Les casseroles de Tiberi

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Et pour ceux qui ne connaissent pas Tiberi, voilà un article du Canard enchaîné datant de 1997 et qui prouve bien que Tiberi peut clamer son innocence... quand ceux qui se nomment "les élites" sont dévoyées et lorsque l'air est vicié dans les hautes sphères, il n'y a pas trente-six solutions pour le Peuple. Il a besoin d'oxygène. Alors Tiberi, oust !

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Comment le clan Tiberi a dopé les listes électorales dans son fief parisien

 

Canard enchaîné du 23 Avril 1997

 

par Hervé Liffran et Elise Rouard

 

Entre 3000 et 4000 électeurs inscrits illégalement par le RPR dans le Vième arrondissement : HLM contre bulletins de vote, appartements fantômes pour bons copains et familles à rallonge, réseaux d'entraide corse... Témoignages variés.

" Je n'ai jamais habité le Vième arrondissement, mais un jour un collaborateur de Jean Tiberi m'a appelé pour me dire qu'on allait m'y inscrire sur les listes électorales. Il m'a expliqué qu'il agissait ainsi parce que la mairie m'avait trouvé peu de temps auparavant un appartement dans le XVé arrondissement. "

Voilà ce que s'entendit proposer un locataire, présumé RPR, de l'office d'HLM de la Ville de Paris, et qu'on résumera ainsi : son bulletin de vote en échange du logement qu'il venait d'obtenir. Objectant qu'il était déjà inscrit sur les listes du XVe arrondissement, où il résidait désormais, son interlocuteur lui répliqua aussitôt : " Ce n'est pas grave, on s'occupe de tout. "

Sitôt dit, sitôt fait : sans avoir jamais signé la moindre demande officielle, cet heureux homme recevait, peu de temps après, une carte d'électeur pour voter dans le fief de Jean Tiberi.

Listes à la gonflette

L'inscription d'électeurs habitant dans d'autres arrondissements ou d'autres communes est l'une des plus vieilles ficelles de la fraude électorale. Utilisée de façon artisanale par des candidats de toute couleur politique, cette astuce a connu un développement industriel dans le Ve arrondissement, où Tiberi est élu sans interruption depuis 1965.

Commencé modestement à la fin des années 60, le trafic s'est développé à grande échelle après l'élection de Chirac à la Mairie de Paris, en 1977, pour atteindre aujourd'hui 3000 à 4000 électeurs inscrits illégalement. Soit près de 10 % du corps électoral. Parmi ces votants en surnombre, " Le Canard " a retrouvé non seulement des bénéficiaires d'HLM dans d'autres quartiers de Paris, mais aussi nombre de militants RPR, des collaborateurs du maire de Paris, leurs familles ou des cousins-cousines de Xavière Tiberi.

Dans l'entourage du maire de Paris, les langues ont commencé à se délier voilà quelques semaines. Plusieurs hauts fonctionnaires ont confirmé au " Canard " l'ampleur de ce trafic, dont l'objectif était de doper le score électoral de Tiberi et celui d'un certain Jacques Chirac, élu du Ve arrondissement de 1977 à 1995. Au fil des ans, nombre d'élus de la majorité et de responsables de l'administration parisienne ont été mis dans la confidence. Mais jusqu'à présent le secret était bien gardé. " Le premier d'entre nous qui se risquait à évoquer cette affaire se faisait aussitôt passer un savon terrible par le cabinet du maire, raconte un ancien de l'Hôtel de Ville. Celui qui aurait osé passer outre se serait exposé à de terribles représailles. "

Urnes à ras bord

Tiberi et Chirac n'avaient pourtant guère besoin d'un coup de pouce pour être élus dans cet arrondissement, qui vote majoritairement à droite. Mais une réélection triomphale était aussi indispensable à l'ancien maire Chirac qu'à son premier adjoint de l'époque et futur successeur.

Le flot des électeurs supplémentaires a donc permis aux deux compères d'obtenir des scores royaux frisant souvent les 60 %. De quoi leur éviter l'humiliation d'un second tour et donner l'illusion à leurs adversaires que le Vé arrondissement restait un bastion inexpugnable. " Le Canard " a commencé son enquête en consultant les listes électorales du Ve arrondissement, dont n'importe quel citoyen peut obtenir communication. Premier sujet d'étonnement : ce secteur de Paris bat tous les ans le record d'électeurs inscrits. Soit, en 1997, plus de 90 % de ses habitants en âge et en droit de voter. Par comparaison, dans les arrondissements les plus civiques, le nombre d'inscrits atteint péniblement les 79 %, tandis que la moyenne parisienne plafonne à 75 %. Résultat, il y a bousculade dans les bureaux de vote. A chaque scrutin, le Ve figure parmi les arrondissements les plus " votants " de la capitale.

Après vérification, boîte aux lettres par boite aux lettres (voir ci-contre), des adresses indiquées sur les listes électorales de 7927 inscrits (environ 20 % du corps électoral), nouvelle surprise : 2434 d'entre eux n'habitent pas à l'adresse indiquée. Soit le pourcentage ahurissant de 30,7 %. Dans certains immeubles municipaux (HLM ou autres), le taux dépasse même allègrement les 40 % pour grimper jusqu'à 70 % dans certains cas. " C'est encore pire que ce que je croyais...commente, désabusé, un élu RPR. Au doigt mouillé, j'aurais estimé le chiffre à environ 25 % ".

Mal-logés reconnaissants

Une bonne partie de ces 2434 électeurs sont bien entendu de bonne foi. Les uns ont tout simplement omis de signaler leur changement d'adresse après déménagement. Les autres viennent de quitter l'arrondissement depuis peu et n'ont pas encore effectué les démarches nécessaires. Cette situation est fréquente à Paris. Mais, dans le Ve, le clan Tiberi a ajouté sa note personnelle à la tradition en gonflant délibérément les listes.

Terrain de chasse prioritaire : les HLM. Papa Tiberi a vite compris que les logements sociaux pouvaient servir à autre chose qu'à loger ses deux enfants. L'électeur du XVe arrondissement cité plus haut n'est pas un cas isolé. Un fonctionnaire de la Ville chiffre ainsi à plus de 3000 le nombre de personnes logées dans des arrondissements périphériques et inscrites dans le Ve à l'instigation des Tiberi.

Pour donner le change, les électeurs ainsi " réquisitionnés " se sont vu attribuer une adresse fictive. De préférence chez un membre de leur famille capable de récupérer à leur place le courrier électoral. Le domicile réel de nombre d'entre eux se trouve dans le XIIIe, où l'office d'HLM dispose d'un impressionnant parc immobilier. Autant de voix potentielles piquées au député-maire du quartier, Jacques Toubon, et à la sous-ministre de l'Emploi, Anne-Marie Couderc elle aussi député du XIIIe. Deux candidats dont la réélection est loin d'être acquise aux prochaines législatives, soit dit en passant.

Un employé de la Mairie de Paris, ex-habitant du Ve et relogé l'an dernier en HLM sur les terres de Toubon, s'est confié au " Canard ". Il affirme avoir reçu un coup de téléphone d'un collaborateur de Tiberi pour lui demander de continuer à voter dans son ancien arrondissement. Pris de scrupules, un autre bénéficiaire d'HLM du XIIIe a tenu à signaler cette situation anormale en allant accomplir son devoir électoral. " Aucune importance, vous pouvez continuer à voter ici ", lui ont rétorqué les hommes de Tiberi.

De telles pratiques ne datent pas d'hier. Ainsi, lors de son déménagement en 1976, un Parisien a eu la surprise de recevoir la visite d'une personne se présentant de la part de Jean Tiberi pour lui demander de rester inscrit dans le Ve. Témoignage confirmé par l'un de ses voisins soumis à la même pression.

Mais il en est qui ne cachent pas leur gratitude, comme ce " résident " (depuis 1984...) du XIIIe, mais votant dans le Ve qui évoque avec émotion ce " maire tellement gentil avec moi : j'avais besoin d'un logement, je l'ai eu. J'ai trouvé ça juste de rester avec lui électoralement ".

Caravanes d'électeurs

L'éloignement à la périphérie de Paris pouvant inciter à la paresse les électeurs retraités, une vingtaine de voitures sont mobilisées à chaque scrutin pour les transporter et s'assurer qu'ils remplissent bien leur devoir électoral. " C'est pratique, ils viennent me chercher, et ils me ramènent après avoir voté ", soupire d'aise une vieille dame logée dans le XIIè.

Certains électeurs, pas forcément RPR ont d'ailleurs fini par comprendre tout le bénéfice qu'on pouvait tirer à s'inscrire ainsi chez Tiberi. " C'est le système pour obtenir des dérogations, par exemple quand on veut avoir des places à la crèche avoue benoîtement une mère de famille. Je leur ai dit au service social de la mairie : je vote toujours pour vous. Ce n'est pas vrai, mais puisque ça marche... "

Les cousins de Xavière

D'autres gisements d'électeurs potentiels sont mis en exploitation. Les militants RPR et les familles des membres de l'équipe Tiberi ont été ainsi mobilisés. Essaimés, en réalité, dans la plupart des arrondissements de la capitale, ils ont été faussement domiciliés là où leurs voix comptaient. Le plus souvent dans des immeubles municipaux du Ve.

Xavière Tiberi a donné l'exemple. Depuis 1992, cinq membres de sa famille sont inscrits illégalement dans un HLM de la rue Galande. Retrouvé par " Le Canard ", un de ces émigrés " clandestins ", le docteur Antoine Casanova, qui réside dans le XVè arrondissement, s'est contenté, pour tout commentaire, de nous envoyer au diable.

Un HLM surpeuplé Adjoint au maire de Paris, le professeur Jean Griscelli est lui aussi domicilié - fictivement - avec toute sa famille et deux amis (soit huit personnes au total) dans l'immeuble où la Régie immobilière de la Ville de Paris a logé sa fille. Cet exode massif remonte à décembre 1988, trois mois avant les élections municipales de mars 1989, que Chirac voulait triomphales.

" Bravo, vous m'avez retrouvé ! ", s'est exclamé, beau joueur, le professeur Griscelli. Cet élu RPR, qui réside dans le XVIe confesse benoîtement : " C'est vrai, je n'ai jamais habité dans le Ve mais j'aurais tellement aimé y demeurer. " Avant d'ajouter, d'un ton inquiet : " Mais vous savez, je vais restituer tout ça... "

Mairie très accueillante

Place du Panthéon, dans le monument historique qui abrite la mairie du Ve, la situation devient franchement comique : 21 personnes sont censées y habiter, mais 10 (et sans doute davantage) résident ailleurs. Neuf électeurs corses s'entassent ainsi dans l'appartement de fonction dévolu à l'huissier de Tiberi. Outre l'épouse de l'huissier décédé, on y trouve son père, sa mère, ses deux frères, sa soeur, sa belle-soeur, son beau-frère... Bien entendu, ces électeurs habitent dans d'autres arrondissements. " C'est volontaire, c'est pour voter Tiberi ", reconnaît froidement un des membres du clan.

Fraudeurs et fiers de l'être

Un peu plus loin, dans le quartier Mouffetard, au moins 62 des 104 électeurs censés habiter dans un HLM de la Sagi (société contrôlée par la Ville) n'y résident pas. Par exemple, dans un seul appartement s'entassent pas moins de 15 électeurs - des Corses pour la plupart. Surprise : il s'agit d'amis et de parents de Mme Affret, premier adjoint au maire du Ve arrondissement. Jointe au téléphone, cette dernière nous a abreuvés d'injures en guise d'explications.

Le même immeuble sert également de refuge électoral à quatre membres de la famille de Claude Giannoni, collaboratrice de longue date de Jean Tiberi. " De toute façon, je vote dans le Ve ou je ne vote plus ", commente sèchement l'un des membres de la tribu, qui réside dans le XIXe arrondissement.

D'autres militants annoncent la couleur sans vergogne : " Je n'ai jamais habité dans le Vè, j'y vote, c'est comme ça et ça continuera ", fanfaronne l'un d'eux qui vit dans le XIIIe et qui est pourtant inscrit comme demeurant dans un HLM de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire.

Patrons très hospitaliers

Dirigée par un adjoint au maire du Ve l'union des PME de l'arrondissement permet aussi d'abriter quelques électeurs grâce à un réseau serré de " responsables de quartier ". Dans les immeubles qu'ils occupent, la moyenne des inscrits illégalement frôle d'ailleurs les 50 %. Parmi eux, un haut fonctionnaire de la mairie du Ve, qui réside, lui aussi, dans le XIIIe.

Les commerçants qui dressent deux ou trois fois par semaine leur étal sur la place Maubert ont été pareillement mis à contribution. Tel cet ancien vendeur qui se retrouve depuis 1981 " domicilié " dans un HLM de la rue des Bernardins, où il n'a jamais mis les pieds. Et qui l'avoue.

Procurations en rafale

Enfin, vieux classique électoral, le recours massif au vote des personnes âgées. La maison de retraite municipale de la rue Ortolan abrite ainsi plus d'électeurs que de pensionnaires. Un témoin se souvient avoir vu, " la veille de certains scrutins, des envoyés des Tiberi faire le tour des services de gériatrie pour récolter des procurations ". Décidément très serviable, la mairie du Vé a même appelé la famille d'un abstentionniste pour lui proposer de s'occuper de le faire voter par procuration en lui désignant une personne qui respecterait, promis-juré, son choix politique.

Mais, comme le dit Pasqua, les promesses n'engagent que ceux qui y croient...

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Des morts fort civiques

A en croire les listes électorales les habitants du Ve battent tous les records de longévité. N'y dénombre-t-on pas moins de 35 centenaires pour 41437 électeurs ? Statistiquement, l'arrondissement ne devrait pourtant pas en compter plus d'une dizaine. Et moins encore sur les listes électorales, si l'on prend en considération les personnes âgées placées sous tutelle.

Ces fringants vieillards atteignent des âges impressionnants. Dix d'entre eux sont supposés ainsi avoir entre 104 et 107 ans. Trois autres " affichent " même 114, 117 et 119 ans !

Seul problème, la plupart de ces prodiges de santé sont morts et enterrés depuis des années, comme nous l'ont confirmé leurs familles. La fille d'un électeur né en 1892 a même fait remarquer à la mairie du V que, son père étant décédé en 1985, il serait peut-être temps de le rayer des listes. Pour toute réponse, cette brave dame n'a eu droit qu'à un haussement d'épaules.

Pouvoir voter tout en étant mort n'est d'ailleurs pas le privilège des centenaires. " Le Canard " a découvert par hasard que d'autres électeurs dont les âges devraient aujourd'hui s'échelonner entre 32 et 93 ans étaient, en fait, décédés depuis des années. Au total, le nombre de morts admis à voter dans le fief de Tiberi peut être estimé à plusieurs dizaines.

Reste une question cruciale : quelqu'un a-t-il voté à la place des défunts ? La réponse se trouve dans les listes d'émargement que signent tous les votants. Ces précieux documents sont conservés à la mairie du Ve et aux archives départementales. Mais leur consultation est interdite au public dans les trente années qui suivent le scrutin. Sauf à obtenir une dérogation, que " Le Canard " vient de solliciter. On peut toujours espérer ..

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La méthode " Canard "

Pour réaliser cette enquête, " Le Canard " n'était armé que des seules listes électorales. Le contrôle un par un des 41437 électeurs du Vè arrondissement pouvant se révéler par trop fastidieux, nous nous sommes contentés d'un " petit " échantillon de 7927 personnes, soit 19,13 % du corps électoral...

Quel échantillon ? Les adresses, présumées riches en électeurs illégaux, ont bien entendu été systématiquement prospectées (locaux municipaux, immeubles connus pour abriter des militants RPR, etc).

Mais, afin d'obtenir une vision d'ensemble la plus exacte possible, nous avons élargi notre enquête à la totalité des HLM de l'arrondissement ainsi qu'à des immeubles plus cossus. De même, des rues entières ont été inclues dans l'étude. Par exemple, les 1282 électeurs de la rue Poliveau (à l'exception d'une maison de retraite municipale où nous avons trouvé porte close). Ainsi encore les 199 de la rue de Valence. Dans un deuxième temps, les noms des inscrits dans les 219 immeubles ou groupes d'immeubles sélectionnés ont été l'un après l'autre comparés aux noms figurant sur les boîtes aux lettres.

Mieux qu'un autre Corse

A l'arrivée, le taux de non-domiciliés aux adresses indiquées sur les listes atteint le chiffre fantastique de 30,7 %, soit 2434 électeurs sur 7927 noms vérifiés. Nombre de ces Parisiens inscrits à tort ont - répétons-le - simplement omis de faire enregistrer leur nouvelle adresse ou n'ont fait que se déplacer dans le Ve arrondissement. Mais ils sont loin d'être les seuls, comme le prouvent les multiples témoignages d'électeurs retrouvés grâce au Minitel.

Une comparaison avec un autre arrondissement de Paris s'avère fort instructive. Dans le IIIe, le premier adjoint de Tiberi, Jacques Dominati, est soupçonné, lui aussi, d'avoir gonflé - mais dans une moindre mesure - les listes électorales. En 1996, après envoi d'un courrier à la plupart des électeurs, les dirigeants socialistes et écologistes locaux avaient découvert que 18 % d'électeurs ne résidaient pas aux adresses indiquées. " Ce taux se situe dans la moyenne constatée sur tout Paris ", avait alors simplement rétorqué l'équipe Tiberi.

Alors, que va-t-elle dire aujourd'hui de nos 30,7 %... ?

Sources : POLITIQUE GLOBALE

Posté par Adriana Evangelizt

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