DE L'ETAT SOCIAL A L'ETAT PENAL
Voilà un excellent article qui revient à ce que nous disions dans le post précédent. La tolérance zéro de Sarkozy n'ait qu'une copie américaine amenant davantage de misère et de répression. La France est en train de sombrer et sa démocratie avec...
De l'Etat social à l'Etat pénal
Le modèle américain
par Nils de Dardel
1. Le modele americain
Le mouvement sécuritaire traverse le monde sous l’impulsion américaine. La « tolérance zéro », aux Etats-Unis, résulte d’une politique par laquelle des dizaines de millions de personnes sont livrées à la pauvreté ou à la misère. Pour elles, les mesures sociales sont réduites toujours davantage, la précarité devient leur loi et la détention en prison se substitue en bonne partie à l’aide sociale. L’Etat sécuritaire est donc l’enfant de la déréglementation économique et de la flexibilisation du travail. Selon le principe : liberté pour les forts, privation de liberté pour les faibles.
Aux Etats-Unis, la population carcérale qui était de 380’000 en 1975 a passé à 2’000’000 en 2000. La croissance s’est faite surtout dans les années 1990. En 1997, le taux de détenus dans la population est de 650 sur 100’000 personnes aux Etats-Unis. Pour la même année, il n’est « que » de 90 en Allemagne, France, Italie.
Il est tout à fait douteux que l’augmentation de la population carcérale aux Etats-Unis soit due, même en partie, à une véritable augmentation de la criminalité. Il y a eu en effet une augmentation massive des jugements d’emprisonnement pour des délits qui étaient antérieurement punis par des peines plus douces. De plus, le ratissage policier et judiciaire a massivement augmenté.
Une caractéristique de cette politique est une attaque pénale massive à l’encontre de la population noire et latino-américaine, très largement majoritaire dans les couches pauvres de la population.
Simultanément, le système américain a produit une glorification de cette politique pénale massive, doctrine reprise par le gouverneur de New-York Giuliani et offerte en exemple au monde entier sous la dénomination « tolérance zéro ».
2. Evolution sécuritaire eu Europe
Cette glorification de la politique sécuritaire a été très largement exportée en Europe. Une des modalités de cette valorisation de la politique pénale consiste à travestir les problèmes sociaux en problèmes sécuritaires. Ainsi, la « violence urbaine » (c’est-à-dire tous les comportements marginaux de certains quartiers défavorisés) est attribuée à la jeunesse et, en même temps, les questions sociales sont réglées de manière autoritaire et discriminatoire (plus de discipline et d’interdits dans les écoles ; couvre-feu pour les jeunes, par exemple.
En Europe, l’augmentation de la population carcérale a aussi été généralement importante. De 1983 à 1997, l’augmentation des personnes emprisonnées est très forte en Angleterre (+ 43%) et en France (+ 39%) , elle est explosive en Espagne (+ 192%), au Portugal (+ 140%) et aux Pays-Bas (+ 240%). Toutefois, ce phénomène en Europe n’est pas linéaire puisque certains pays connaissent, pendant la même période, une réduction de la population des emprisonnés :
| Allemagne (de l’Ouest) | 4% |
| Autriche | 8% |
| Finlande | 41% |
4. Et la Suisse ?
En Suisse, de 1989 à 1999, le nombre des incarcérations a passé de 11’707 à 7’207, soit une réduction de - 30%. Vraisemblablement, il y a eu depuis lors une nette réaugmentation de la population carcérale. Il est notamment invoqué actuellement que les prisons préventives sont surchargées.
Ce étant, on constate, au vu des statistiques de la délinquance en Suisse une très grande stabilité.
Si l’on tient compte de l’augmentation du nombre d’habitants en Suisse, il y a même une légère baisse du taux des infractions par rapport au nombre d’habitants selon les statistiques, puisque ce taux a passé de 47‰ en 1997 à 45‰ en 2003.
De la même manière, les vols, qui forment la très grande masse de l’ensemble des délits (environ 90%) sont stables, voire en diminution. Il s’agit de centaines de milliers de cas. En revanche, les délits ou crimes avec violence sont en augmentation, mais ces catégories ne visent que quelques centaines ou milliers de cas.
Par exemple, les viols passent de 275 cas en 1994 à 547 cas en 2003.
Les lésions corporelles intentionnelles passent de 3’612 cas en 1994 à 6’732 cas en 2003.
Toutefois, le niveau des crimes ou délits commis avec violence reste faible en Suisse en comparaison des situations dans les autres pays européens.
Le tableau général est donc très éloigné, d’un point de vue objectif, de l’alerte sécuritaire constamment exploitée au plan des médias et au plan de la politique.
On relèvera cependant, à ce sujet, un récent avatar de la politique de l’UDC. Ce parti, pendant 15 ans, n’a cessé de se plaindre de la prétendue augmentation de la criminalité en Suisse et de la nécessité de prendre des mesures de forme pour y remédier. Or, la logique de sa position sur Schengen la conduit à affirmer haut et fort depuis peu de semaines que la Suisse était actuellement un pays extraordinairement sûr !
Dans tous les cas, comme les statistiques suisses concernent les cas enregistrés par la police et sont largement le résultat de l’activité de la police et de l’importance plus ou moins grande de son ratissage, la stabilité qui est relevée dans les statistiques démontre que dans la matérialité des faits la Suisse est encore loin d’avoir assimilé le modèle américain.
Ideologie securitaire en Suisse
En revanche, dans le débat politique et dans les mesures successives prises par le Parlement, l’idéologie sécuritaire, inspirée par les Etats-Unis, est très présente.
A ce sujet, depuis les années 90, les cas se multiplient.
Les mesures de contraintes contre les requérants d’asile ainsi que les mesures de réduction ou de suppression de l’assistance à ces requérants sont tout à fait caractéristique de ce modèle américain.
Il en va même d’institutions d’investigations policières nouvelles, comme les agents infiltrés ou l’extension incontrôlée des fichiers ADN.
On évoquera aussi l’installation de certaines pratiques comme la multiplication des caméras de vidéosurveillance dans toutes sortes de lieux, les contrôles d’identité très musclés effectués par la police dans les endroits les plus fréquentés, les bavures policières de type raciste, notamment.
En conclusion, l’effritement de l’état social, avec le développement du travail précaire, la suppression des emplois, le chômage et les grandes poches de pauvreté, a manifestement pour corollaire, en Europe, même si c’est sous une forme plus atténuée que celle instaurée aux Etats-Unis, la création d’institutions autoritaires de surveillance, de contrôle et d’enfermement sous l’égide de la police et de la justice pénale.
Trop souvent, la gauche traditionnelle, syndicale et politique, passe à côté de ce constat et de la nécessité de dénoncer les abus et les mensonges de l’idéologie sécuritaire.
Nils de Dardel