Enquête sur les caprices de Rachida Dati
Enquête sur les caprices de Rachida Dati
par Gilles Gaetner, Eric Pelletier, Jean-Marie Pontaut et Ludovic Vigogne
Elle reste l'une des stars du gouvernement, mais son étoile commence à pâlir dans l'opinion. Et à l'Elysée ? En une année, la garde des Sceaux s'est, en tout cas, fait de nombreux ennemis. Autoritarisme, dépenses excessives, légèreté, voire incompétence... Le dossier de L'Express sur ces accusations et les réponses de la ministre.
Splendeurs et misères d'un symbole de la République... En mai 2007, la nomination de Rachida Dati Place Vendôme consacre une ascension politique et sociale sans précédent. Ministre de la Justice à 41 ans, incarnation de la méritocratie, elle revêt avec délectation les habits neufs du pouvoir. Dati n'a pas seulement pour mission de faire voter les lois phares du candidat en matière de sécurité. Elle doit faire voler en éclats les conservatismes français et leurs scories : machisme et racisme en tête. Le charme opère un temps. Mais, un an après sa promotion, l'étoile du système Sarkozy ne brille plus avec autant d'intensité. A l'Assemblée nationale, elle semble trop souvent dépassée par les textes qu'elle doit défendre, comme récemment le projet de révision constitutionnelle. Plus encore, ses caprices agacent jusque dans les rangs de la majorité. Si elle reste une star du gouvernement, signant des autographes à chaque déplacement comme une vedette de la chanson, la cote d'influence de la garde des Sceaux a perdu 10 points, chutant de 42 % à 32 % entre septembre 2007 et mai 2008, selon le baromètre BVA-Orange-L'Express. Ses adversaires ne se cachent plus, même au sein de son propre camp. « La politique se résume souvent au plaisir de cogner pour cogner. Il y a quelque chose d'infantile dans ce comportement », se console Rachida Dati. Mais, au fond, n'est-elle pas devenue sa meilleure ennemie ?
Lors de ses déplacements, les journalistes découvrent pourtant une femme affable, pétillante, au style direct. Ses dossiers, elle n'hésite pas à les délaisser un instant pour évoquer le charme de l'acteur Robert Redford ou la beauté de Ségolène Royal. A la chancellerie - « la chancell' », comme elle dit - elle s'amuse à appeler les directeurs par leur prénom. Elle sait aussi détendre l'atmosphère et mettre les rieurs de son côté. André Vallini, député PS de l'Isère, n'a pas oublié ce débat avec celle qu'il voyait pour la première fois, à Grenoble, à la mi-septembre 2007. D'emblée, Rachida Dati le tutoie et lui donne du « André ». Au cours de son intervention, du coin de l'oeil, elle remarque que le journaliste Laurent Joffrin et le député ôtent tous deux leur veste au même moment. Elle a ce trait d'humour, souligné d'un sourire désarmant : « Alors, vous vous déshabillez pendant que je parle... » Depuis, le climat entre la ministre et le député s'est passablement refroidi. Vallini a stigmatisé la « légèreté insoutenable » de la garde des Sceaux, qui, selon lui, « entre dans les prisons comme on monte les marches du Festival de Cannes ». Celle-ci refuse de lui serrer la main.
Les premiers à découvrir la face cachée de Rachida Dati ont été évidemment ses collaborateurs, témoins de ses sautes d'humeur. Un jour, mécontente d'une note rédigée par l'un d'eux, elle décroche son téléphone pour le ser- monner. Et ironise : « Nous sommes mercredi. Il est 16 h 30. Je pense que vous êtes déjà en week-end... » Elle moque le caractère réservé de la directrice des affaires civiles et du sceau : « Existez, manifestez-vous plus souvent ! » lance la ministre à cette membre du Conseil d'Etat, timide et travailleuse, qui n'hésite pas à rester tard dans la nuit à son bureau. Rachida Dati n'a jamais cherché à tempérer son impatience, le combustible de son incroyable vitalité. Ce trait de caractère se manifeste dans les moindres détails du quotidien. Il y a six mois environ, sa télévision tombe en panne. Elle somme illico le chef du bureau du cabinet, chargé de l'intendance, de trouver un réparateur dans le quart d'heure. Arrivé en urgence, celui-ci patientera plus d'une heure avant de pouvoir intervenir dans le bureau de la ministre...
"Pour être membre d'un cabinet, il ne faut pas avoir peur"
Certains, exaspérés, se rebiffent. Avant de claquer la porte, son ancien conseiller diplomatique lui réplique : « Ne me parlez pas comme ça ! » Michel Dobkine, son premier directeur du cabinet, a jeté l'éponge quelque six semaines seulement après sa nomination. Cet ancien directeur de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), très entier, fin technicien, ne supportait pas les certitudes de la ministre. L'attelage a vite explosé. Pour justifier le départ de Dobkine, Rachida Dati affirme qu'il ne se montrait pas suffisamment présent Place Vendôme, évoquant des dossiers qui n'arrivaient pas à l'heure. L'incident aura marqué le point de départ du désamour entre les magistrats et leur ministre. Depuis un an, une douzaine de membres de son cabinet ont quitté leurs fonctions, souvent dans des conditions douloureuses. « Et Roselyne Bachelot ? Vous pensez qu'elle ne fait pas pleurer ses collaborateurs ? riposte, cinglante, la garde des Sceaux. Pour être membre d'un cabinet, il ne faut pas avoir peur. Un ministre entouré de collaborateurs qui se lamentent ne se sent pas en sécurité. »
Ses caprices ont alourdi l'ambiance Place Vendôme. Plomberont-ils aussi les comptes du ministère ? A l'heure où l'on supprime des juridictions (voir"La bataille de la carte judiciaire"), les frais de réception se sont sensiblement accrus pour l'année 2007, a récemment révélé le site Internet Mediapart. La tendance se serait d'ailleurs confirmée au début de 2008. Selon le site, cette hausse est due essentiellement à la Fête de la musique de juin 2007 et à la garden-party du 13 juillet à l'hôtel de Bourvallais, siège du ministère. Deux événements qui, à eux seuls, auraient coûté plus de 80 000 euros. Au début de 2008, le contrôleur financier du ministère s'inquiétait de plusieurs factures de traiteur. Parmi d'autres demandes de remboursement figuraient des collants Wolford...
Ses excès de glamour ternissent son image de garde des Sceaux
Rachida Dati n'est pas du genre à esquisser un mea culpa. « Montrez-moi les factures ! lance-t-elle. Il n'y a jamais eu de dépassement. Je n'habite pas l'appartement de fonction du ministre. Je n'utilise pas ma voiture avec chauffeur le week-end. Je n'organise pas de réception à titre personnel à la chancellerie. » Et d'ajouter, pour clore le chapitre : « On m'aligne sur mes robes, mais, pendant ce temps, moi, je passe mes réformes » (voir "Des réformes en rafale").
En août 2007, l'argent du ministère a été au centre d'un imbroglio, passé inaperçu dans la torpeur de l'été. Le 16 août, un projet de budget est prématurément communiqué à Bercy, alors qu'il n'était pas finalisé : la répartition des 1 615 postes créés est erronée. La Place Vendôme a dû reprendre sa copie. Une erreur rarissime, car les budgets sont généralement validés par le ministre concerné avant d'être adressés aux Finances. Cette « bavure » a coûté sa place à la conseillère budgétaire, renvoyée dans une ambiance délétère. Les journaux se sont fait l'écho de ce nouvel éclat de voix du ministre.
Avec les médias, Rachida Dati entretient des rapports complexes. Selon sa conception, la presse doit être un miroir lisse dans lequel elle s'admirerait. Mais ses excès de glamour, flatteurs pour son ego, ternissent l'image de la garde des Sceaux... Le 6 décembre 2007, Paris Match consacre sa Une à « L'année de toutes les ruptures ». La silhouette longiligne de la ministre vêtue d'une éclatante robe rose et rouge de chez Dior irradie la couverture. Une photo en pages intérieures, où on la voit posant en bas résille et en bottes à talons hauts dans le luxueux décor de l'hôtel Park Hyatt, rue de la Paix, à Paris, fait s'étrangler bon nombre de magistrats. Lesquels trouvent ce « costume » mal taillé pour la fonction.
Pendant ce temps-là, la misère humaine submerge des tribunaux bondés. « Elle s'est trompée de robe », raille Dominique Barella, ancien président de l'Union syndicale des magistrats (USM). Plusieurs conseillers, jusqu'à l'Elysée, ont bien tenté de dissuader la ministre de cette séance photo. L'attrait de la lumière l'a emporté. Ce procès en frivolité, Rachida Dati ne l'accepte pas. Elle s'insurge, quitte à grossir le trait des attaques : en France, selon elle, « on ne peut pas être ministre et coquette ». En réalité, la leçon a porté. « Dans l'ensemble du sujet de Paris Match, il y avait peut-être une photo de trop », concède-t-elle finalement. Récemment encore, un ami lui demandait pourquoi elle ne venait pas à Cannes lors du festival. « Tu es malade ! » lui a rétorqué la garde des Sceaux, craignant pour son image. Elle ajoutait que, de toute façon, on s'y ennuie à mourir !
Avec les journalistes spécialisés dans les questions de justice, les relations restent fraîches. Michel Deléan, grand reporter au Journal du dimanche, en témoigne sur son blog. Lors de la traditionnelle réception de début d'année, organisée à la chancellerie le 17 janvier dernier, Rachida Dati, tout sourire, salue ses invités un à un. Comme beaucoup, Deléan a reçu un carton quelques semaines auparavant. Mais il vient de signer un article évoquant la demande d'audition, comme simple témoin, de la garde des Sceaux, en marge d'une affaire judiciaire. Rachida Dati ne lui pardonne pas ce crime de lèse-majesté. « Si j'avais su qui vous étiez, je ne vous aurais pas salué », lâche-t-elle soudain, en retirant sa main lorsqu'elle réalise l'identité de son invité. Interrogée sur cette scène, la ministre assure qu'elle n'a jamais existé.
Elle supporte mal qu'un journal la mette en cause
A la suite d'une polémique sur ses conditions d'entrée dans la magistrature, L'Express du 25 octobre 2007 confirmequ'elle disposait bien du diplôme requis, mais révélait qu'elle n'était pas titulaire du MBA mentionné dans son dossier d'intégration. Mécontente de ces informations, Rachida Dati ne cacha pas sa colère, sommant plusieurs magistrats de la défendre. Elle niera finalement toute pression, mettant ces appels à la rédaction sur le compte d'initiatives intempestives de... son entourage. Aujourd'hui, elle se défend de toute intervention. « Je n'ai pas de rapport affectif, ni amour ni haine, avec la presse », assure-t-elle. Pourtant, avisée de la préparation du présent article, la ministre de la Justice sollicitait une nouvelle fois ses relations, les invitant à faire leur possible pour éviter un ton trop mordant. Elle inspire une certaine crainte, puisque la plupart de nos interlocuteurs n'ont accepté de s'exprimer qu'avec la garantie d'un strict anonymat.
Bien qu'elle s'en défende, elle supporte mal qu'un article la mette en cause. En marge du déplacement présidentiel à Londres, en mars dernier, elle s'en est même ouverte à un policier de haut rang. « Elle s'est plainte de l'incapacité de son service à bloquer la mise en ligne de l'article de Mediapart consacré au budget et titré sur les folles dépenses de la ministre », rapporte, éberlué, un témoin de la scène. De même, exaspérée par certaines médisances colportées ici ou là, elle cherche à tout prix à en identifier les auteurs, souvent issus, selon elle, de la majorité.
Rien d'étonnant que la rumeur de l'arrivée de Rachida Dati au ministère de l'Intérieur ait suscité quelques levées de bouclier chez des policiers de tout grade. Elle en a rêvé, mais l'idée a finalement été abandonnée en décembre 2007. A cette époque, lors d'un Conseil des ministres, Rachida Dati fait passer un petit mot à Michèle Alliot-Marie, jurant qu'elle n'a jamais souhaité prendre sa place. Malgré leur style si dissemblable, les deux femmes ont trouvé un modus vivendi. Celui-ci a permis au gouvernement d'éviter les traditionnelles bisbilles entre Beauvau et Vendôme.
Dans les premiers temps, les critiques se sont concentrées sur l'autoritarisme de Rachida Dati. Désormais, elles visent ses compétences de femme politique. La garde des Sceaux n'a pas été épargnée lors de ses récentes prestations à l'Assemblée nationale. Elle n'a d'ailleurs pas présenté le projet de révision constitutionnelle, comme il est d'usage de le faire pour un garde des Sceaux. Le Premier ministre a dû prendre sa place à la tribune. « J'ai toujours été d'accord pour que Fillon fasse le discours, déclare-t-elle avec assurance. Je lui ai même dit : ce serait pas mal que tu répondes aux députés... » Lors des débats, Roger Karoutchi a semblé « chaperonner » la ministre de la Justice. « Chaperonnée » par le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement ? L'image lui arrache un soupir et un haussement de sourcils : elle n'a d'autre référent que le président.
L'ex-conseillère de Beauvau et de Bercy s'est en effet toujours montrée d'une totale fidélité au chef de l'Etat. Un dévouement qui la conduira, dit-elle, à « se retirer de la politique » quand Nicolas Sarkozy « arrêtera ». Elle loue sans cesse sa constance dans les réformes, dont elle est le fer de lance à la Justice. « Si Fillon avait été président de la République, je ne suis pas sûre que nous aurions fait la [nouvelle] carte judiciaire », glisse-t-elle. L'accompagnant à Lille, première étape du tour de France où elle dévoilait ses choix en la matière, le chef du gouvernement lui avait demandé dans la voiture de bien préciser que ses annonces n'étaient pas des « décisions », mais des « propositions ». Certaine du soutien présidentiel, quelques minutes plus tard, face aux élus régionaux, elle plantait sa banderille : « Voici nos décisions »... De même, sa gestion de l'annulation d'un mariage, liée à la non virginité de l'épouse, a été l'occasion d'une nouvelle tension avec François Fillon (voir la chronique de Jacques Attali).
Depuis des semaines, pourtant, une confidence revient en boucle sur les lèvres de ses collègues du gouvernement : « Rachida n'a plus l'oreille du président. » Son absence de la task force, sept ministres réunis le jeudi à l'Elysée, est, à leurs yeux, l'illustration la plus flagrante de cette relation plus distante. Dans la catégorie « sarkozyste de choc », Rachida Dati a été remplacée par Nadine Morano. Dans le camp des ministres promis à un très grand avenir, Xavier Bertrand, Luc Chatel ou Laurent Wauquiez occupent désormais les premiers rangs, bien loin devant la garde des Sceaux. Si elle ne figure plus sur la photo, celle-ci n'est pourtant jamais très loin du cadre.
Rachida Dati peut toujours se prévaloir de faveurs que bien d'autres membres du gouvernement envieraient. Le 3 mai, elle dînait, comme Xavier Bertrand, à la Lanterne, en compagnie du couple présidentiel. Le 24, le chef de l'Etat et son épouse la conviaient à déjeuner à l'Elysée, même si Carla Bruni-Sarkozy impose sa nouvelle façon de vivre (voir "Les heures ouvrables du président"). Dans ces conditions, Rachida Dati assume sans fard l'hostilité des parlementaires. Le député UMP de la Somme Jérôme Bignon, qui n'a pas accepté d'être si mal traité pendant sa réforme de la carte judiciaire, se lève et change de place quand elle s'assoit à côté de lui. On lui reproche de ne pas répondre aux courriers d'élus de terrain. Elle le revendique. « Je ne suis pas comme certains à recevoir des gens et à faire semblant. Je reçois ceux que j'ai plaisir à recevoir », assène-t-elle. De sa dureté Rachida Dati n'a jamais fait mystère : « La politique n'est pas un domaine propice pour l'amitié profonde. » Au sein de l'équipe Fillon, elle ne revendique qu'une seule proche : Nathalie Kosciusko-Morizet. « Quand mes frères ont eu des histoires [NDLR : deux d'entre eux ont été impliqués dans des dossiers judiciaires], je n'ai pas compté un seul soutien à l'UMP, pas un seul au gouvernement », rappelle-t-elle.
Malmenée, jalousée, Rachida Dati reste pour le président un symbole, fût-il écorné. A Paris aussi, le chef de l'Etat, qui l'a convaincue de se présenter aux élections municipales à la mairie du VIIe arrondissement, la protège. Elle a aujourd'hui nettement sa préférence pour prendre, à l'automne, la tête de la fédération UMP de la capitale, face à l'autre candidate éventuelle, Christine Lagarde, ministre de l'Economie. Mezza voce, des barons parisiens prédisent que celle qui a connu une campagne difficile - et parfois subi des attaques racistes - dans le VIIe arrondissement ne sera jamais élue à la présidence de la fédération UMP de la première ville de France. « S'ils pensent que cela m'arrêtera... Je n'ai pas pris de décision, leur répond Rachida Dati. Si j'ai envie d'y aller, j'irai. »
Elle a brillé. Il lui faut maintenant durer. « Aucun de mes prédécesseurs n'est sorti heureux de la chancellerie, confie-t-elle. La vie est trop courte, je ne vais pas me priver d'aimer mon job, d'aimer la vie. » Sa cote baisse dans l'opinion ? « De toute façon, il y a un an personne ne me connaissait. Au moins, il y a une opinion », lâche-t-elle. A l'indifférence préférer les critiques. Revendiquer le bonheur personnel comme programme politique. Cette légèreté assumée est, aussi, la marque Dati.
Gilles Gaetner, Eric Pelletier, Jean-Marie Pontaut et Ludovic Vigogne
SourcesL'Express
Posté par Adriana Evangelizt