Sarkozy : l'alchimiste social
Sarkozy : L'alchimiste social
par Rodolphe KAUFFMANN
Nicolas Sarkozy a donc décidé de s’intéresser à « la France qui souffre ». Il était temps !
A moins de 150 jours de l’élection présidentielle et après près de 5 années passées au gouvernement, dont une année en charge de la politique économique, financière et industrielle de notre pays, Nicolas Sarkozy découvre les conséquences de sa politique, « la France des travailleurs pauvres, …celle qui sait qu’avec le SMIC on n’arrive plus à se loger, celle des temps partiels subis, la France des salariés de l’industrie qui vivent dans la hantise des délocalisations… ».
Mais Nicolas Sarkozy a décidé de s’abstraire temporairement de l’action publique, il n’est plus en charge du pouvoir d’Etat, non, le temps d’un discours (voire d’une campagne), il endosse l’habit de l’alchimiste du Moyen Age qui assure qu’il est capable de transformer le plomb en or.
Il promet aux ouvriers des laminoirs (qui eux aussi transforment de leurs mains la matière brut en…autre chose), une « Renaissance » où l’on mariera « l’ancienne économie et la nouvelle, où l’on inventera la métallurgie du futur et un nouveau modèle de développement durable qui réconciliera l’industrie ».
Le Président de l’UMP est à la recherche de l’électorat populaire perdu (et rarement gagner par la droite d’ailleurs), mais dans un monde du travail atomisé par la société de marché, il est bien difficile, même pour l’alchimiste, de débusquer l’électeur populaire éponyme.
Nicolas Sarkozy défend, dans son discours « pour la France », tout à la fois l’ouvrier de l’industrie qui possède « un savoir-faire et la culture d’un vieux pays », mais aussi, le salarié « qui se sent mis à l’écart par l’augmentation des impôts » et qui ne peut se confondre au « travailleur pauvre » dont Nicolas Sarkozy veut se faire aussi le nouveau défenseur. Pour autant, Nicolas Sarkozy n’oublie pas non plus « tous ces talents, tout ce que la France compte d’audace, d’imagination et d’intelligence, d’esprit d’entreprise » qui risque de partir à cause de la pression fiscale supposée et qui, par la même, feront que « la France qui souffre, souffrira bien d’avantage » (sic).
C’est donc sur ses bases sociales incertaines que Nicolas Sarkozy souhaite bâtir son projet politique. On pense irrésistiblement au Chirac de 95, au temps où « la fiche de paie n’était pas l’ennemi de l’emploi » (ici cela devient « opposer le salaire à l’emploi est une erreur »), mais à la différence de Chirac, Sarkozy ne plaque pas un discours de gauche pour camoufler une politique de droite, non Sarkozy prône une politique thatchérienne réelle en faisant croire qu’elle répond aux intérêts du salariat pauvre.
Dans ce contexte, il est de notre devoir civique de débusquer la duperie qu’instille Sarkozy, celle qui voudrait faire croire que le leader de la droite pourrait se faire le défenseur des ouvriers alors qu’il est au service exclusivement du grand patronat français.
1. Il était une fois en Amérique
Nicolas Sarkozy admire le modèle économique américain, son influence, sa plasticité, il croit que l’économie est le moteur de la politique et donc, qu’un modèle économique peut faire ou défaire la France. Donc, faisons comme les Etats-Unis : « quand tant d’autres trichent, l’Europe ne peut pas être la seule à respecter les règles ».
Et de décrire « la religion du libre-échange et de la concurrence » comme autant de « renoncements ». Mais ce que dénonce Nicolas Sarkozy ce n’est pas que les E.U ou la Chine, pour ne citer qu’eux, se détournent des règles édictées par l’OMC, ce n’est pas non plus que l’OMC devienne l’instrument de la remise en cause de la division internationale du travail et le bras armé du dumping social, non, ce qu’il dénonce c’est que nous ne fassions pas comme les « tricheurs » !
Ainsi, tout le raisonnement sarkozyste revient à légitimer le non respect du droit international public en matière de concurrence en souhaitant que « ce qui est acceptable pour l’OMC en Amérique » le soit également pour « l’Europe ». Le but n’est donc pas de contrecarrer « les prédateurs du monde entier qui viennent prendre le contrôle des entreprises françaises » comme il feint de le dire, mais de permettre à certains entrepreneurs amis, à l’ombre de marchés protégés, d’aller mener cette prédation avec les mêmes armes que leurs concurrents transnationaux sur les marchés extérieurs.
Il induit également un venin funeste, celui qui lie délocalisation, voire dé-industrialisation, à absence de préférence communautaire, ce qui revient à attaquer frontalement tout le projet européen et à en faire potentiellement la cause des maux du salariat industriel.
Ici, il ne s’agit pas de contester le fait que les règles « faussées » de la concurrence (y compris, au sein même de l’U.E) sont sources de tensions concurrentielles et ont des répercussions sur l’emploi industriel, mais il s’agit surtout de dénoncer les raisons réelles du chômage de masse dans les industries de main d’œuvre.
Or, les causes profondes du malaise social dans notre pays proviennent essentiellement des politiques menées par la droite et Sarkozy depuis des années.
Celle-ci, par ses baisses d’impôt pour les tranches supérieures, par ses baisses de charges, essaye d’aligner notre pays sur les standards sociaux des pays émergents.
Or, Sarkozy entend bien poursuivre ces politique injustes et infondées en baissant l’impôt sur les bénéfices, en étendant les stock-options à tous les salariés ce qui revient à remettre en cause tout le système de protection social, ou en poursuivant la baisse des charges patronales reportées sur une hypothétique « taxe écologique » au motif que l’on ne peut « lutter contre le chômage si l’on surtaxe le travail ».
C’est donc, par cette politique de baisse du coût du travail (avec la précarisation du contrat de travail comme corollaire, à cause de ce fameux « droit du travail qui décourage l’embauche »), de démantèlement des services publics que l’on arrivera à la faillite de notre appareil industriel, puisqu’on continuera à le confronter, sans adaptation et sans protection, à la concurrence internationale (d’où également l’état catastrophique de notre commerce extérieur).
Ce sont donc bien les choix édictés par les dogmes que prône Nicolas Sarkozy qui ont avili cette « France qui veut rester debout » et qui veut continuer à vivre dans la dignité.
2. L’aliénation laborieuse, comme libération
Qu’il n’y ait aucune méprise, Nicolas Sarkozy est de droite, il n’a la fibre sociale que pour asseoir son projet inégalitaire, ségrégué et xénophobe. Il sait parfaitement qu’il n’est nullement nécessaire d’être libre-échangiste, pour l’euro fort ou pour le renforcement de la construction européenne pour servir les intérêts de la classe dominante.
Bush démontre chaque jour que l’on peut être l’idiot utile des trusts pétroliers et des barons des fonds de pension, tout en pratiquant des politiques de barrières douanières sur l’acier ou le coton. Sarkozy, une nouvelle fois, n’a qu’à se tourner vers son modèle sulfureux, mais au combien prolixe, qu’est le président des Etats-Unis…
Mais quand il finit par en venir aux mesures qu’il suggère pour lutter contre le « capitalisme boursier », il ne propose pas la taxation des super profits pétroliers, l’élargissement de l’assiette des cotisations sur les plus-values hors salaire ou la taxation du travail précaire.
Quand il s’agit de décrire la misère à la manière d’un librettiste bourgeois du XIX ème siècle, là, Sarkozy peut forcer le trait compassionnel pour décrire les mal-logés, l’ouvrier et la noblesse de son labeur, la terre qui ne ment pas, « là où fut versé tant de larmes, de sueur et de sang », mais quand il en vient à ses propositions concrètes, il n’est question que de remise en cause du temps libéré, de protection sociale élimée, d’école de la République bafouée, d’immigration décriée.
Le social pour Sarkozy, c’est le viatique pour domestiquer l’assisté honni ou aliéner l’ouvrier à sa machine pour qu’il travaille 40h et plus, car Nicolas Sarkozy le sait bien, il ne peut d’un côté feindre de dénoncer le temps partiel subi que pratique ses amis patrons de la grand distribution et dire, sans rire, que les ouvriers pourront choisir leur temps de travail !!!
Il ne peut, non plus, dire que « la capitulation sociale » aurait pour paradigme les « 35 heures ».
Dans l’histoire des conquêtes sociales, la baisse du temps de travail a toujours été une revendication essentielle et si pour seule mesure d’augmentation du pouvoir d’achat il propose de travailler plus longtemps, alors ce n’est pas du côté de l’ouvrier métallurgiste que Nicolas Sarkozy se situe, mais bien du côté du maître de forge.
Doit-on être rassuré « celui qui veut travailler plus pourra gagner d’avantage » et cela vaudra également pour « les fonctionnaires » ? Tout cela confine au miroir aux alouettes, mais peut prendre corps au moment ou l’ensemble du champ politique tend à confondre le travail comme élément d’émancipation et le travail comme « valeur ».
Or, pour la gauche, le travail émancipé ne se résume pas au temps passé à l’usine, mais dépend bien des conditions de travail, de la santé au travail , des relations sociales au travail, des libertés et des droits des salariés, du niveau de salaire, de la pénibilité, du statut, mais, pour Nicolas Sarkozy, toutes ces questions relèvent de l’impensé.
3. Le social, côté Poujade
Puisque Sarkozy n’a aucune réponse directe pour contrer la prédation du libéralisme mondialisé (il ne souhaite d’ailleurs surtout pas en apporter), il va puiser dans son fond de commerce populiste pour amadouer le chaland.
Premier bouc émissaire des affres de la société : l’école de la République. A cause de cette école « égalitariste », l’ouvrier imaginaire ne peut plus prétendre à l’excellence et « à l’inégalité de naissance, on a ajouté l’inégalité du savoir et de la culture ». Mais après ce constat odieux pour l’ensemble de la communauté scolaire, pour ces milliers d’enseignants qui chaque année permettent à des centaines de milliers d’élèves d’atteindre les voies de l’émancipation, Sarkozy y va de ses propositions et là ce n’est certes pas l’égalité qui prévaut.
Outre, la énième resucée sur la « suppression de la carte scolaire », voici que Nicolas Sarkozy propose la création « d’internats d’excellence pour les enfants des familles modestes ». Les enfants de familles modestes, parqués entre eux pour une reproduction sociale endogamique, voici la révolution scolaire du ministre de l’Intérieur. Pour le reste, son projet éducatif est clair : « je propose l’orientation, la sélection et la responsabilité ».
Ce n’est donc pas l’école de « mai 68 » que Nicolas Sarkozy veut remettre en cause, c’est l’école de Ferry, de Jean Zay, c’est l’école publique, contre « la responsabilité » qui n’est autre que la privatisation du savoir scolaire, c’est l’école pour tous, contre « la sélection » précoce qui ne conduit qu’à la reproduction des inégalités, c’est l’école de tous les enseignements le plus longtemps possible, contre « l’orientation » dès le plus jeune âge qui ne débouche que sur l’échec scolaire.
Autre bouc émissaire qui doit « parler » à l’électorat populaire (après l’Europe, l’euro et l’école) : l’immigré.
Car selon Sarkozy, « l’immigration non maîtrisée est une capitulation sociale ». Nous connaissions l’amalgame entre insécurité publique et immigration, voici l’amalgame entre immigration et crise sociale.
Pour de bon, il reprend un certain type de discours ouvriériste de droite extrême, celui de Tardieu dans l’entre-deux-guerres, celui des syndicalistes « jaunes » au tournant du siècle dernier qui voyait l’ouvrier étranger comme le concurrent potentiel du travailleur français.
Et de dénoncer comme un pamphlétaire nationaliste des temps anciens : « la bonne conscience » aveugle, celle qui « ne veut pas voir…ceux qui se sentent de plus en plus étrangers dans leur propre pays ».
Las, du discours pseudo-ouvert sur l’immigration choisie, Sarkozy, à nouveau, chasse sur des terres nauséabondes, là où il lui semble nécessaire d’endosser les mots de la vulgate frontiste, celle qui veut que « l’on fasse obligation à ceux qui viennent chez nous de respecter nos lois, nos coutumes et nos valeurs ».
Voici donc, les vraies solutions de Sarkozy aux problèmes que rencontre l’ouvrier industriel à l’heure de la mondialisation libérale : bouter l’immigré ou lui octroyer sous bonne garde, le hochet du ghetto communautariste, envoyer ses enfants dans des écoles de la relégation sans espoir d’ascenseur social, travailler plus pour espérer continuer à garder son emploi, en trimant au même tarif qu’un tôlier Indien et éructer contre l’Europe comme cause de tous ses maux qui sont, au réel, essentiellement dues à la politique économique antisociale de Nicolas Sarkozy, lui-même, et de ses amis.
C’est donc, bien finalement, la même rengaine que nous serre le candidat de la droite à la présidentielle de 2007, celle qui veut que pour installer la prédation libérale, pour servir les « deux cents familles », il faut détourner, tromper…la classe ouvrière.
Sources RESO
Posté par Adriana Evangelizt