Demolition man : Sarkozy vu par François Bayrou
Demolition man
Pour le président du MoDem, Nicolas Sarkozy a décidé de vider la France de toutes ses valeurs fondatrices, au mépris de l'histoire nationale. Extraits (p. 9 à 11).
«Pour moi, pour nous, pour tous, c'était une affaire entendue. Nous, France, étions une démocratie. Une démocratie perfectible, évidemment, insuffisante, à coup sûr, on l'avait suffisamment répété sous les derniers présidents, pas trop regardante, mais au total bonne fille, et que les alternances successives, cohabitation comprise, suffisaient à remettre d'aplomb quand elle en avait besoin, à intervalles réguliers. Et ses dérives si fréquentes, c'était esprit de clan et banale faiblesse humaine.
Cette fois ce n'est pas affaire de faiblesse : c'est autre chose, c'est une entreprise concertée, à la tête de laquelle est une personnalité qui n'aperçoit pas de limite à sa propre volonté de puissance, ni à l'intérieur de notre pays ni à l'extérieur, puisqu'il arrive à se trouver avec des leaders politiques de la planète, non pas en situation de partenariat, en situation d'émulation, mais en situation de rivalité médiatique et, pour tout dire, de jalousie.
Si c'était affaire d'ego, on s'en moquerait. Ce ne serait pas la première fois, ni la dernière sans doute; le pouvoir est un alcool trop fort : il entraîne souvent l'ivresse et très vite l'addiction; pour l'acquérir, il faut consentir tant de sacrifices que la dépendance guette. Et quand on le rencontre, tant de regards se tournent vers l'élu, tant d'objectifs, de caméras, d'appareils photo, de micros, tant de dos se courbent, tant de regards s'humilient, tant de courbettes s'esquissent, que les caractères les mieux trempés ont du mal à résister. Les plus faibles s'enivrent sans retour des vapeurs de leur propre gloire. Mais après tout, les peuples ont l'habitude. Ils en ont beaucoup vu, des gouvernants qui titubent... Encore faut-il éviter, quand ils sont dans cet état, de leur confier le volant du car de transport scolaire.
Mais, dans le cas du pouvoir actuel, cela va beaucoup plus loin. Il a décidé d'abattre la maison. Dans une bouffée de puissance sans limites, dans la certitude de n'être pas vu, pas pris, il s'est mis en tête de conduire la France hors de son chemin, de la mener précisément là où depuis des décennies elle avait décidé de ne pas aller.
D'une nation dont la vocation était de résister à l'ordre dominant du monde, du porte-drapeau des insoumis, il a décidé de faire un zélateur de l'alignement. Et je ne parle pas ici seulement de politique étrangère, de l'Otan où il a été décidé de nous faire rentrer, de force, dans le rang, nous arrachant en place publique les insignes d'indépendance que nous portions avec fierté depuis que de Gaulle nous avait offert ce risque et cette chance.
Je parle de tout le reste, de l'économie, de la justice, du social, de l'éducation. De cet effort séculaire pour donner au mot de République, à l'idéale démocratie, autre chose qu'un contenu verbeux. Un peu de substance, un peu de réalité : des diplômes équivalents, d'où qu'on vienne, des services publics, où qu'on soit. Un modèle, pas seulement pour nous, mais que le monde reconnaisse et dont on sache, sans risque d'erreur, un peu partout sur notre terre ronde qu'il n'était pas du côté des puissants. Qu'il était un empêcheur de dominer en rond.»
Sources Challenges