VILLEPIN : L'INTERVIEW DE PARIS-MATCH
RENTREE POLITIQUE : VILLEPIN A L'HEURE DES CENT JOURS
par Laurence MASUREL
A gauche comme à droite, tous scrutent déjà l'horizon 2007. Mais dès l'automne, les batailles s'annoncent rudes. Et chaque camp arrive en ordre dispersé.
Il est serein. Alors que la fin de ses «100 jours pour redonner confiance aux Français» s’approche, Dominique de Villepin affiche un calme à toute épreuve. La situation s’annonce pourtant délicate : l’économie va mal, le moral des ménages est en berne. Mais le Premier ministre se sent prêt à relever le défi. Son plan de relance, présenté le 1er septembre, se veut à la fois audacieux et pragmatique... comme lui. Même ses adversaires en conviennent : depuis son arrivée à Matignon, Dominique de Villepin s’est transformé. Moins lyrique, plus réfléchi. Ses prochaines initiatives seront observées de près. Mais le Premier ministre n’est pas le seul à faire sa rentrée : pour Thierry Breton, ministre de l’Economie, le plan de relance sera aussi un test politique. Et Nicolas Sarkozy n’a pas l’intention de mettre un frein à ses ambitions. Au Parti socialiste, les «candidats à la candidature» se déclarent. Dernier en date : Dominique Strauss-Kahn.
Tous les indicateurs économiques sont au rouge : le prix du baril de pétrole flambe, le chômage persiste autour de 10 %, la croissance est en panne, les Français sont moroses, la rentrée promet d’être difficile. Pourtant, Dominique de Villepin affiche une sérénité, une confiance inébranlable dans l’avenir de la France. « Les Français ne me déçoivent jamais », dit-il. Dans son bureau du premier étage de Matignon, ce dimanche en fin d’après-midi, alors qu’il prépare son plan de relance qu’il devait dévoiler ce jeudi, son regard se pose sur le chevalet où il a disposé une toile de son ami le peintre franco-chinois Zao Wou-ki, hommage à son poète favori, René Char. Dans ce halo désordonné gris, noir et blanc, où la lumière jaillit par petites touches, trouve-t-il donc de quoi l’apaiser, lui qui doit affronter quotidiennement des Himalaya de difficultés ? Il a troqué son activisme légendaire contre une attitude plus réfléchie, plus calme. « C’est ça le nouveau Villepin, ironise-t-il en se moquant de lui-même. J’ai tiré les leçons du passé : 1995, la dissolution ratée de 1997, 2002, le référendum du 29 mai... » Il avoue tout bas, mais il l’avoue : « J’ai mûri. » Et il ajoute : « Je suis lucide. » Et c’est vrai qu’il a aujourd’hui des convictions sur tous les sujets. Même si, par instants, il s’emballe encore, se laissant emporter par la vitesse de sa pensée et sa verve grandiloquente. « Nous sommes à un moment très difficile qui se caractérise par la multiplication des défis : la hausse du prix du pétrole s’ajoute aux multiples difficultés économiques et sociales et à la compétition internationale », explique-t-il. Cela lui fait-il peur, lui qui vient de terminer l’essai de Christophe Lambert « La société de la peur » ? Non, affirme-t-il, car il aime avant tout les défis. Puis il explicite son idée. Face à cette situation risquée que connaît la France, il faut « une plus grande exigence d’action et de modernisation ». Il poursuit : « Si nous voulons être efficaces, il ne faut plus différer à demain les problèmes. Non, il faut agir dès maintenant, tout de suite », mais, précise-t-il en haussant le ton, « en concertation, en écoute avec les Français ». Sous les regards mystérieux des masques de sa collection africaine qui ornent sa cheminée et les murs de son bureau, il résume : « Depuis que je suis à Matignon, je suis fidèle à une double exigence : faire des choix clairs dans la concertation. » Pour aller plus en profondeur, il résume sa pensée : « C’est une vraie philosophie politique : nous devons fortifier nos décisions par la concertation pour mieux les légitimer et faire émerger en permanence l’intérêt général. Quand nous devons faire des choix, évaluons-les d’abord, consultons ceux qui savent et ensuite allons vers la synthèse. De cette façon, nous mettons en œuvre ce que j’appelle une démocratie éclairée. Chacun doit y prendre sa part, chacun doit y participer. » C’est le sens de sa consultation lundi et mercredi avec les leaders des partis politiques parlementaires. « Je n’ai pas la science infuse », s’amuse-t-il, j’attends les idées des autres, je ne peux pas gouverner tout seul. J’écoute, je veux écouter.» Il ne peut s’empêcher d’affiner encore sa méthode : « Chacun des ministres doit prendre sa part de responsabilité, chacun s’exprime, chacun s’engage sans tomber dans des promesses qui ne prendraient pas en compte les données économiques du moment. »
Regrette-t-il de s’être lancé le défi de redonner confiance aux Français en seulement cent jours, comme Napoléon avant Waterloo ? Il sourit : « Non, je ne le regrette pas, d’autant qu’il ne s’agit pas des Cent-Jours de l’Empereur, mais de ceux de Roosevelt lorsqu’il lança, après la crise de 1929, le New Deal et son programme de reconstruction des Etats-Unis ! » La polémique sur sa définition des cent jours le fait même rire !
En revanche, la rivalité qui existe entre Sarkozy et lui, décrite un peu partout, ça ne l’amuse pas du tout. Très sérieux, il affirme qu’il « respecte sa démarche et qu’il n’y a pas la moindre rivalité entre eux. » Il raconte que, lors de leur déjeuner vendredi dernier en tête à tête à Matignon, ils ont échangé un tas d’idées dans un climat très amical. « Dans le gouvernement, dit-il, il y a un vrai dialogue et des vraies synergies. Nicolas Sarkozy et moi avons fait le choix de travailler ensemble parce que nous partageons la même exigence d’action. Ni lui ni moi ne voulions que la France perde encore deux ans. »
Rêve-t-il, lui aussi, comme Sarkozy, d’être candidat à l’élection présidentielle ? Dans un sourire, il répond : « J’ai accepté cette mission, rien que cette mission de diriger le gouvernement pendant deux ans. Je suis heureux de le faire, heureux de servir. » Même s’il éprouve un peu d’anxiété parce qu’il voudrait toujours faire mieux. Plusieurs blogs ont fait leur apparition sur le Net pour appeler à sa candidature. Les lit-il ? « Non, mais, reconnaît-il, ça me fait plaisir... » Une bonne nouvelle, ça fait toujours du bien ! Mais pas autant que son jogging de samedi dernier dans le bois de Boulogne. Il confie que tous les 3 mètres il a été « assailli par toutes sortes de Français de tous les âges qui l’ont encouragé à agir à Matignon ». « Continuez, monsieur le Premier ministre. On est avec vous... » « Je n’ai jamais vu ça ! » se réjouit-il.
Mais l’heure tourne. Villepin a rendez-vous à l’Elysée. Avec son directeur de cabinet et quatre de ses conseillers, ils vont travailler le plan de relance qu’il annonce ce jeudi. Est-il toujours aussi proche de Jacques Chirac ? Le voit-il souvent ? Il répond, radieux : « Toujours autant qu’avant ! »