Pouvoir d'achat : tous les Français sont inquiets
Pouvoir d'achat : tous les Français sont inquiets
Alors que Nicolas Sarkozy doit s'exprimer jeudi 25 septembre sur la situation économique, rarement les Français ont paru si pessimistes. Interrogés sur l'impact en France de la crise financière et boursière mondiale, 81 % d'entre eux se disent inquiets, selon un sondage IFOP- JDD paru dimanche (enquête réalisée les 18 et 19 septembre auprès d'un échantillon national représentatif de 956 personnes âgées de 18 ans et plus). Le Monde entame aujourd'hui une série d'enquêtes sur le pouvoir d'achat, devenu la préoccupation numéro un, devant le chômage. Professeur d'économie à l'université Paris-Diderot et directeur de recherche au CREDOC, Philippe Moati explique comment, sur ce sujet sensible, la réalité a fini par rejoindre le ressenti.
Vous êtes coauteur avec Robert Rochefort d'un rapport sur la mesure du pouvoir d'achat, dans lequel vous distinguez la réalité et la perception qu'en ont les Français. Comment expliquez-vous que cette préoccupation soit devenue prioritaire ?
Cela s'explique par des difficultés objectives mais c'est aussi le signe de cristallisation d'une angoisse collective. Depuis quelques années, les modes de rémunération ont beaucoup évolué avec la désindexation des salaires sur les prix et surtout l'individualisation qui privilégie le mérite et la promotion. Si l'on y ajoute les ruptures de trajectoires professionnelles, les mises à la retraite, la perte d'emploi ou les transitions, un grand nombre de Français ont le sentiment que leur pouvoir d'achat a décroché. Ils amplifient la tension, même si 2007 aura été une année globalement favorable pour le pouvoir d'achat avec une croissance moyenne de 3 %. Depuis, l'inflation s'est accélérée. Il est normal que la préoccupation devienne plus aiguë, car une bonne partie de la population constate qu'effectivement ses revenus n'augmentent pas au même rythme que les prix.
La flambée du coût de l'énergie a-t-elle accentué leur ressenti ?
L'angoisse n'est pas récente. Un certain nombre d'indicateurs, depuis 2003, révèlent que le moral des Français est au plus bas. Il faut remonter aux années 1990 pour observer des résultats aussi inquiétants. Les Français sont angoissés. Ils pensent que la situation ne peut que se détériorer, que le modèle des "trente glorieuses" est menacé par la mondialisation, que les acquis sociaux se réduisent. Ils ont l'impression de quitter un monde relativement rassurant pour entrer dans un univers plein de risques sur lequel le corps politique se révèle incapable d'agir. La charge est reportée sur l'individu qui a le sentiment de devoir assumer seul les conséquences de cette mutation. D'aucuns se replient sur la structure familiale, d'autres dans des idéologies extrêmes. Pour une part importante de la population, l'hyperconsommation devient une valeur refuge. Le phénomène a été amplifié ces dernières années par l'arrivée sur le marché d'une multitude de produits et de services nouveaux (portables, Internet, télévision par câble...), comme il en apparaît rarement au cours des décennies. Le vouloir d'achat a augmenté plus vite que le pouvoir d'achat, créant du même coup un surcroît de frustrations.
Les promesses de M. Sarkozy qui s'est proclamé président du pouvoir d'achat ont-elles accentué cette déception ?
Durant sa campagne, Nicolas Sarkozy a construit un discours rassurant. Il s'est présenté comme le président qui allait protéger les plus faibles et les accompagner dans cette transition inéluctable. Plus dure est donc la chute. La nouveauté de la crise, c'est qu'elle s'est étendue aux classes moyennes. Depuis le début de l'année 2008, les Français indiquent qu'ils envisagent de restreindre leur consommation sur l'ensemble des postes, y compris l'alimentation. Et ces arbitrages concernent toutes les couches de la population.
Cette crise peut-elle générer de nouveaux comportements ?
Les consommateurs semblent tiraillés entre deux pulsions contradictoires. Certains vont poursuivre dans l'hyperconsommation en modifiant leur choix : ils privilégieront par exemple le hard discount plutôt que l'hypermarché, achèteront moins de marques et choisiront des stratégies d'achat malin sur Internet.
Mais on assiste aussi à l'amorce d'une attitude plus critique d'un nombre encore réduit de "militants de l'économie du bonheur". Ceux-là s'interrogent : travailler plus pour gagner et consommer plus ? Au final, est-on forcément plus heureux alors qu'on nous explique que ce surplus de consommation a des conséquences sur l'environnement et l'épuisement des ressources naturelles ? La crise actuelle pourrait amorcer un tournant et favoriser une réflexion sur le mieux consommer.