Le FMI pratique la politique de l'autruche !
Le FMI pratique la politique de l'autruche !
par Larry Elliott
C'est une institution particulièrement affaiblie, et dans le déni des réalités économiques et politiques, dont Dominique Strauss-Kahn prend la direction le 1er novembre prochain, s'inquiète le quotidien britannique The Guardian, au lendemain de l'assemblée annuelle qui s'est tenue à Washington. Analyse.
La forte chute de la Bourse de New York le 19 octobre tient à deux raisons. La première est que cette date correspondait au vingtième anniversaire du krach de 1987, et ce souvenir a rendu les opérateurs extrêmement nerveux. La seconde est que ceux qui, dans les quartiers de Lower Manhattan, refusaient de voir le monde tel qu'il est ont enfin ouvert les yeux.
Les grands pontifes de l'économie mondiale penchent pour la seconde explication, quelles que soient les platitudes qu'ils débitent en public. Ils se sont réunis pour les assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale [du 20 au 22 octobre] sur fond d'envolée des prix du pétrole et de plongeon du dollar. Henry Paulson, le secrétaire au Trésor américain, s'est voulu en tout point rassurant après le sommet du G7. L'économie mondiale ? Vigoureuse. L'économie américaine ? A l'exception du marché de l'immobilier résidentiel, florissante. Les marchés financiers ? En meilleure forme qu'ils ne l'ont été en août. La flambée des cours du pétrole ? Un problème moins grave qu'il ne l'a été lorsque la production économique était plus gourmande en énergie. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Pourtant, comme l'a souligné le FMI dans son rapport biannuel sur les perspectives de l'économie mondiale, les risques sont clairement identifiables. En raison de la mondialisation, l'assemblage de prêts en instruments financiers complexes dont la valeur dépend de la situation du marché immobilier aux Etats-Unis peut déclencher des faillites bancaires au Royaume-Uni.
Le FMI lui-même pratique la politique de l'autruche quand il répète année après année que les fondamentaux de l'économie restent bons. Les déséquilibres mondiaux chroniques qui constituent la cause profonde de la plupart des menaces pesant sur la prospérité et la stabilité ne se régleront que si les principaux acteurs se décident à regarder le désastre en face.
Pour comprendre pourquoi les fondamentaux de l'économie mondiale ne sont pas bons, il faut revenir en arrière. Pendant les vingt-cinq années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le FMI a présidé aux destinées du système de Bretton Woods. Les taux de change étaient fixes par rapport au dollar, qui lui–même l'était par rapport à l'or. Au début des années 1970, la spirale inflationniste aux Etats-Unis, enclenchée par la guerre du Vietnam et le coût des programmes sociaux de Lyndon Johnson, n'a plus permis à Washington de maintenir l'étalon-or, ce qui a provoqué la désintégration du système de Bretton Woods.
Les principaux pays industrialisés ont alors laissé les taux de change fluctuer librement, tandis que les pays en développement ont généralement préféré rattacher les leurs au billet vert. Les dangers de ce système hybride – qui n'est pas tant un Bretton Woods 2 qu'un Bretton Woods 1,5 – sont désormais évidents. Dans Bretton Woods 1,5, certaines monnaies flottent – la livre sterling, par exemple, trouve son propre niveau face au dollar et à l'euro –, d'autres non. Certaines monnaies asiatiques – notamment le yuan chinois – sont fixes par rapport au dollar, à des niveaux tels que les Etats-Unis enregistrent un déficit systématique de leur balance des paiements courants, et la Chine un excédent de la sienne.
A l'instar de nombreux pays de la région, l'enseignement que la Chine a tiré de la crise financière asiatique de 1997 est la nécessité de se constituer un trésor de guerre sous la forme de réserves de change qui lui serviraient à repousser toute attaque spéculative. La politique du yuan faible lui a permis de le faire, en favorisant une croissance tirée par les exportations. Dans un contexte de faiblesse des taux d'intérêt, les investissements à rendements élevés sont avidement recherchés. L'analyse traditionnelle du risque est alors jetée aux orties, avec pour résultat les prêts immobiliers à haut risque, le carry trade sur le yen [qui consiste à s'endetter en yens et à placer les fonds empruntés dans une autre devise à taux d'intérêt plus fort] et tous les autres jeux spéculatifs très prisés par les marchés financiers depuis quelques années.
Il y a dix-huit mois, le FMI a lancé un dispositif de surveillance multilatérale, en vertu duquel quelques acteurs internationaux clés – Etats-Unis, Chine, Arabie Saoudite et Europe – se réunissent pour discuter de la lutte contre les déséquilibres mondiaux. Si ces discussions ne conduisent pas à des changements notables de politique, le FMI devra se résoudre à agir – et vite.
Ce qui ressort clairement des événements des derniers jours est que le FMI est une institution très affaiblie. Il ne s'agit pas seulement de la taille de son portefeuille de prêts qui a diminué. Malgré l'opposition des pays en développement, l'Europe s'est accrochée à son privilège anachronique en matière de nomination du directeur général. Dominique Strauss-Kahn [qui prend ses fonctions le 1er novembre] s'est dit déterminé à le réformer en profondeur. Espérons qu'il passera à l'action, parce que le temps presse.
Sources Courrier International
Posté par Adriana Evangelizt