La construction d'un site nucléaire par la France en Finlande tourne au cauchemar
Cauchemar pour la vitrine du nucléaire
Eric Albert, envoyé spécialà Olkiluoto (Finlande)
En Finlande, les Français d'Areva construisent la première centrale «troisième génération» du monde. Mais le projet a pris deux ans de retard et son budget a dérapé. Reportage
Le chantier est gigantesque. Une vingtaine de grues s'élèvent sur un terrain de 5 hectares, tandis que l'immense tour centrale de béton qui contiendra le réacteur nucléaire s'élève déjà à 30 mètres du sol, à mi-hauteur de la taille finale. La salle des turbines, à moitié construite, s'étend sur une centaine de mètres de long. En arrière-plan, les eaux glacées de la mer Baltique seront bientôt utilisées comme refroidissant naturel pour celles passant autour du cœur nucléaire.
C'est dans ce coin reculé de Finlande, sur l'île d'Olkiluoto, à trois heures de route d'Helsinki, que se joue une partie de l'avenir du nucléaire civil. L'entreprise d'électricité finlandaise TVO y a commandé en décembre 2003 au français Areva et à l'allemand Siemens la première centrale nucléaire de «troisième génération», dite European Pressurised water Reactor (EPR). La nouvelle technologie se veut plus sûre et plus efficace: elle utilise moins d'uranium pour produire plus d'électricité.
Mais le chantier, qui était censé être une vitrine de la technologie atomique française, tourne progressivement au cauchemar. La construction devait prendre quatre ans et demi. Elle en prendra au moins sept. Elle devait coûter 3 milliards d'euros. Elle en coûtera probablement entre 4,5 et 5 milliards (entre 7,3 et 8 milliards de francs), même si Areva refuse de confirmer ces chiffres. «Nous sommes très déçus», s'agace Martin Landtman, directeur du projet à TVO, homme qui pratique pourtant couramment la langue de bois. Ces dérapages sont de mauvais augure pour le constructeur nucléaire français, alors que de nombreuses nouvelles centrales vont être commandées dans les années à venir à travers le monde (lire l'encadré ci-contre).
Areva et Siemens ont accumulé une longue liste d'erreurs dans la gestion de la construction: l'autorité de régulation STUK a pointé jusqu'à présent 2200 fautes! Si la grande majorité d'entre elles sont d'ordre administratif, certaines sont nettement plus sérieuses: des trous ont été percés au mauvais endroit dans la coque en acier recouvrant la centrale; le béton coulé au niveau de la base était trop humide, le rendant potentiellement sensible à de possibles réactions chimiques; les huit tuyaux du circuit de refroidissement ne répondaient pas aux normes... Un sous-traitant indien a même construit la base de la turbine en oubliant de prendre en compte les hivers froids de Finlande: l'expansion thermique n'avait pas été prévue. «Cela montre des négligences systématiques et des violations des normes de sécurité, accuse Lauri Myllyvirta, de l'association Greenpeace. Il existe toujours un risque de désastre nucléaire, et ces problèmes en augmentent la probabilité.»
L'origine des erreurs semble parfois frôler l'amateurisme. «Si le béton était trop humide, c'est parce qu'il avait plu la veille, explique sans rire Martin Landtman. Les techniciens ont donc mis la quantité d'eau qui était prévue, sans prendre en compte l'humidité ambiante.»
Vrai, répond Areva, mais pas pour autant dangereux. «Nous n'avons jamais eu besoin de casser un béton que nous avions coulé, explique Philippe Knoche, le directeur du chantier pour Areva. Nous avons pu prouver aux autorités de surveillance que celui mis en place répondait aux normes de sécurité nécessaires. C'était un peu plus humide que ce que nous avions prévu, mais cela restait dans les normes.» La mésaventure a cependant provoqué deux mois de retard.
Le problème des circuits de refroidissement est du même acabit. Les huit tuyaux en inox utilisés pour cette partie absolument essentielle pour la sécurité de la centrale ont dû être refaits. «Pour éviter les soudures, qui sont toujours des points sensibles, nous avons fait réaliser des pièces de 10 mètres de long forgées d'un seul tenant, explique Philippe Knoche. La qualité de ces pièces est normalement inspectée par ultrasons. Mais il s'agissait des premières pièces au monde ainsi construites et leur grain était trop gros pour permettre l'inspection. Les pièces n'étaient pas mécaniquement défectueuses, mais leur «inspectabilité» n'était pas assurée.»
Petteri Tiippanan, en tant que directeur de la supervision d'Olkiluoto pour STUK, est sans doute l'homme le mieux placé pour parler de la sécurité du chantier. Son verdict n'est pas trop dur: «2200 erreurs n'est pas un nombre si élevé pour un chantier de cette taille. Il y a environ 1700 sous-traitants qui y travaillent, et les problèmes sont inévitables. A vrai dire, je m'inquiéterais de la qualité de mon travail si je ne trouvais aucune erreur.» Il précise également que tous les problèmes détectés ont été corrigés.
En revanche, le contrôleur est nettement plus sévère avec les promesses initiales du consortium Areva-Siemens. «Les délais prévus au départ étaient beaucoup trop optimistes. Je ne suis pas surpris des retards accumulés: le design n'était pas prêt.»
Areva répond que ce dérapage n'était certainement pas intentionnel. Mais l'entreprise reconnaît tout de même qu'elle a tout fait pour proposer un contrat aussi alléchant que possible: «A l'époque, la concurrence pour obtenir la centrale était très forte. De plus, avec les objectifs du Protocole de Kyoto [qui impose des baisses des émissions de CO2 d'ici à 2012], il y avait une forte pression.» Areva a donc fait des concessions importantes en signant le contrat d'Olkiluoto.
Aujourd'hui, les problèmes de l'entreprise française sont loin d'être terminés. Il reste au moins trois ans avant le démarrage de la centrale, prévue à l'été 2011. «Le plus gros reste devant eux, et il est difficile de croire qu'il n'y aura pas de nouveaux délais», estime Lauri Myllyvirta, de Greenpeace. «Le prochain défi est la phase d'installation de la partie nucléaire», ajoute le contrôleur de STUK, Petteri Tiippana.
Ensuite, TVO et Areva devront régler leurs comptes. Le contrat est à un prix fixe de 3 milliards d'euros (presque 5 milliards de francs). Tous les dérapages seront donc épongés par le consortium franco-allemand. TVO va demander des compensations à cause des retards, mais elle attend de connaître leur ampleur exacte pour donner sa facture. Areva a récemment démenti des informations parlant de 2,2 milliards d'euros de compensations et le prix final reste à négocier. La centrale nucléaire «vitrine» n'a pas fini de faire parler d'elle.
Sources Le Temps
Posté par Adriana Evangelizt