Rondot, l'espion discret...
Un maître-espion fidèle dans ses allégeances
par Laurent Zecchini
C'est un "maître-espion", parfois jusqu'à la caricature. Le général de division Philippe Rondot est aussi décrit, par ceux qui l'ont connu, comme un homme loyal et discret. Loyal, mais à qui? "A l'Etat, dont il est un grand serviteur", assure un haut fonctionnaire du ministère de la défense. Sauf que l'Etat a différentes incarnations. C'est d'abord Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, qui est son autorité de tutelle. Puis Jacques Chirac, chef de l'Etat et chef des armées, dont il est politiquement proche. Et bien sûr Dominique de Villepin, auquel il est lié depuis les années 1970.
"C'est un homme loyal à coup sûr, mais peut-être à plusieurs personnes à la fois", assure ce même interlocuteur. En voulant être loyal avec tous, Philippe Rondot s'est-il fourvoyé dans des chausse-trapes politiques? Un homme aux loyautés successives? Ce portrait peu flatteur ne cadre pas avec le souvenir que gardent de lui les anciens collaborateurs d'Alain Richard, prédécesseur de Michèle Alliot-Marie, qui a recommandé à l'actuel ministre de la défense de conserver à son poste ce très efficace "conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales" (CROS).
Un proche de l'ancien ministre socialiste de la défense se souvient de lui : "Nous avions avec lui une relation de confiance. Il nous a toujours donné le sentiment d'une grande loyauté. Il avait en quelque sorte le rôle d'un inspecteur général de la DGSE \[direction générale de la sécurité extérieure\]. Il avait des relations chaleureuses avec les membres du cabinet et voyait le ministre toutes les trois semaines." Est-ce bien le même homme que les collaborateurs de "MAM" (Michèle Alliot-Marie) ont découvert, en mai 2002, lorsqu'ils sont arrivés à l'hôtel de Brienne? Plusieurs manifestent le désir de se présenter à lui, sans succès. Personne n'aura de relations avec Philippe Rondot, hormis Philippe Marland, directeur du cabinet, et, en de rares occasions, le ministre. Le Cros ne participe à aucune réunion, ne dépend ni du cabinet militaire ni du cabinet civil, et réduit au strict minium ses relations avec le "bureau réservé", qui assure l'interface du ministre avec les services de renseignement.
C'est un homme solitaire et discret, qui accorde sa confiance à sa seule collaboratrice, qui est aussi sa nièce, Stéphane Queroy. De sa vie privée, on ne sait rien ou presque : il habite Meudon, dispose d'une résidence secondaire dans la Nièvre, aime marcher en montagne et n'émet aucune opinion politique.
Les membres du cabinet de Michèle Alliot-Marie se souviennent d'un homme d'apparence grise, qui semble fuir tout contact. C'est tout juste si, de temps en temps, pour appeler l'ambassade de France à Bagdad, il frappe à la porte d'un de ses collègues, pour utiliser son téléphone crypté. Lorsqu'il part en retraite, en décembre 2005, c'est avec la même discrétion : aucun verre d'adieu, aucun mot de circonstance.
Philippe Rondot a ses réseaux, ses entrées à l'Elysée, à Matignon, dans les "Services" (de renseignement) et au ministère de l'intérieur. C'est en partie pour cela que "MAM" n'a en lui qu'une confiance modérée : "Elle sait qu'il ne lui est pas exclusivement dévoué. Elle sait aussi que si l'Elysée lui a demandé de le garder, c'est aussi parce qu'il est là pour verrouiller d'autres dossiers", assure un proche de la ministre. Lesquels? Par exemple cette affaire de novembre 2001, mettant en scène la DGSE et la DST, accusées d'avoir mené une enquête sur des comptes bancaires supposés de Jacques Chirac au Japon et au Liban.
Philippe Rondot est un militaire atypique, qui a fait toute sa carrière dans les services de renseignement. Il est né à Nancy, en 1936, d'un père saint-cyrien, le général Pierre Rondot, auquel il faut s'intéresser pour comprendre le parcours de celui qui deviendra le conseiller pour le renseignement des ministres socialistes Pierre Joxe et Alain Richard, avant d'exercer les mêmes fonctions auprès de Michèle Alliot-Marie.
Pierre Rondot est un spécialiste du monde arabe, qui a été à l'origine de la création des services de renseignement syrien et libanais pendant le Mandat français. A l'époque, il est aidé par un officier libanais, qui n'est autre que le père d'Imad Lahoud, l'informaticien au cœur de l'affaire Clearstream, lui-même frère de Marwan Lahoud, PDG du fabricant de missiles MBDA. Philippe Rondot suivra les traces de son père : saint-cyrien, il fait la guerre d'Algérie en 1961 et intègre ensuite rapidement, en mai 1965, le Sdece (service de documentation extérieure et de contre-espionnage).
Il va, lui aussi, devenir un expert du monde arabe. Arabisant, il parle aussi l'allemand, l'anglais, le roumain et le russe. Le roumain, c'est à la suite d'un séjour en poste à Bucarest, où il lui arrive une mésaventure : parce qu'il a perdu ses clés, il ne rentre pas chez lui, ce qui suffit à faire naître le soupçon d'avoir été retourné par la Securitate roumaine. Il regagne Paris et intègre le Centre d'analyse et de prévision (CAP) du Quai d'Orsay, dirigé par Jean-Louis Gergorin. C'est là qu'il rencontre un jeune énarque du nom de Dominique de Villepin.
Les trois hommes vont nouer des relations fortes, qu'ils maintiendront. Du Sdece, Philippe Rondot passera à la DST (direction de la surveillance du territoire), soit un parcours très atypique lorsqu'on sait la rivalité, voire la "guerre", qui a longtemps opposé ces deux services. A l'intérieur, il travaille avec Pierre Joxe, qui le fera revenir à la défense, lorsque lui-même s'installera à l'hôtel de Brienne. Expert en terrorisme international, il cultive ses amitiés arabes et méritera son surnom de "colonel Lawrence" (d'Arabie) à la française.
Comme son père, il s'intéresse tout spécialement à la Syrie. Il publiera un "Que sais-je?" sur ce pays, et un autre sur l'Irak. A Damas, il nouera d'étroites relations avec le général Moustapha Tlass, qui restera trente-deux ans à la tête du ministère syrien de la défense. Grâce à ses réseaux arabes, Philippe Rondot jouera un rôle déterminant dans la libération de plusieurs otages français, notamment les époux Valente, plus tard Florence Aubenas, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et il parviendra à exfiltrer du Liban le général Michel Aoun. Mais son haut fait d'armes, c'est l'arrestation du terroriste Carlos, au Soudan, en 1994.
Pour être moins connus, ses échecs existent. C'est avec son concours que Dominique de Villepin se lance dans l'incertaine aventure d'une tentative de libération d'Ingrid Betancourt, en juillet 2003. Il échouera, d'autre part, à obtenir la libération des sept moines de Tibéhirine, en Algérie. En pleine cohabitation, il est tiraillé : avec Pierre Joxe, il créé la direction du renseignement militaire (DRM), mais, à la demande de Dominique de Villepin, il effectuera une enquête sur celles lancées par la DGSE et la DST sur les comptes bancaires supposés du président de la République. Le général Philippe Rondot a la réputation d'avoir mené une carrière de fidèle serviteur de l'Etat. Mais parfois il ne lui a pas été facile de faire un choix entre ses allégeances.
Sources : LE MONDE
Posté par Adriana Evangelizt