La guerre DDV - Sarkosy continue
Le sommet de l'Etat miné par des coups bas
par Antoine GUIRAL et Pascal VIROT
La guerre Sarkozy-Villepin se poursuit sur fond de scandale financier, de dénonciations anonymes et de barbouzeries.
Pas de trêve dans la guerre entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy. La page du CPE à peine tournée, les deux hommes retrouvent un autre terrain d'affrontement : l'affaire Clearstream. Ce dossier «abracadabrantesque», comme aurait pu le dire Jacques Chirac, est né de fausses accusations d'un corbeau affirmant que plusieurs personnalités du monde politique et économique, dont Sarkozy, possédaient des comptes occultes à l'étranger via la société financière luxembourgeoise Clearstream. Une information judiciaire pour «dénonciation calomnieuse» a été ouverte en septembre 2004 et confiée à deux juges qui tentent depuis d'identifier le corbeau. Au printemps 2004, celui-ci avait adressé au juge Van Ruymbeke, qui enquêtait sur les frégates de Taiwan, deux lettres et un cédérom détaillant des numéros de comptes chez Clearstream et qui évoquaient des transferts secrets de plusieurs millions de dollars.
Haines. Aujourd'hui, la vaste manipulation secoue le sommet de l'Etat avec une série de perquisitions spectaculaires ces derniers jours, jusque dans le bureau de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. Sur fond de bataille de succession pour l'Elysée, Sarkozy soupçonne Villepin d'avoir voulu mener contre lui une vaste opération de déstabilisation qui remonte à l'époque où ce dernier officiait au ministère de l'Intérieur, sous Raffarin.
Le juge Renaud Van Ruymbeke considère assez vite que le président de l'UMP, comme l'ensemble des personnalités politiques incriminées, Dominique Strauss-Kahn (PS), Jean-Pierre Chevènement et Alain Madelin (UMP), sont faussement mises en cause. Elles se sont toutes portées partie civile aujourd'hui. En demandant l'accès au dossier, certains, qu'ils soient politiques ou patrons, y voient un intérêt dans la perspective de 2007. Car, si, au bout du bout, l'affaire dévoilait un complot ourdi par Villepin contre son ministre, ils posséderaient les pièces du dossier. Et personne ne pourrait plus alors tenter d'étouffer l'affaire en vue de la présidentielle.
Même si la justice ne prend pas les accusations du corbeau au sérieux, Sarkozy décide , en novembre 2004, de ne pas en rester là. Il a en effet appris que Villepin avait fait diligenter une enquête de la DST sur l'affaire et il lui reproche publiquement de ne pas avoir rendu publics les résultats. Les deux hommes ont une explication très tendue sur le sujet. Les veilles haines de la bataille Chirac-Balladur de 1995 remontent. Les chiraquiens avaient eu la certitude que Sarkozy, alors ministre du Budget, avait fait sortir contre eux une (fausse) affaire de terrains à Paris impliquant Bernadette Chirac.
Arroseur arrosé. Persuadé cette fois que Villepin a cherché à enquêter sur lui pour le discréditer, Sarkozy va alors tenter d'instrumentaliser l'affaire Clearstream pour l'accuser de barbouzerie et accréditer l'idée que l'Etat chiraquien fait jouer ses officines pour essayer de l'abattre. Bref, il va faire à Villepin le coup de l'arroseur arrosé... . La tâche lui est d'autant plus facile que plusieurs acteurs majeurs de l'affaire sont des proches du Premier ministre, comme le général Philippe Rondot ou Jean-Louis Gergorin, vice-président d'EADS. Lorsqu'il retrouve le ministère de l'Intérieur en juin 2005, Sarkozy claironne en peu partout qu'il pourra désormais se «protéger contre les mauvais coups» qui le visent, lui et «sa famille». Dans un entretien à Libération le 19 juillet, il assure que «la vie politique est encombrée par des officines depuis longtemps. J'ai l'intention d'y mettre de l'ordre».
Sarkozy et Villepin n'ont plus aucune confiance l'un en l'autre. Le premier maintient la pression et ne perd jamais une occasion de se montrer menaçant lors de ses entretiens en tête à tête avec Chirac ou Villepin. Il assure que la traque du corbeau avance et cautionne toutes les perquisitions de ces derniers jours. Enfin, au terme des commissions rogatoires, il se constitue partie civile en janvier 2006.
Complot. Dans ce maelström, la gauche se pose plutôt en spectateur. Mercredi, le socialiste Vincent Peillon avait pris l'affaire à la rigolade. Le patron du Nouveau Parti socialiste, qui avait présidé entre 1999 et 2002 une mission parlementaire sur le blanchiment d'argent sale, avait jugé que l'affaire «fait rire l'Europe entière». Ce n'est pas du tout l'avis de Chevènement. Chantre de la République, l'ex-ministre de l'Intérieur voit dans la mise en cause des hommes politiques «une campagne de discrédit de la démocratie particulièrement infâme». Une analyse que ne partage pas Madelin, autre impliqué : «Je ne crois pas à un monstrueux complot politique», a expliqué le député d'Ille-et-Vilaine. Pour Chevènement, qui a annoncé mercredi qu'il demandait à avoir accès au dossier, la présence de noms d'hommes politiques sur le listing trafiqué «est un rideau de fumée». Selon lui, il faut chercher du côté des vendeurs d'armes : «Il semble qu'il y a de mauvaises moeurs dans l'industrie de l'armement.» C'est d'ailleurs pour cela qu'il n'hésitera pas à demander des dommages et intérêt si le corbeau est démasqué : «Ça ne me dérangerait pas, surtout si c'est un industriel de l'armement.» S'il a attendu avant de se porter partie civile, c'est qu'il attendait que l'enquête «progresse». Tout comme Strauss-Kahn. L'ex-ministre de l'Economie s'est porté partie civile vendredi dernier. S'il a patienté, explique l'un de ses proches, c'est qu'il manquait «d'informations». Quant à savoir pourquoi il est lui aussi «mouillé», c'est, estime ce fidèle de DSK, parce qu'au début de l'affaire «il existait deux candidats à la présidentielle de 2007 à fort potentiel électoral : Sarkozy et Strauss-Kahn». Et qu'essayer de les dézinguer pouvait être tentant pour certains.
Sources : LIBERATION
Posté par Adriana Evangelizt