LA REVELATION VILLEPIN
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LA REVELATION VILLEPIN
par Ivan Best et Daniel Fortin
Gouvernement - La présentation de son plan de relance et l’hospitalisation du Président ont conféré au Premier ministre une stature de dauphin. Challenges a interrogé cinq économistes pour analyser ses mesures.
C'est Chirac. Remixé Quai d’Orsay. Dépouillé de la défroque radsoc de son mentor. Mais c’est le même. L’allure d’abord, qui rappelle le jeune Premier ministre habité et impétueux de Valéry Giscard d’Estaing en 1976. L’autorité sur ses ministres ensuite, parfois cassante. Jean-François Copé, chargé du Budget, en a fait la dure expérience, publiquement rabroué par le chef du gouvernement lors de la conférence de presse de rentrée le 1 er septembre. Sa faute ? Avoir répondu de façon imprécise à la question d’un journaliste sur la réforme de l’impôt sur le revenu. On ne traite pas à la légère la mesure phare de Dominique de Villepin. Celle qui l’installe définitivement dans la posture de présidentiable. Ce mercredi, il a animé seul le Conseil des ministres, en l’absence de Jacques Chirac, victime d’un accident vasculaire et contraint de rester en observation à l’hôpital du Val-de-Grâce. Cet empêchement du Président rend évidemment quasi improbable un troisième mandat. Et braque encore un peu plus les projecteurs sur celui qui a clairement endossé le costume de dauphin.
Il a bossé tout l’été. Le 13 juillet, dans le cadre du Conseil d’analyse économique, le think tank de Matignon, Dominique de Villepin reçoit les économistes Jacques Le Cacheux et Christian Saint-Etienne qui lui présentent leur rapport sur la fiscalité. La réunion est rapide, d’autres études étant aussi soumises au Premier ministre, qui prend en outre connaissance d’un point sur la conjoncture. Mais le chef du gouvernement semble intéressé. « Il a une grande capacité d’écoute , raconte Jacques Le Cacheux. Et, surtout, il comprend vite. Cela m’a impressionné. » A la fin de la séance, il prend date avec les deux auteurs du rapport : « Nous nous reverrons avant la fin de l’été. » A l’approche de la rentrée, c’est dans l’urgence qu’un rendez-vous leur est fixé avec le Premier ministre pour le 22 août. Informé des intentions de Nicolas Sarkozy de lancer une offensive sur le thème de la fiscalité le 7 septembre, et prenant conscience de tout l’intérêt d’une réforme de l’impôt sur le revenu, Dominique de Villepin décide de se jeter à l’eau. A Bercy, on renâcle à l’idée de se lancer aussi rapidement. Trop lourd de concevoir ainsi, ex abrupto , une réforme de cette ampleur. Les fuites savamment distillées dans la presse serviront à aiguillonner le ministère des Finances.
Premier grand coup
Sa nomination à la tête du gouvernement, début juin, avait pourtant été accueillie fraîchement par les milieux économiques. On raillait son manque d’expérience dans ce domaine. Sa phrase favorite : « Ce pays doit marcher sur deux jambes, une de liberté et l’autre de solidarité », faisait au mieux sourire, au pire s’indigner, tant la grandiloquence semblait masquer l’absence de pensée. N’avait-il pas été nommé par défaut, ultime joker d’un Président à bout de souffle, avant tout préoccupé de barrer la route à Nicolas Sarkozy ? Serait-il l’homme de la situation dans une France déboussolée par le non au référendum européen, en panne de croissance, en pleine crise d’autodénigrement de la part de ses élites ? Dès son discours de politique générale, prononcé sur un ton monocorde le 8 juin devant des députés médusés, Dominique de Villepin frappe un grand coup. On attendait un coup de barre à gauche, par crainte d’un troisième tour social ? Il annonce le contrat nouvelle embauche, un CDI assorti d’une période d’essai de deux ans réservé aux entreprises de moins de 20 salariés. Même dans ses rêves les plus fous, le Medef n’aurait osé imaginer qu’un gouvernement aussi mal accueilli par l’opinion ouvre une pareille brèche dans le sacro-saint Code du travail français. Les syndicats râlent, mais ne bronchent pas. On l’attendait au tournant des cent jours, le rendez-vous qu’il s’était lui-même fixé pour un premier bilan de son action ? Oublié le bilan, quasi inexistant avec une baisse du chômage sous la barre symbolique de 10 %, qui ne traduit nullement une reprise vertueuse des embauches mais seulement les premiers effets mécaniques du plan Borloo. Avec sa refonte du sacro-saint impôt sur le revenu, le Premier ministre surprend une deuxième fois. On attendait de la com’, il répond par la réforme.
Apprentissage de la sobriété
Et puis il y a le style. Si l’homme n’a pas changé, il parle une autre langue. Fini les discours flamboyants comme celui prononcé devant l’Onu le 27 février 2003 pour expliquer l’opposition de la France à l’invasion américaine de l’Irak. D’ordinaire, un homme politique français s’impose d’abord dans son pays avant de se donner une stature internationale. Lui a fait le contraire, s’exposant aux sarcasmes de son meilleur ennemi, Nicolas Sarkozy, qui trouve trop belle l’occasion de souligner que jamais son rival ne s’est frotté à une élection, fût-elle locale. Quitte à se faire violence, Dominique de Villepin apprend la sobriété. Il faut l’entendre, le 1 er septembre, parler avec gourmandise d’ « aides à la cuve » , d’ « hypothèques rechargeables » , d’ « indices d’actualisation des baux » . L’homme des cimes vole en rase-mottes. Ce faisant, il se rapproche des Français, veut donner l’impression qu’il se préoccupe de leur quotidien. « S’il fallait s’asseoir sur une pierre au bord de la route en attendant que je ne sais quelle croissance arrive, il n’y aurait pas besoin de gouvernement » , dit-il. A défaut d’avoir convaincu, Dominique de Villepin a déjà réussi l’exploit de ne pas sombrer comme le prédisaient avant l’été tous les augures de la politique. Sa capacité d’écoute lui a rendu les faveurs des députés et sénateurs UMP, qui ne lui pardonnaient pas d’être l’inspirateur de la calamiteuse dissolution de 1997. Mieux, les Français ne le boudent pas. Les sondages le créditent encore de 42 % d’opinions favorables.
Il lui faut encore réussir l’essentiel. Retrouver les chemins de la croissance. Et nourrir ses ambitions personnelles d’un projet politique. Le catalogue de mesures annoncé le 1 er septembre dessine en creux la pensée du Premier ministre : « Notre modèle de société répond aux attentes profondes des Français , dit-il. Mais, dans un monde qui change vite, nous devons impérativement le moderniser. Faut-il attendre d’avoir échoué au point qu’un jour on opte pour un modèle social dont ne veulent pas les Français ? » C’est le ni-ni chiraquien. Ni libéralisme ni socialisme. Le même refus ardent de faire un choix clair entre deux modèles de développement économique. Et le même souci de cantonner les rivaux sarkozystes dans le rôle d’imprécateurs du modèle français, de dangereux réformateurs libéraux. Si l’on s’en tient à l’état de l’opinion, ce discours peut marcher. « En refusant de s’inscrire dans une logique de rupture, Dominique de Villepin a pris les Français dans le sens du poil , dit Robert Rochefort, directeur général du Crédoc. Toutes nos études montrent que les Français restent farouchement anti-libéraux. »
Libéral malgré tout
Il reste à mettre les actes en accord avec les discours. Et c’est là où le bât blesse. Car une fois dépoussiérées de leur habillage politique, toutes les mesures phares annoncées par le Premier ministre le 1 er septembre se révèlent à l’usage beaucoup plus libérales que Dominique de Villepin ne veut bien l’avouer.
A commencer par la réforme fiscale, abusivement présentée comme un geste important en faveur des classes moyennes. L’architecture de l’impôt sur le revenu à la mode Villepin a, en effet, peu à voir avec les idées socialistes. Cet impôt ne comportera plus que cinq tranches, contre sept aujourd’hui. La première tranche de revenus étant exonérée, ne subsisteront donc que quatre taux de taxation.
Certes, cette réforme répond à l’objectif de simplicité retenu par l’hôte de Matignon, qui estime que « davantage de lisibilité permettra de réconcilier les Français avec l’impôt » . Mais qu’on ne s’y trompe pas : la réduction du nombre de taux d’imposition – qui permet de diminuer la progressivité de l’impôt sur le revenu – est l’apanage des économistes libéraux, défenseurs d’un impôt à deux ou trois taux d’imposition, voire un seul, comme le réclament les partisans de la flat tax .
Libérale sur le plan théorique, la réforme Villepin de l’impôt sur le revenu l’est aussi par les publics qu’elle privilégie. En annonçant une modification d’apparence technique, destinée à mieux faire apparaître le taux réel d’imposition, le Premier ministre change radicalement la répartition du fardeau de l’impôt. Il s’agit de la suppression et de l’intégration dans le barème de l’abattement de 20 % sur le revenu imposable ( lire encadré ci-contre ), qui permettra aux contribuables déclarant plus de 117 900 euros (par personne) de voir la taxation de leur revenu supplémentaire chuter de 48,09 % à environ 38 % (soit un gain d’environ 20 %, auquel peu de contribuables auront droit).
Pour l’économiste Jacques Le Cacheux, co-auteur du rapport qui a inspiré la réforme Villepin, le verdict est sans appel : « Dans l’état actuel des annonces du gouvernement, les cadres supérieurs sont les principaux bénéficiaires de la réforme » , affirme-t-il. Avant d’enfoncer le clou : « Le discours gouvernemental sur une réforme fiscale en faveur des classes moyennes relève donc de l’habillage politique. »
En revanche, quand Dominique de Villepin évoque, comme autre principe de sa politique fiscale, l’efficacité économique, il réconcilie enfin ses actes avec son discours. « Les systèmes fiscaux sont devenus des éléments de la compétition économique internationale , a-t-il affirmé devant la presse. Quand le prélèvement fiscal dépasse une certaine proportion du revenu, les effets sur l’investissement, les délocalisations et l’emploi peuvent être dévastateurs. »
Telle était exactement l’optique du rapport de Jacques Le Cacheux et Christian Saint-Etienne. « Notre rapport préconise clairement d’alléger la fiscalité des détenteurs de capital à hauts revenus, afin de stimuler l’offre de travail et d’éviter leur départ à l’étranger » , souligne Jacques Le Cacheux. Quant au choix de Dominique de Villepin de présenter cette réforme comme un moyen de « défendre la consommation » , il surprend au plus haut point cet économiste. « Nous avons dessiné une politique soutenant non pas la demande mais l’offre » , affirme Jacques Le Cacheux, qui se dit séduit par les reaganomics .
L’autre volet des annonces fiscales du Premier ministre, à savoir la réforme de la prime pour l’emploi (PPE), vise évidemment un tout autre public. Il s’agit de donner du pouvoir d’achat aux salariés les plus modestes, afin d’encourager le travail, plutôt que l’assistance. Difficile, a priori, de trouver là-dedans quoi que ce soit de libéral : c’est, du reste, le gouvernement de Lionel Jospin qui avait instauré cette prime. Mais, une fois de plus, le diable se cache dans les détails. Et la PPE version Villepin rompt avec celle créée par le gouvernement socialiste, prenant du même coup une tournure beaucoup plus libérale.
Le gouvernement Jospin avait beaucoup hésité avant de dessiner les contours de cet impôt négatif. L’objectif était d’encourager le travail en accroissant l’écart entre les revenus d’activité et les revenus d’assistance. Mais fallait-il favoriser le temps partiel, les petits boulots ? Le Parti socialiste avait répondu clairement non, et le gouvernement l’avait suivi. Pas question d’aider les employeurs à multiplier les jobs à mi-temps.
Sans-faute jusqu’à présent
D’où une prime très faible pour les salariés à temps partiel, et qui grimpe progressivement avec le nombre annuel d’heures de travail, pour atteindre son niveau maximal dans le cas d’un smic à temps plein (500 euros net par an). Dominique de Villepin rompt avec cette logique. Il a décidé d’augmenter fortement (+ 50 %) la PPE pour les smicards à temps plein, mais il va bien au-delà pour un salarié à mi-temps, qui aura droit à un doublement de sa prime.
A gauche, on voit là un encouragement aux employeurs à mal rémunérer les salariés, puisque l’Etat leur viendra en aide. Même la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) a enfourché ce cheval de bataille, dénonçant « un nouveau cadeau aux entreprises qui, demain, vont pouvoir faire supporter à la solidarité nationale une partie de la rémunération de leurs salariés » . Et de dénoncer « l’étatisation d’une partie des coûts salariaux » . Pour l’économiste Pierre Cahuc, le nombre d’emplois à temps partiel pourrait effectivement augmenter si la PPE s’accroît significativement : les employeurs sont demandeurs, les salariés l’étaient beaucoup moins jusqu’à présent.
Ce qui est sûr, c’est que cette forte majoration de la prime pour l’emploi est cohérente avec la politique de libéralisation du marché du travail entamée par Dominique de Villepin (création du contrat nouvelle embauche, qui permet, pendant deux ans, de remercier un salarié sans avoir à le justifier). Le pari du gouvernement, c’est que cette plus grande liberté permettra de créer des emplois, et donc du pouvoir d’achat, ce qui relancera la croissance. Ce n’est donc plus la demande qui crée l’activité, mais l’offre. Une réalité qui tranche avec le slogan « croissance sociale » trouvé par les communicants de Matignon pour vendre la politique de leur champion.
Pour l’heure, Dominique de Villepin fait un sans-faute. L’affaiblissemen t d u Président, la fébrilité de son rival Nicolas Sarkozy, l’espoir que la conjoncture ne peut que s’améliorer avec la poursuite de la baisse du chômage qui présente toujours bien dans le trousseau d’un présidentiable ne font qu’ajouter des circonstances favorables à son parcours. Il lui reste à ne pas tomber dans le travers qui a marqué les dix années du chiraquisme au pouvoir : faire prendre aux Français des virages sans le leur dire.
Sources : CHALLENGES
Posté par Adriana Evangelizt