le CPE comme une balle dans le pied de DDV

Publié le par Adriana EVANGELIZT

 

 

Une balle dans le pied

par Jacques Julliard

Il était illusoire de vouloir, avec le CPE, passer d'un coup de baguette de la logique du Code du Travail à celle du marché

Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Dominique de Villepin, qui depuis son arrivée à Matignon faisait preuve d'une habileté qu'on ne lui soupçonnait pas auparavant, s'est lui-même enfermé dans une nasse de laquelle il aura de la peine à sortir : le CPE (contrat première embauche). Ses ministres l'avaient mis en garde, le Medef a fait part de son scepticisme, les centristes l'ont lâché, la gauche s'est engouffrée dans la brèche, l'opinion a basculé, les sondages l'ont sanctionné. Pourquoi ? Pour une raison simple. Parce que le Premier ministre, qui jusqu'alors surfait sur l'impuissance de la gauche à se rassembler et à manifester, a de son propre chef offert à celle-ci les troupes qui lui manquaient : les jeunes et notamment les étudiants. C'est lui qui s'est tiré, par impatience, une balle dans le pied.


C'était une habileté que de faire, grâce au contrat nouvelles embauches (CNE), un sort particulier aux PME, qui hésitent à embaucher de peur de ne pouvoir débaucher ; c'était une erreur que d'enfermer sans contrepartie les jeunes à la recherche d'un emploi dans le carcan de la précarité absolue. Les mettre dans un ghetto, c'était ipso facto les inciter à chercher de l'aide à l'extérieur ; c'était s'aliéner la seule catégorie sociale qui se met régulièrement en mouvement en dehors de toute motivation économique et de toute espérance de résultat. Les étudiants introduisent ainsi dans la mécanique sociale un coefficient d'indéterminisme dont il vaut mieux se préserver.


Certes, on fera valoir que le nouveau contrat - un de plus - n'introduit pas dans la quête d'un premier emploi plus d'incertitude qu'il n'en existe aujourd'hui au travers de la multitude de stages, de CDD, de petits boulots qui accompagnent le chômage ; mais c'est faire bon marché de la symbolique démoralisante que représente pour l'ensemble du monde salarial la généralisation, pour ne pas dire la normalisation, de la précarité à l'orée de la vie professionnelle.


Quand il s'agit de chômage, en France, on n'a pas beaucoup d'idées, mais on a des principes. Et le principe dominant, c'est l'emploi à vie pour chacun. Il était illusoire de vouloir passer d'un coup de baguette magique de la tradition française à la tradition anglaise, de la logique du Code du Travail à celle du marché. Que la première de ces logiques soit incapable de produire des emplois et de vaincre le chômage, c'est la leçon des trente dernières années ; la fin des Trente Glorieuses a rendu criante la contradiction entre une vie économique dominée par le marché et une vie sociale dominée par la réglementation.


Pour nous en sortir, ce n'est pas d'un nouveau contrat de travail, mais d'un nouveau contrat social que nous avons besoin ; d'un contrat associant toutes les forces vives de la nation, comme l'Allemagne et surtout les pays scandinaves nous en donnent l'exemple ; un contrat conjuguant plus de souplesse dans le marché du travail avec des garanties sérieuses pour le travailleur privé d'emploi. Ce que l'on appelle, depuis qu'il est en crise, le modèle social français n'est qu'une variante du modèle socialdémocrate des pays nordiques. Ceux-ci ont pourtant compris avant nous que dans la phase actuelle, caractérisée par un recul sans précédent des forces du travail et par la domination sans partage des forces du capital, une résistance frontale est vouée à l'échec, et que seule l'intelligence stratégique est de nature à sauvegarder les intérêts essentiels du monde du travail.


Nous ignorons, après le succès des manifestations du 7 mars, quel sera le destin final du CPE. Aura-t-il le sort du smic-jeunes façon Balladur, retiré sous la pression de la rue après avoir été voté par le Parlement, ou bien, de guerre lasse, finira-t-il par s'appliquer ? Ce n'est pas la question essentielle. Depuis dix ans, c'est-à-dire depuis les grèves de 1995, les forces syndicales sont en échec, faute d'avoir su opposer aux projets de la droite concernant les retraites, la Sécurité sociale, l'emploi, des contre-propositions crédibles. Il arrive que la droite recule, mais le chômage, lui, ne recule pas. Et dans la mobilisation massive contre le CPE, il y avait une absence criante : celle des chômeurs. Nous avons aujourd'hui la gauche la plus stérile d'Europe et la droite la plus impuissante. C'est une situation dont personne ne devrait se satisfaire.

Sources : LE NOUVEL OBSERVATEUR

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans CHÔMAGE

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