La vraie faute de Villepin
"Il n'écoute rien..."
CPE : LA VRAIE FAUTE DE VILLEPIN
par Hervé Algalarrondo
Le Premier ministre a voulu imposer à la hussarde la « rupture » que son rival Nicolas Sarkozy promet pour 2007. Il a décidé sans concertation aucune une mesure que les jeunes, les syndicats et la gauche ne sont pas seuls à contester. Résultat : alors qu'il plonge dans les sondages, il se retrouve seul, ou presque.
Comment un Premier ministre fringant qui en arrivait presque, au début de l'année, à éclipser le président de la République a-t-il soudainement plongé dans les sondages, au point de se retrouver pratiquement aujourd'hui au niveau de confiance de Jean-Pierre Raffarin, son prédécesseur, qu'il a toujours pris pour un cave ? A Matignon, on ne cherche pas à finasser : «Il y a aujourd'hui un climat anxiogène, la grippe aviaire, le «Clemenceau», etc. Mais à 80%, c'est la conséquence du CPE.» D'où cette question subsidiaire posée par un député villepiniste : «Suffirait-il, en France, de s'attaquer au chômage des jeunes pour se retrouver en porte-à-faux avec l'opinion?»
Bien sûr, Dominique Villepin se heurte aujourd'hui aux fameux blocages de la société française sur lesquels ont butté avant lui nombre de locataires de Matignon. Bien sûr, en prenant une mesure d'inspiration libérale - les jeunes en CPE pourront voir leur contrat résilié pendant deux ans -, Dominique de Villepin a pris le risque de casser son image de gaulliste social, à laquelle il devait une bonne partie de sa popularité. Bien sûr, le mauvais chiffre du chômage en janvier est venu raviver les craintes. Mais à moins de s'en tenir à la thèse de la «versatilité de l'opinion», comme un ministre qui veut croire que la cote de Villepin remontera mécaniquement au printemps, il faut aller plus loin : une dépression aussi rapide et aussi sévère dans les sondages ne peut s'expliquer que par une faute du Premier ministre.
Cette faute personnelle, beaucoup à droite la formulent ainsi : sur le dossier du CPE, Villepin a eu un comportement beaucoup trop personnel. En arrivant à Matignon, à la mi-2005, le nouveau Premier ministre avait heureusement surpris : précédé d'une réputation d'individualiste, il avait donné le sentiment de jouer collectif, réunissant régulièrement ses ministres, suivant souvent leurs avis. «Il écoute», colportait la rumeur. Chassez le naturel... Une personnalité parisienne conviée à déjeuner à Matignon la semaine dernière en est ressortie effarée : «Il n'écoute rien. Il a passé le repas à s'écouter. C'est tout juste s'il a touché ce qu'il y avait dans son assiette.»
Sur le CPE, le Premier ministre a joué trop perso. Voilà en effet une proposition 100% made in Matignon. Passons sur le fait que la concertation avec les partenaires sociaux a été inexistante. Mais il n'y a pas eu davantage de réelle consultation des partenaires politiques. «Même les députés UMP que Matignon réunit chaque semaine sont tombés des nues», s'amuse un hiérarque sarkozyste. Les ministres « sociaux » ont été traités cavalièrement. Après avoir élaboré son CPE durant les fêtes avec sa garde rapprochée, Villepin a convié Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher début janvier à un petit-déjeuner où il a rapidement balayé leurs objections sur le fond. Tout juste les deux compères se sont-ils vu reconnaître un droit d'amendement : ils se sont évertués à trouver un emballage « social » à la mesure. Un parlementaire d'habitude indulgent avec le Premier ministre analyse : «La préparation du CPE aurait dû être beaucoup plus étoffée. Le résultat, c'est qu'aujourd'hui aucune voix indépendante ne s'élève pour le soutenir. En politique, il faut permettre aux gens d'être codécideurs. En l'occurrence, c'est Villepin qui a décidé, point. Il ne faut donc pas s'étonner si les seuls dans la majorité à défendre le CPE sont les institutionnels : les présidents des groupes parlementaires et les porte-parole de l'UMP.»
Cet exercice solitaire du pouvoir a alimenté les doutes sur la mesure. «Le CPE, est-ce vraiment le bon instrument de lutte contre le chômage des jeunes?» va jusqu'à s'interroger, iconoclaste, un ministre. Dominique de Villepin n'a jamais été considéré comme un spécialiste du droit social. Son intérêt pour la lutte contre le chômage est récent : il date de son entrée à Matignon. «Il faut beaucoup de confiance en soi pour croire qu'en quelques mois on a tout pigé mieux que tout le monde», relève le même ministre. Le CPE est contesté par la gauche : à bien des égards, il s'agit d'un rituel (voir la chronique de Jacques Julliard). Mais il y a plus grave pour le gouvernement : nombre de patrons et d'économistes libéraux voient dans le CPE une fausse bonne idée, un cautère sur une jambe de bois. «Avec Villepin, la lutte contre le chômage prend des allures de concours Lépine », lance, vachard, un sarkozyste. Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on pointe le vrai ressort de ce nouveau contrat que le Premier ministre a sorti de son chapeau au début de l'année : son obsession présidentielle. «Villepin méprise les élus car il estime qu'ils ne pensent qu'à leur réélection, observe un député UMP. Mais lui-même ne pense qu'à son éventuelle élection à l'Elysée. Avec le CPE, il a cru nous couper l'herbe sous le pied : il allait faire la fameuse rupture que Sarkozy annonce pour 2007..»
A Matignon, on est conscient d'être entré dans une zone de turbulences. «Le risque avait été clairement identifié dès le départ, assure un conseiller. Qui ajoute : C'est à l'issue de la séquence qu'on pourra véritablement juger de l'impact sur l'opinion. C'est toujours in fine qu'on prend, ou non, les bénéfices.» En début de semaine, Matignon voulait croire que la mobilisation des organisations syndicales et étudiantes dans la rue serait moyenne, le 7 mars, et que la contestation irait ensuite en déclinant. «Dans trois mois, si le CPE donne des résultats, l'opinion se retournera à nouveau», pronostiquait le même proche, qui assurait : «Les soutiens de gauche du Premier ministre ont fondu. Mais dans les sondages, la droite n'est pas entamée.» Exactement le discours des conseillers de Raffarin quand celui-ci a commencé à plonger... Longtemps proche de Balladur, aujourd'hui partisan de Villepin, Georges Tron, député UMP de l'Essonne, estimait lui aussi que rien n'était perdu pour son nouveau poulain : «En 1994, Balladur a connu les mêmes soubresauts avec le smic-jeunes : il a d'abord reculé fortement, avant de terminer l'année plus haut qu'en janvier.»
Balladur ou Raffarin ? Villepin est à la croisée des chemins. Ou il rebondit comme le premier, qui a un temps fait figure de favori à l'élection présidentielle de 1995. Ou il continue de s'enfoncer comme le second, dont les derniers mois à Matignon ont ressemblé à un chemin de croix. Gaullien malgré tout, Villepin veut croire qu'il a perdu une bataille mais pas la guerre. «L'homme a de la ressource, nous ne l'enterrons pas», assure un partisan de Sarkozy. Encore faudrait-il que le locataire de Matignon change ses manières. «Quand avez-vous eu envie d'entrer en politique?» lui a demandé récemment un interlocuteur. «Je n'en ai jamais eu envie et je n'en ai toujours pas envie», a-t-il répliqué. Il serait temps que Villepin réalise qu'il est entré en politique et que celle-ci comporte quelques règles. Par exemple : quand on est Premier ministre et qu'on ne veut pas se retrouver complètement isolé, il vaut mieux se conduire en chef d'équipe.
Sources : LE NOUVEL OBSERVATEUR
Posté par Adriana Evangelizt