LE "CONTRAT VILLEPIN" PEUt-IL REUSSIR ?
Chômage : le «contrat Villepin» peut-il réussir ?
Imposé par ordonnances et conspué par la gauche, le «contrat nouvelles embauches » est un ballon d’essai. Le Premier ministre, qui rêve d’un lifting libéral du Code du Travail, n’a pas droit à l’échec
Chômage: : le «contrat Villepin» peut-il réussir ?
L’ovni a décollé le 4 août. Créé par une ordonnance, il a été unanimement acclamé par le patronat et la droite et conspué par les syndicats et la gauche. Aussi polémique que le Traité constitutionnel européen, il repolarise cependant le débat selon le classique clivage marxiste... Vous donnez votre langue au chat? Le sujet de polémique de l’été, c’est le «contrat nouvelles embauches», mesure phare du plan d’urgence de Dominique de Villepin pour l’emploi. Réservé aux entreprises de moins de 20 salariés, le CNE est un contrat à durée indéterminée (CDI) d’un type nouveau: l’employeur peut l’interrompre à tout moment et sans motif pendant les deux premières années. Un test déterminant pour le nouveau Premier ministre, qui a amendé son projet mais n’a pas calé, en dépit de l’assourdissant tollé syndical. S’il réussit à déclencher des embauches sans mettre le pays à feu et à sang, Dominique de Villepin poursuivra ses petits pas sur le chemin de la «flexécurité». Il dessinera un marché du travail où il est plus facile de licencier, moyennant des procédures de reclassement renforcées. Un concept qui a permis aux pays d’Europe du Nord de diviser leur taux de chômage par deux au cours de la décennie écoulée, alors que le nôtre reste désespérément bloqué autour de 10%.
«Précarisation accrue», «régression désastreuse», «incitation au contentieux»! A gauche, la violence des réactions est à la mesure de l’enjeu. Mais ces critiques sont inégalement convaincantes. Premier argument: le contrat Villepin ne créera pas de nouveaux emplois. Certes, il semble séduire, puisque 18% des petits patrons se disent prêts à l’employer, selon un sondage Fiducial/Ifop. Un pourcentage qui monte à 46% auprès des affiliés du Centre des Jeunes Dirigeants. Mais le CNE viendrait essentiellement, selon ses détracteurs, se substituer aux contrats existants, sans engendrer une véritable dynamique d’embauche.
Le nouvel outil, il est vrai, ne fera pas de miracle: il ne remplira pas les carnets de commandes des très petites entreprises (TPE) qui ne trouvent pas de clients. Il ne viendra pas alléger les charges sociales de celles qui s’estiment étranglées. Il ne fournira pas non plus de salariés qualifiés aux employeurs des métiers délaissés... Mais il n’est pas pour autant inutile: «Le CNE n’est pas la panacée. Mais, accompagné d’autres mesures, il peut néanmoins lever un obstacle majeur à la croissance des très petites entreprises, estime Danielle Kaisergruber, consultante spécialiste du marché du travail. Il peut par exemple créer un déclic chez ce couvreur qui a signé un devis pour ma toiture il y a six mois, mais ne démarre pas le chantier parce qu’il n’a qu’un apprenti.» C’est exactement ce qui s’est produit pour Patrick Paulus, le patron de la société alsacienne Nord-Est Dépannages Automobiles, signataire dès le 4 août du tout premier Contrat Villepin (voir photo p.30). «Cette réforme tombe à pic, dit-il. J’hésitais justement depuis un certain temps à embaucher quelqu’un. Le CNE m’a décidé à accueillir dès maintenant un huitième salarié dans l’équipe. Autrement, j’aurais attendu la haute saison, c’est-à-dire l’hiver.»
Combien y a-t-il de Patrick Paulus potentiels en France? Le gouvernement, prudent, se refuse à tout objectif chiffré. Gérard Larcher, ministre délégué à l’Emploi, s’est contenté d’indiquer que si 10% des 1,5 million d’entreprises qui n’ont aucun salarié se laissaient tenter, cela ferait 150000 jobs supplémentaires... En tout cas, la cible des très petites entreprises (TPE) est large. Il existe en France 2,3 millions de sociétés de moins de 20 salariés, ce qui représente 96% des entreprises, 37% de l’emploi salarié et 28% de la valeur ajoutée de notre économie!
Le «contrat nouvelles embauches» aggravera-t-il la précarité? Cela dépend pour qui. Certes, dans les entreprises éligibles, les embauches qui se seraient faites en CDI se feront désormais en CNE, ce qui entraîne une incertitude supplémentaire pour l’employé. D’autant que son banquier ou son propriétaire, eux, ne semblent pas prêts à assumer les risques! (Voir encadré p. 31) Mais est-il bien pertinent de comparer ce CNE à un CDI, qui justement ne se matérialisait pas? Car la précarité est déjà là. Si les deux tiers des salariés du privé jouissent d’un CDI, «70% des contrats créés sont des contrats à durée déterminée», a insisté Dominique de Villepin. Et la moitié de ces CDD «ne durent pas plus d’un mois»! D’où un décalage entre le discours syndical, qui se concentre sur la défense des bénéficiaires de CDI, et les réactions des travailleurs plus précaires, pour qui le nouveau contrat serait un progrès. «Le CNE? Je prends tout de suite, dit Arthur, un jeune journaliste qui depuis l’obtention de son diplôme aligne cinq années de piges et de contrats de moins de deux ans. Au moins j’aurai l’occasion de faire mes preuves, avec l’espoir d’être pérennisé.»
Habile, Villepin a commencé son offensive par une catégorie d’entreprises dont les syndicats sont pratiquement absents. Cette mesure va renforcer la disparité de traitement entre salariés: «On coupe en deux le monde du travail!», s’est insurgé le Parti socialiste. Mais pour Danielle Kaisergruber, ce n’est pas illégitime: «Les TPE ayant des problèmes spécifiques, pourquoi ne bénéficieraient-elles pas d’un traitement différent?» Les petites entreprises sont en effet particulièrement vulnérables aux aléas de la conjoncture: un salarié de trop... et leurs comptes basculent dans le rouge. Et puis, même si c’est moins avouable, ils redoutent l’erreur de casting et le licenciement contesté, suivi du cauchemar des prud’hommes. Qui peut se révéler coûteux. «L’incompatibilité d’humeur, reconnue pour les divorces à l’amiable, est totalement implaidable aux prud’hommes», souligne un conseiller en ressources humaines.
Pour les syndicats, et de nombreux spécialistes du droit du travail, cette idée du licenciement sans motif est inique. «Dans les métiers où la main-d’œuvre est abondante et peu qualifiée, le rapport de force basculera entièrement du côté du patron, redoute l’avocat en droit du travail Gilles Bélier. La CGT a d’ailleurs déposé mardi un recours devant le conseil d’Etat, estimant que le CNE viole les droits internationaux du travailleur.Malgré les garde-fous (l’employeur ne peut pas multiplier les CNE avec le même salarié), il y aura forcément des abus. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain? Les recours seront tout de même possibles, dit Gilles Bélier: «Il sera intéressant d’observer le rôle que joueront les juges en cas de litige.»
Pour asseoir la crédibilité de sa démarche, le gouvernement Villepin doit, en tout cas, garantir les contreparties «sécurisantes» de ce contrat flexible. En s’assurant notamment que les premiers licenciés de CNE bénéficient effectivement de procédures de reclassement exemplaires. Ensuite, il n’a plus qu’à prier pour que la courbe du chômage lui donne raison... Son lifting libéral du Code du Travail ne lui sera pardonné que s’il est efficace.
Dominique Nora
Sept mesures sur ordonnances
Contrat nouvelles embauches: nouveau CDI réservé aux entreprises de moins de 20 salariés. Pendant deux ans, l’employeur peut le rompre sans justification. Mais le licencié bénéficie de mesures de reclassement renforcées.
Décompte des effectifs: l’embauche des moins de 26 ans ne rentrera plus dans le calcul des seuils de 10 et 50 salariés, qui déclenchaient l’application d’obligations sociales et financières.
Crédit d’impôt de 1000 euros pour les jeunes de moins de 26 ans attirés par les métiers où il y a pénurie de main-d’œuvre.
Relèvement des seuils de prélèvements: allègement des différentes cotisations payées par l’entreprise lorsqu’elle dépasse le seuil de 10 salariés.
Chèque emploi: réduction des formalités administratives liées à l’embauche pour les entreprises de 5 salariés maximum.
Contrat de volontariat pour l’insertion : l’armée propose aux 60 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme
Suppression des limites d’âge pour les concours de la fonction publique.
Victor Moulonguet
Sources : NOUVEL OBSERVATEUR
Posté Adriana Evangelizt