puis pester «contre cette maison socialiste» pour comprendre ses griefs. Le fait d'être en permanence cité parmi les personnalités les plus populaires de France ne l'a jamais protégé de l'ostracisme des apparatchiks du PS. Au contraire. Ce fidèle en amitié, qui a besoin d'être aimé pour exister, s'estime négligé. Voire jalousé.
Certes, Hubert Védrine, si opposé à son «droit d'ingérence», sut convaincre Kofi Annan de le nommer en juillet 1999 à la tête de la mission de l'ONU au Kosovo. Mais après? Qui pour le soutenir au PS lors de l'affaire de son rapport controversé pour Total sur la Birmanie, avec à la clef une rémunération de 25000 euros depuis reversée à des associations? Personne. Qui, à gauche, pour l'aider dans ses candidatures au Haut-Commissariat pour les réfugiés en 2005, puis à l'Organisation mondiale de la santé en 2006? Personne.
Kouchner, caution «humanitaire» du sécuritaire Sarkozy? C'est le risque. Mais celui qui rêve du Quai d'Orsay depuis longtemps veut le courir. Un éventuel échec dans la lumière vaut toujours mieux que l'oubli dans l'ombre.
Sources Le Temps
Posté par Adriana Evangelizt