Menace sur notre capacité militaire
Voilà un article qui va dans notre inquiétude sur la réforme de l'Armée. Il est écrit par un militaire. Il faut savoir que l'Armée de terre est celle qui s'occupe de la protection des citoyens en cas de conflits. Or, comme l'explique l'officier, le nombre de soldats ne remplirait pas les gradins du stade de France et serait vouée à jouer les auxiliaires des anglo-saxons. Serait-ce le but du jeu ? Mettre notre Armée sous tutelle.
Menace sur notre capacité militaire
par Jean-Claude Thomann
Jean-Claude Thomann est officier général en 2e section.
A quelque temps de la sortie du Livre blanc sur la sécurité et la défense, l'inquiétude et le malaise grandissent dans une armée de terre vouée, selon un procédé désormais bien établi, à payer l'essentiel de la note que devra régler une Grande Muette considérée une fois de plus comme une variable d'ajustement de notre politique budgétaire.Composée, sous l'autorité d'un préfet, d'un bataillon de contrôleurs généraux des armées, la commission de rationalisation du soutien a attaqué à la hache la fonction soutien des armées, jugée pléthorique et redondante. Chef-d'oeuvre du raisonnement technocratique, ses attendus comme ses conclusions ignorent certaines réalités opérationnelles et fonctionnelles des armées. Ainsi un large recours à la sous-traitance aux sociétés privées est préconisé, alors que les armées savent, après les premières expériences d'externalisation des services, que leur budget est incapable de financer les prestations nécessaires.
Quant au Livre blanc, il part d'un double constat : d'une part le projet "Armées 2015" développé à compter du précédent Livre blanc n'est pas réalisable, ayant par trop souffert de coupes budgétaires répétitives que les effets d'annonce ont partiellement masquées ; d'autre part, le contexte géopolitique et stratégique a considérablement changé et il est temps d'en prendre acte. Si les militaires ne peuvent que regretter le premier volet du constat, ils se réjouissent du souci de nos gouvernants de se doter de l'outil de défense le plus adapté à la nouvelle donne, d'autant plus que ce sont eux qui, sur le terrain, mesureront la pertinence des transformations réalisées... Et c'est bien là que le bât blesse pour l'armée de terre ; en effet, compte tenu du piètre état de nos finances et sous la pression des lobbies aéronautique, naval et nucléaire, les propositions de la commission s'orientent vers une réduction drastique des capacités déjà souvent résiduelles de nos forces terrestres.
On peut à ce propos s'étonner de ce que cette instance ne comporte quasiment pas de militaires pour un sujet qui les concerne directement : cet exercice majeur pour notre futur a sans doute scellé le primat absolu du haut fonctionnaire civil sur son homologue militaire, ravalé au rang de technicien aux avis secondaires.
Or dans les arbitrages à effectuer, si le facteur "soutien à l'économie" par le biais des industries d'armement a un poids incontestable, il n'est pas le seul de cette importance. Dans les guerres modernes et la gestion des crises, les forces terrestres sont le seul acteur ancré au milieu des populations des régions en état d'insécurité, auquel revient la tâche de créer les conditions du retour à la normalité : elles sont de ce fait les plus sollicitées et représentent 85 % des moyens opérationnels engagés en permanence. Mais, à force d'arbitrages interarmées défavorables en matière d'équipements, nous avons aujourd'hui les unités terrestres les moins bien équipées du monde occidental, comme le constatent nos soldats côtoyant leurs pairs en Afghanistan.
Ainsi, au moment même où nos amis américains et britanniques, tirant les enseignements des opérations dans lesquelles ils payent le prix du sang, intensifient leur effort de défense au profit de leurs forces terrestres, nous nous apprêtons à prendre le chemin inverse en réduisant leur format et en n'assurant pas le renouvellement de matériels à bout de souffle ; ces derniers ont sans doute le tort de ne pas coûter assez cher pour qu'on en parle dans les instances gouvernantes et industrielles.
La conséquence d'une telle politique ne pourra être, outre notre déclassement de la "première division" des armées occidentales, qu'une révision complète des missions imparties à l'armée de terre : nos autorités politiques et nos diplomates devront apprendre à composer avec la dure réalité de l'insuffisance des moyens et cesser de mettre en avant leur ambition de participer à la gestion des affaires du monde ; de fait, dans les relations internationales, les rapports de forces réels comptent plus que les effets de manches.
Si ces propositions sont suivies, l'armée de terre, qui ne pourra même plus remplir les gradins du Stade de France, sera vouée à jouer les auxiliaires des Anglo-Saxons. Tout cela n'ira pas sans mal, car l'exemple, payant, de la gendarmerie en 2001 a laissé des traces profondes ; officiers, sous-officiers et soldats accepteront de moins en moins les promesses - non tenues - de lendemains meilleurs tant pour les conditions d'exercice de leur mission que pour leur condition personnelle. Comme ils sont encore disciplinés, nombre d'entre eux, et comme toujours les meilleurs, voteront avec leurs pieds et iront mettre leurs talents au service d'autres causes mieux considérées et plus gratifiantes.
Il est cependant encore temps de tempérer les conclusions des thuriféraires de la réforme. La décision appartient au président de la République, qui, mieux que quiconque, peut apprécier notre besoin opérationnel et choisir les moyens les plus appropriés pour préserver notre influence dans la conduite des relations internationales. Garant de la sécurité et de la défense de nos concitoyens, il ne peut ignorer les vrais défis à relever dans les prochaines années ; dans ce domaine, il convient de reconnaître que le porte-avions et le Rafale, pour utiles qu'ils soient, ne semblent pas être les outils les plus prioritaires pour lutter contre les terroristes et gagner la confiance des populations tant dans le monde que sur le territoire national.
A défaut, une solution miracle pourra être proposée : la location des services d'une société militaire privée spécialisée dans l'action terrestre pour faire le travail sur le terrain. Car vient le temps où existeront sur le marché des brigades d'infanterie et autres bataillons blindés à louer, clés en main, pour une prestation au profit de nations fatiguées de se donner les moyens de se défendre ou de participer à la résolution des crises dans le village mondial. Mais n'est-ce pas ce que fit déjà l'Empire romain dans sa course vers l'abîme ?
Sources Le Monde
Posté par Adriana Evangelizt