Primaire en Chiraquie
Primaire en "Chiraquie"
par Philippe Ridet
D'ici au 14 janvier 2007, date à laquelle l'UMP accordera son soutien financier, juridique et politique à son candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy, favori de ce scrutin interne, devra essuyer de nombreuses attaques venues du camp des chiraquo-villepinistes. Rien n'indique d'ailleurs qu'elles ne se prolongeront pas au-delà. Le bureau politique du mercredi 22 novembre était une nouvelle occasion - comme l'avait été le conseil national du 16 - pour les rivaux du ministre de l'intérieur de tenter de favoriser une autre candidature que la sienne, en retardant le processus de sa désignation. "Nous sommes toujours dans le temps du débat", affirme Michèle Alliot-Marie. "Rien n'est écrit pour 2007", reprend Dominique de Villepin, alors que Bernadette Chirac confie : "La messe n'est pas dite." Tant d'harmonie ferait croire à une offensive concertée.
Parallèlement, le premier ministre, la ministre de la défense et le président de la République font preuve d'une telle activité qu'elle semble dirigée tout exprès contre le président de l'UMP. Officiellement, il s'agit de montrer que le gouvernement travaille pour le bien des Français, alors que le ministre de l'intérieur ne serait occupé que par ses ambitions personnelles.
Les rivaux de M. Sarkozy, qui bénéficie du soutien de son parti et de la majorité des élus UMP, parient sur l'usure du favori des sondages face à l'irruption de Ségolène Royal. Sur sa "contradiction" à vouloir incarner une politique alternative à droite alors qu'il a fait partie, à l'exception de quelques mois, de tous les gouvernements du second mandat de Jacques Chirac. Ils parient aussi sur l'absence de Jean-Marie Le Pen au premier tour, qui libérerait un nouvel espace à droite. Enfin, ils tablent sur une situation internationale si lourde de menaces qu'elle appellerait à une relégitimation de l'exécutif.
Les confidences de Mme Chirac au Nouvel Observateur affirmant que l'heure de tourner la page n'était pas venue ont donné des sueurs froides à M. Sarkozy, bien que ce dernier affirme connaître les intentions et le calendrier du président de la République. Et des nouveaux espoirs à ses rivaux de l'UMP.
Passé un moment de flottement, les proches du président de l'UMP ont affirmé en choeur que les propos de la première dame ne s'adressaient pas prioritairement à leur champion. Bien que l'adoubement du chef de l'Etat lui soit nécessaire, quoi qu'il en dise, s'il veut parvenir à rassembler définitivement toute l'UMP derrière lui, M. Sarkozy n'a jamais fait mystère de son intention de se présenter à la présidentielle "quoi qu'il arrive", c'est-à-dire même si M. Chirac devait être candidat à un troisième mandat.
Alors à qui Mme Chirac s'adressait-elle ? D'abord à tous ceux qui misent sur le retrait, en mai 2007, du chef de l'Etat. Soit tous ceux qui aspirent à prendre sa place. Dans cette catégorie, M. Sarkozy est rejoint par M. de Villepin et Mme Alliot-Marie, qui envisagent leur candidature au nom de la sauvegarde de l'héritage. Eux aussi, sans le dire, misent sur l'effacement programmé du chef de l'Etat. Hostiles à la "rupture" prônée par le président de l'UMP, ils disent vouloir défendre avant tout le bilan et assurer une continuité gaulliste. Sans l'avouer, ils redoutent également de disparaître de la vie politique en cas d'élection de M. Sarkozy. Entre leur fidélité affichée et leur avenir menacé, ils tentent de concilier leur ambition et leur attachement. Pas facile.
En installant son époux dans la perspective d'une nouvelle bataille, Mme Chirac ne leur rend pas service. Elle rappelle que l'heure du partage des dépouilles n'est pas venue. Ce faisant, elle gèle toute annonce intempestive et oblige le premier ministre et la ministre de la défense à se caler sur le calendrier du président, alors que M. Sarkozy s'en est depuis longtemps affranchi. L'air de rien, elle lève le voile sur un autre combat interne à l'UMP : la bataille des héritiers, ou, si l'on préfère, une primaire en "Chiraquie". M. Juppé ayant laissé entendre qu'il passait son tour pour cette échéance, restent deux candidats en lice : M. de Villepin, Mme Alliot-Marie. Sans oublier le chef de l'Etat lui même. Bref, un (ou deux) de trop.
LES HÉRITIERS AUTOPROCLAMÉS
Dans ce combat, Mme Alliot-Marie semble disposer des meilleurs atouts. Son bilan à la tête du ministère de la défense ne souffre pas (ou peu) de contestation. Elle a fait le "job" aussi bien que ses prédécesseurs. L'affaire Clearstream n'a fait pour l'instant que l'effleurer. Ancienne et dernière présidente du RPR, elle a suffisamment lutté contre la création de l'UMP en 2002 pour que les militants historiques lui soient restés attachés. Mais elle manque de relais parmi les nouveaux adhérents, qui, depuis décembre 2004, ont rejoint en rangs serrés le parti dirigé depuis cette date par M. Sarkozy.
Défendant crânement son identité politique, elle ne craint pas d'affronter le ministre de l'intérieur sur les thèmes des institutions, de l'unité de la nation ou sur la place des jeunes. Mais, en fixant à début janvier 2007 la période où elle décidera ou non de sa candidature, elle semble indiquer qu'elle se rangera bon gré mal gré derrière celui que les militants auront désigné lors du congrès du 14 janvier.
Le jeu de M. de Villepin est tout autre. S'il s'est rangé au calendrier de l'UMP en excluant toute idée de primaires en son sein, il ne dit rien de ses intentions et entretient le flou à chacune de ses interventions. Ses partisans et lui-même estimant que la présidentielle est d'abord "la rencontre d'un homme avec le peuple", le premier ministre ne se sent pas lié, en théorie, par la décision des militants. Ses handicaps sont toutefois nombreux : peu ou pas de relais chez les élus, un bilan contesté, peu ou pas de soutien chez les militants, pour ne rien dire de son rôle dans l'affaire Clearstream, qui reste encore à éclaircir.
Ni le premier ministre ni la ministre de la défense ne recueillent pour l'instant les fruits de leur opposition, du moins dans les sondages. Aucun ne prend véritablement le pas sur l'autre. Condition pourtant indispensable pour incarner avec une chance de succès une alternative crédible à Nicolas Sarkozy.
Reste le chef de l'Etat lui-même. Qui d'autre serait plus chiraquien que lui ? Outre son âge, qui ne le prédispose pas à assumer à nouveau cette charge, M. Chirac doit faire face à une autre difficulté : qu'il veuille se mêler de la présidentielle, et les Français lui en tiennent rigueur ; qu'il s'éloigne du jeu politique, et il retrouve de la vigueur dans les enquêtes d'opinion. Etre ou avoir été. M. Chirac n'a pas encore choisi, au grand dam de ses héritiers autoproclamés.
Sources Le Monde
Posté par Adriana Evangelizt