Les objectifs cachés du plan Villepin

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Contrat première embauche : les objectifs cachés du plan Villepin

par Thierry Brun

 

Les contrats nouvelles et première embauches sont des pièces maîtresses de la bataille pour l’emploi de Dominique de Villepin. Mais les effets de cette politique risquent d’être paradoxaux à la veille du renversement démographique dû au « papy-boom ».

Le contrat première embauche (CPE) va-t-il créer des emplois ? La question peut paraître saugrenue et lourde de préjugés, mais elle a été posée à Gérard Larcher, ministre délégué à l’Emploi, dès le lendemain de la présentation de ce nouveau contrat par le Premier ministre. Ce dernier a certes répondu par un oui franc et sans surprise, mais il n’a pas fourni d’arguments pour justifier la mise en place d’un clone du contrat nouvelles embauches (CNE). La même question se pose pour l’ensemble de la politique de l’emploi menée au pas de charge par Dominique de Villepin, mais les réponses déçoivent. Le Premier ministre a ouvert l’année 2006 par un véritable aggiornamento social, dont l’objectif est de rompre avec « les logiques de partage du travail qui ont échoué » depuis près de trente ans. « Ni l’avancement du départ à la retraite des seniors ni la politique de réduction du temps de travail n’ont permis de faire baisser durablement le chômage, en particulier celui des jeunes », a-t-il critiqué. Il faut donc « faire sauter les verrous et les blocages qui paralysent la société française ».

La radicalisation du gouvernement vise dans un premier temps à remettre en cause le contrat à durée indéterminée comme cadre juridique normal des relations entre salariés et employeurs. Évoquée par Dominique de Villepin, la démographie justifie cette rupture dans les politiques de l’emploi. Cependant, là où son prédécesseur Jean-Pierre Raffarin se réjouissait d’une baisse de la population active, l’actuel Premier ministre s’en inquiète : « En 2006, la population active va baisser pour la première fois [...], nous allons avoir besoin de nouveaux salariés dans les services à la personne et nous constatons des pénuries de main-d’oeuvre dans certains secteurs ou certaines régions. » Les chiffres lui donnent raison : la hausse annuelle de la population active avoisinerait les 40 000 dès cette année contre 180 000 en 2002. Cette baisse se conjugue avec le départ en retraite de la génération du baby-boom. Mais pourquoi s’en inquiéter ?

La situation démographique et économique étant plus favorable à Villepin que pendant la période Jospin, elle devrait l’inciter à mener une politique ambitieuse de créations d’emplois et de hausse des salaires, propice aux consultations sociales. Or, malgré l’habillage très habile du chef du gouvernement, les récents plans pour l’emploi ont choisi une autre direction. D’abord, le passage en force est de mise : des ordonnances mettent en place un contrat nouvelles embauches (CNE) en juin 2005. Un petit groupe de travail de Matignon, chargé des questions de l’emploi, concocte ensuite le CPE en catimini et l’impose. « Nous avons lorgné vers le CNE parce qu’il donne de bons premiers résultats. Il était donc logique d’avoir envie de l’étendre à toutes les entreprises », estime l’UMP Hervé Mariton, membre de ce groupe de travail, qui a cogité aussi une « stratégie de communication » anticipant une probable confrontation sociale. Malgré le tollé syndical et étudiant, la procédure d’urgence est utilisée pour l’examen du projet de loi qui porte paradoxalement le nom d’« égalité des chances » et instaure le CPE. Et la perspective d’un mouvement social le 7 février ne change en rien les discours gouvernementaux.

Les raisons de cette entreprise de démolition du code du travail sont à chercher, pour une part, dans la rivalité politique qui oppose le Premier ministre à Nicolas Sarkozy. Dans la compétition qui l’oppose au ministre de l’Intérieur pour être le favori de son camp en 2007, Dominique de Villepin en a oublié qu’il avait pris l’engagement d’évaluer le CNE avant de précipiter son extension aux jeunes. Et les choix gouvernementaux doivent beaucoup à l’idéologie, plus qu’à la rationalité économique. La feuille de route présentée par Dominique de Villepin en décembre dernier prévoit que le contrat de travail soit coûte que coûte sur la table des négociations, et les pistes explorées sont le contrat unique, fusionnant CDD et CDI. Le ministre de l’Emploi, Jean-Louis Borloo, confirme de son côté qu’une nouvelle forme de CDI est à l’étude, avec le mois de juin comme date butoir. La logique des plans pour l’emploi est simple : plus de flexibilité génère plus d’emploi, estiment les libéraux, ce qui leur fait dire que le gouvernement est sur la bonne voie. Les ordonnances créant le CNE pour les entreprises de moins de 20 salariés ont aussi été accompagnées d’un décret relatif au suivi de la recherche d’emploi qui durcit les conditions d’indemnisation. La combinaison est certes conforme au dogme libéral selon lequel une indemnisation du chômage trop généreuse « désinciterait » les demandeurs d’emplois à se porter sur le marché du travail, tandis que les rigidités et le coût du travail trop élevé décourageraient les employeurs d’embaucher. Mais les effets de cette politique de l’offre dans un contexte de faible croissance économique ont largement prouvé leur inefficacité.

Sous couvert de « réhabiliter le travail », la bataille pour l’emploi de Dominique de Villepin et de son prédécesseur mène inévitablement à plus de flexibilité et de précarité, plutôt qu’à susciter un boum de la création d’emploi. On l’a vu sous le gouvernement Raffarin ; « jusqu’en mars 2004, le ministre de l’Emploi de l’époque, François Fillon, a conduit une politique d’inspiration libérale qui a eu pour effet de court terme, faute de moyens et en période de faible demande, d’accélérer la progression du chômage au lieu de l’endiguer », met en évidence Matthieu Lemoine, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)(1). Cette politique s’est notamment traduite par un assouplissement des 35 heures, un allongement de la durée d’activité et une réorientation des effectifs aidés du secteur non-marchand vers le secteur marchand. Les rares marges de manoeuvre budgétaires ont été consacrées à des exonérations de charges supplémentaires, pour harmoniser les différents Smic créés par les 35 heures... et à la baisse du coût du travail. En réalité, ce n’est qu’après l’échec des régionales en 2004 que des budgets supplémentaires ont été débloqués pour enrayer le désastre, avec le plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo. Résultat, depuis huit mois que le chômage recule, la baisse du nombre de demandeurs d’emploi (158 000 pour la catégorie 1), paradoxalement, ne se traduit pas par un afflux d’embauches. La réduction du chômage est artificielle et s’accompagne d’une hausse spectaculaire du nombre de personnes couvertes par les minima sociaux : au 31 décembre 2004, un peu plus de six millions de personnes (allocataires, conjoints, enfants) étaient concernées. Quant à la flexibilité, Dominique de Villepin lui-même souligne que « 70 % des contrats sont des CDD, et la moitié de ces contrats ne durent pas plus d’un mois ».

Lire la suite dans Politis n° 887

(1)Lettre de l’OFCE, n°270, déc.2005.

Sources : POLITIS

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans CHÔMAGE

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