Les carnets noirs de la République - Bertrand joue contre Sarkozy

Publié le par Adriana EVANGELIZT



Les carnets noirs de la République - Bertrand joue contre Sarkozy


En 2002, alors que Nicolas Sarkozy est ministre de l'Intérieur, le directeur des RG amasse des informations sur lui-vraies ou fausses-, y compris sur sa vie privée.


par Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé

« Sarkozy fait construire une villa à côté de Sartrouville, fait venir des entreprises de Neuilly. Tout au black. » Dans la tête d’Yves Bertrand, il fait peu de doute que le tuyau est percé. Mais le patron des Renseignements généraux prend tout de même le soin de le consigner dans son carnet, le 25 octobre 2002. L’information semble extraite d’une note blanche. Ces papiers sans en-tête ni signature, sur lesquels les RG couchent des informations sensibles, vraies ou fausses. Ironie du sort, trois semaines avant, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a signé un décret supprimant les blancs des RG. Ce qui a provoqué l’ire du ministre, c’est la lecture d’un blanc scabreux sur un candidat présenté par le ministre des Sports pour prendre la tête de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Dès qu’il arrive pour la première fois Place Beauvau, en mai 2002, Nicolas Sarkozy demande la tête d’Yves Bertrand. Ce que le président de la République, Jacques Chirac, lui refuse tout net. Sarkozy soupçonne le patron des Renseignements généraux de rouler pour le Château, en clair pour l’Elysée. Il est vrai que l’occupant de la place Beauvau garde un mauvais souvenir d’Yves Bertrand. A l’époque des règlements de comptes entre Jacques Chirac et Edouard Balladur, en 1995, Sarkozy était ministre du Budget et a fait l’objet par la section financière des RG d’une enquête sur son patrimoine. C’est ce que confirment deux notes blanches que Le Point a en sa possession. En 2002, le travail de sape piloté de l’Elysée aurait repris de plus belle. Interrogé, Yves Bertrand jure : « J’ai toujours été loyal avec mon ministre. » Pourtant, dans les carnets saisis, on lit à la fin mai 2002, à propos de Nicolas Sarkozy, que Bertrand désigne par « Sarko » ou sous l’abréviation « N.S » : « Sarko : un mec le tient. Tassez [Jean-Noël Tassez, l’un des prévenus de l’Angolagate, NDLR]. » Dès lors, le nom de l’ex-patron de Radio Monte-Carlo va revenir plusieurs fois sous la plume d’Yves Bertrand, comme ce mois de juin 2002 : « Tassez a reçu du fric de Falcone pour Sarko, de Jean-Christophe et de chefs d’Etat africains. » Le 2 juillet 2003, il est encore question de gros sous. Le patron des RG : « Sarko 150 000 francs en liquide dans son cabinet . » Autant d’accusations gratuites. La vie privée du ministre de l’Intérieur de l’époque, futur président de la République, et de son entourage n’est pas non plus épargnée. Bertrand s’intéresse au frère aîné du ministre, Guillaume, alors vice-président du Medef, qui ferait l’objet d’un « chantage ». Trois mois plus tard, le directeur des RG indique à propos de Nicolas Sarkozy qu’il « couche » avec la femme d’un député, lequel est aujourd’hui ministre... Lundi 27 janvier 2003, YB remplit deux pages sur le mariage de Nicolas Sarkozy avec sa première femme et leur séparation. Des renseignements qui semblent tirés d’une note blanche. Y figure le détail d’une conversation téléphonique entre l’épouse et la meilleure amie de celle-ci, où il est question d’adultère. Tout porte à croire qu’il s’agit de la retranscription d’une ancienne écoute téléphonique. Les deux amies parlent entre autres de Cécilia. Plus loin, Bertrand rapporte des informations sur la future épouse de Sarkozy, « une fêtarde », sur le fait que ses parents avaient « un immeuble rue Marbeuf à Paris face au restaurant Chez Edgar », et sur les conditions de sa séparation d’avec Jacques Martin. Enfin, on y apprend que « N.S. » a acheté pour sa première femme un appartement au château de Madrid à Neuilly.

Soupçons

Au fil des pages, on découvre qu’Yves Bertrand s’intéresse aussi à celui qui deviendra un proche de Nicolas Sarkozy. Son propre adjoint, Bernard Squarcini, dit « le Squale ». Le grand flic, spécialiste des affaires corses, fait de l’ombre à Bertrand. A l’époque, Nicolas Sarkozy rêve d’arrêter Yvan Colonna. YB, qui ne connaît rien au dossier corse, a besoin de siphonner des informations à son rival. Et c’est une certaine « Jacqueline », en fait la personne chargée des écoutes à la direction centrale des Renseignements généraux, qui « n’a + confiance en Bsq », qui le renseigne. Un an plus tard, Squarcini se retrouve dans les listings Clearstream. Hasard ? Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, beaucoup soupçonnent YB d’avoir trempé dans le truquage des listings. C’est dans le cadre de cette affaire que les vingt-trois carnets d’Yves Bertrand ont été saisis au domicile de l’ancien directeur des RG. Et les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, chargés de l’instruction, en ont extrait tout ce qui concernait de près ou de loin leur affaire. Et là, surprise, en date du 8 mai 2001, on lit : « Un Libanais riche, 90, avenue Niel, Imad Lahoud né le 7 août 1967 à Beyrouth, gendre fr Heilbronner, s’est converti au Judaïsme pour épouser la fille d’Heilbronner. » Ce qui signifie qu’Yves Bertrand connaissait trois ans avant que n’éclate l’affaire Clearstream le truqueur présumé des fameux listings. L’ex-patron des RG a pourtant toujours déclaré avoir découvert le nom de Lahoud dans la presse. Le fait que Bertrand mentionne la date et le lieu de naissance de Lahoud implique qu’un travail va être fait sur lui avec une recherche dans les fichiers de police. Devant les quelques lignes sont inscrites deux initiales, « BH », pour Brigitte Henri. La commissaire à l’allure garçonne et aux cheveux roux, spécialiste des enquêtes politico-financières, a été l’un des meilleurs soldats de l’ombre d’YB. Pourtant, Brigitte Henri assure au Point n’avoir été en relation avec l’informaticien « quà partir de 2003 et pour des raisons personnelles ». Des contacts entre Lahoud et son ancienne protégée, dont Bertrand n’aurait, jure-t-il, « jamais eu connaissance ».

Clearstream

Pourquoi Imad Lahoud, expert des circuits de blanchiment, a-t-il été tamponné, c’est-à-dire « recruté » dans le jargon des services ? Est-ce pour travailler contre Lionel Jospin ? Dans les carnets figure, accolée au nom de l’informaticien libanais, cette indication : « pourrait wer c lj ». « LJ », c’est Lionel Jospin. A moins qu’il n’ait été utilisé contre d’autres cibles ? Les RG auraient-ils rajouté leurs propres noms dans la tambouille Clearstream, comme Nicolas Sarkozy a accusé Bertrand droit dans les yeux de l’avoir fait ? En novembre 2004, alors qu’il vient de prendre la tête de l’UMP, Sarkozy convoque YB au siège du groupe. Et lui lance, glacial : « Je sais que vous complotez contre moi. » Quinze jours avant, son nom est apparu dans le fichier Clearstream. Le 16 janvier, le jour où ont été saisis les carnets d’Yves Bertrand, les juges de l’affaire Clearstream ont également fait perquisitionner l’appartement parisien d’un journaliste free lance, Stéphane Ravion. L’homme aurait travaillé pour Alain Juillet, patron du renseignement à la DGSE. Lequel était en contact avec Yves Bertrand et avec Imad Lahoud, chargé un temps par les services secrets français d’enquêter sur les circuits de financement d’Oussama Ben Laden. A l’origine de cette descente des policiers : une note rédigée par le responsable d’une boîte d’intelligence économique. En fait, le verbatim de sa rencontre en novembre 2006 avec Ravion. Selon cette note, Yves Bertrand aurait proposé, trois ans plus tôt, à Stéphane Ravion de travailler contre Sarkozy pour le cabinet noir de l’Elysée. Ce que l’intéressé a nié devant les policiers. Cependant, les éphémérides de Bertrand conservent la trace de douze rendez-vous pour 2001 et 2002 entre Ravion et le patron des RG. Et le nom de Ravion réapparaît plusieurs fois dans les carnets saisis. Etrangement, ces derniers s’arrêtent fin 2003, juste au moment où commence l’opération de déstabilisation Clearstream

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L'affaire El Quandili

Le 24 janvier 2002, Yves Bertrand, le patron des RG, note dans son carnet une demande de l'ex-préfet de police Philippe Massoni, alors chargé de mission à l'Elysée. Elle concerne l'ancien champion du monde de kick boxing et chef d'entreprise, Khalid El Quandili. Très vite, des pages entières de renseignements tombent qui proviennent à la fois du Maroc et de la France. On y apprend notamment que l'épouse de Khalid el Quandili est une proche de la soeur du roi. Mais aussi qu'il a un différend avec Stéphane Ravion. Sur ce journaliste proche du monde des services et qui gravite à l'époque dans l'entourage du roi sont également rapportés des renseignements précis.

Pour Quandili, les ennuis ont commencé en 2001, quand il a voulu, comme il l'affirme, protéger la famille royale du jeu trouble de Stéphane Ravion. Du jour au lendemain, il tombe en disgrâce au Maroc.

En août 2002, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, le récupère à son cabinet. Mais, en 2003, la mention « Quandili » réapparaît dans les carnets tandis que MAM le convoque pour l'interroger sur ses problèmes au Maroc. Un peu plus tard il apprend que sa mission n'est pas renouvelée. Pour comprendre ce qui se passe, Quandili provoque une rencontre avec Michèle Alliot-Marie. Il lui annonce qu'il compte bien se rendre à la réception donnée par la ministre en présence de Jacques Chirac le 13 juillet 2003. « Je ne veux pas vous voir à la réception, parce que moi je peux me faire virer, et oui, c'est à ce niveau-là », réplique Alliot-Marie. Contactée par Le Point , la ministre a fait répondre par son cabinet qu'elle ne souvient pas d'avoir tenu ces propos. Tout en précisant que le ministère avait été informé d'un problème entre Quandili et la famille royale du Maroc.

Depuis janvier 2008, date de la garde à vue de Stéphane Ravion dans l'affaire Clearstream, Khalid El Quandili est convaincu d'être une victime collatérale des listings truqués. « La foudre m'est tombée dessus parce que je me suis attaqué, sans le savoir, à quelqu'un qui a sans doute joué un rôle dans l'affaire Clearstream. » Des accusations que Stéphane Ravion, joint par Le Point , balaie d'un revers de main : « M. Quandili s'en est pris à moi sans aucune raison. Quant à l'affaire Clearstream, je n'y ai joué aucun rôle. » Quandili a été réhabilité au Maroc et décoré de la Légion d'honneur. Mais pour lui l'affaire ne s'arrête pas là. Avec son avocat Franck Berton, il va porter plainte pour atteinte à la vie privée et dénonciation calomnieuse. « Les plus hautes autorités de l'Etat ont couvert ce qui m'est arrivé. »

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Sources

Le Point

Posté par Adriana Evangelizt

« DV » et « YB »


Dans les carnets secrets d'Yves Bertrand, il y a un nom qui apparaît souvent, celui de Dominique de Villepin. L'ancien Premier ministre, à l'époque secrétaire général de l'Elysée, est soupçonné d'avoir piloté un « cabinet noir » qui aurait oeuvré, pour le compte de Jacques Chirac, contre Nicolas Sarkozy. Ce que nie l'intéressé.

Les deux éphémérides d'Yves Bertrand, saisies à son domicile le 16 janvier en même temps que ses carnets, gardent la trace de 33 rendez-vous avec « DV », entre le 8 janvier 2001 et le 22 octobre 2002. La plupart du temps en fin de journée. Bertrand n'a qu'une rue à traverser pour rejoindre le bureau de Dominique de Villepin à l'Elysée. Du moins jusqu'au 6 mai 2002, date à laquelle Villepin devient ministre des Affaires étrangères.

De quoi pouvaient parler le patron des RG et l'homme présenté comme le chef d'orchestre des coups tordus de la chiraquie, à commencer par la machination Clearstream ? Une affaire pour laquelle Dominique de Villepin vient d'être renvoyé en correctionnel. Yves Bertrand assure qu'il s'agissait simplement lors de ces rencontres d' « évoquer les affaires pouvant menacer le chef de l'Etat ». Joint par Le Point , Dominique de Villepin explique qu'il voyait Yves Bertrand « à intervalles réguliers, essentiellement pour des sujets liés à la sécurité nationale ou au terrorisme . Une fois au Quai d'Orsay, les rencontres ont continué sur la base de rendez-vous protocolaires ou pour évoquer les inquiétudes qu'il manifestait pour son avenir professionnel. »


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