Les contre-prêches d'un Voltaire arabe

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Les contre-prêches d'un Voltaire arabe

par Patricia Briel


Dans un ouvrage qui vient de paraître, l'écrivain franco-tunisien Abdelwahab Meddeb, qui vit et enseigne à Paris, appelle l'islam à quitter sa prison théologique. Une parole libre et dévastatrice pour le fondamentalisme.

Dans la critique de l'islam qui commence à émerger au sein du monde musulman, l'écrivain franco-tunisien Abdelwahab Meddeb se distingue par la fulgurance de ses propos, la finesse de ses analyses et ses connaissances encyclopédiques de la philosophie et de l'histoire occidentale et arabo-musulmane. Prêt à jouer le rôle d'un Voltaire arabe, ce professeur de littérature comparée à l'Université Paris X-Nanterre ne cesse de dénoncer depuis quelques années les méfaits de l'islamisme, qu'il considère comme «la maladie de l'islam», titre de l'un de ses ouvrages les plus connus.

Dans son nouveau livre, Contre-prêches, Abdelwahab Meddeb poursuit sa lutte contre le fanatisme religieux au fil d'une centaine de chroniques inspirées par l'actualité et dans lesquelles il déploie tous les registres de son talent intellectuel polyphonique. Selon les sujets abordés, il se fait théologien, philosophe, poète, chroniqueur politique, historien, sociologue, historien de l'art et linguiste. Contre le simplisme du discours fondamentaliste prévalant actuellement dans le monde musulman, il rappelle la richesse de la culture islamique qui s'est développée entre les VIIe et XIIe siècles, avant la «clôture théologique» qui a, selon lui, transformé l'islam «en une entité sotte et détestable». Une anamnèse nécessaire et salutaire, dont le but est de faire remonter à la mémoire les écarts inédits et les saillies de l'islam, qui sont autant d'armes contre le sens commun et les dogmes relayés par les «docteurs grégaires» et les «militants sanguinaires».

Si Abdelwahab Meddeb se plaît à ressusciter les trésors de l'âge d'or islamique, il sait aussi se montrer féroce à l'égard des islamistes et de leur monde obscurantiste. Cependant, il ne réserve pas le tranchant de sa pensée qu'aux intégristes: il pourfend aussi les dérives de l'administration Bush et critique l'image négative que l'Europe s'est forgée de l'islam et de son Prophète depuis le Moyen Age. Avec, toutefois, cette perspective que l'islam ne se débarrassera de ses archaïsmes qu'en se laissant féconder par la culture européenne: «Ce n'est pas à l'Europe de s'adapter à l'islam; c'est à l'islam de s'adapter à l'Europe. A l'islam d'apprendre à subir la critique, même la plus offensante, sans en venir au crime de sang pour se défendre. A l'islam d'admettre que les critiques les plus virulentes qui lui sont adressées peuvent se justifier au vu de la contradiction qui s'exacerbe entre l'évolution du monde et la fixité de ses mœurs. Enfin, c'est en Europe que le sujet d'islam doit sentir la part manifestement obsolète de son héritage.»

Quelle est donc cette part? Principalement l'attachement aveugle à la lettre coranique. En annulant toute interrogation et tout doute, la religion prise à la lettre maintient les sujets islamiques dans l'ignorance, les emprisonne dans un corset de contraintes étouffantes et empêche la nécessaire levée des tabous qui polluent la conscience de l'islam. Sans un travail d'exégèse approfondi, explique l'écrivain, cette conscience restera corrodée par la vision narcissique qu'elle a d'elle-même, vision qui lui fait confondre l'hagiographie et l'histoire et qui entretient un double déni, celui du réel et celui de l'altérité.

Dans ses Contre-prêches, qui portent bien leur nom, Abdelwahab Meddeb revient à plusieurs reprises sur la condition des femmes musulmanes, emblématique selon lui de la stérilité actuelle de la culture islamique. L'auteur proclame ainsi sa «haine du voile», qui représente «le signe de l'infériorisation féminine et de l'offense faite aux femmes». Cette offense prend racine dans le Coran, notamment dans le verset qui affirme explicitement la supériorité et la prééminence de l'homme sur la femme (verset 34, sourate IV). L'unique solution pour parvenir à l'égalité des sexes consiste, selon l'auteur, à «admettre que l'intégralité des dispositions coraniques et traditionnelles sur ce point sont obsolètes, qu'elles appartiennent à la part circonstancielle du Coran et non à sa part principielle, donc à sa part caduque, effacée par le progrès moral, politique, social et économique, par l'évolution de l'humanité».

Comment reconnaître la part caduque du Coran? En abandonnant la croyance selon laquelle ce livre recèle la parole même de Dieu. Car le dogme du «Coran incréé» a figé la raison et l'énergie de la pensée islamiques. Luttant contre l'amnésie, Abdelwahab Meddeb rappelle que l'école mutazilite a, entre le IXe et le XIe siècle, proposé la thèse du «Coran créé», d'une parole divine advenue dans un langage humain. Dans une même logique, il tire de l'oubli un auteur soudanais pourtant très récent, Mahmûd Muhammad Taha, qui appelle à ne retenir comme part principielle du Coran que les versets de la période mecquoise, plus doux et plus spirituels que ceux de la période médinoise, marqués par la violence des conquêtes militaires.

Le travail critique de base a déjà été réalisé au sein de la tradition islamique, dit en substance Meddeb. Il revient maintenant aux musulmans de revivifier la part lumineuse de leur héritage. Pour barrer définitivement la route au fanatisme.

Abdelwahab Meddeb, Contre-prêches. Chroniques, Seuil, 504 p.

Sources : Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt

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J
Très bel article, très instructif  !<br /> Bravo le voltaire arabe et bonne continuation !
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