Les métamorphoses de Nicolas Sarkozy

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Les métamorphoses de Nicolas Sarkozy

Raphaëlle Bacqué et Philippe Ridet

Le 6 mai, s'il l'emporte, il fermera le rideau. Il partira quelque part, dans un endroit isolé - "comme pour une retraite", assure-t-il. Ce n'est pas tout à fait son style habituel. Il en parle d'ailleurs déjà comme d'une étape très organisée dans un agenda. Mais il le promet : s'il gagne, il s'accordera ce moment pour rentrer en lui-même. Trois jours : "Le temps qu'il me faudra pour habiter la fonction."

Tout Nicolas Sarkozy est là. Volonté de s'élever, rapidité dans l'exécution. Tout de même, ce retour sur soi annoncé chez un homme qui a toujours affirmé ne pas aimer l'introspection étonne. Il explique tranquillement : "Les Français veulent que je mérite cette élection. Si je gagne, je ne veux pas aller vers cette épreuve comme un benêt ou un plouc !"

Rester soi-même ; devenir un autre : c'est à cela que le candidat de l'UMP s'attelle depuis six mois. Samedi 21 avril, lorsque dans son bureau il a retrouvé son "parolier" Henri Guaino, le publicitaire Jean-Michel Goudard, son directeur de campagne Claude Guéant et l'écrivain Georges-Marc Benamou, qui l'accompagne souvent, il avait déjà en tête tout ce qu'il allait dire le soir du premier tour.

CALME ET CONCENTRÉ ; DUR ET INJUSTE.

Ces derniers temps, il est devenu le cauchemar des reporters radio. Sa voix est descendue d'une octave. Dans les entretiens pris à la volée, en marge de ses déplacements en province, Nicolas Sarkozy ne parle plus : il murmure. Sa voix de stentor, il ne la réserve plus qu'à ses meetings, ses harangues. Aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), ville à laquelle il a consacré, le 21 avril, sa dernière apparition de candidat d'avant-premier tour, il avait délivré ses dernières confidences d'un ton morne et fourbu : "Je suis calme, calme, très concentré." Puis il a redit encore, comme pour s'en convaincre : "Je suis calme."

Pourtant, beaucoup de petits signes prouvent le contraire. Ses tics sont redevenus visibles, même lors de ses interventions télévisées. Les "petites mains" qui s'activent pour sa campagne ont toutes eu droit, à un moment ou à un autre, à ses "soufflantes".

Un fil qui traîne, un dossier mal ficelé, un argumentaire qui ne lui convient pas, et voilà le candidat qui redevient agressif. Dur. Injuste, souvent.

Un ami, un jour, lui a glissé : "Joséphine disait de Napoléon : "Il humilie trop et ne punit pas assez"." Nicolas Sarkozy humilie beaucoup. Et ce, malgré les tentatives de ravaudage de son directeur de campagne, Claude Guéant, que nombre de conseillers sarkozystes ont fini par appeler "la Suisse" - parce qu'il s'efforce de rétablir une certaine neutralité dans les rapports au sein d'une équipe sur des charbons ardents.

Mais il punit aussi. Pierre Méhaignerie a quasi disparu du casting gouvernemental le jour où il a mis en doute la possibilité de réduire les prélèvements obligatoires de 4 points en cinq ans. Brice Hortefeux, ami de trente ans, a été cloué au pilori pour avoir grillé, trop tôt et dans la mauvaise direction, la cartouche de la proportionnelle aux législatives. "Il explose les uns et les autres", reconnaît François Fillon.

"SI TU VOIS RIEN, ÉCOUTE !"

Dans ses visites en province, il ne cherche pas plus à dissimuler sa personnalité. "Je vais aller à la rencontre des Français tel que je suis, affirme-t-il. Je ne vais pas me disperser. Pas me changer." En Provence, un chercheur du Canceropôle de Toulouse l'interpelle : "Votre conception déterministe de la vie réduit l'intérêt de la recherche."

M. Sarkozy, sur ses ergots : "Pardon ?"

Le chercheur, sans se démonter : "Je pense à vos déclarations dans Philosophie Magazine."

M. Sarkozy : "Vous l'avez lu ?

- Des extraits.

- Alors, je vais vous écouter totalement. Ça évitera que je vous réponde sur des extraits."

Dans ces conversations improvisées, le climat est souvent tendu au départ. Mais, à la fin, généralement, le candidat se fait tout miel, sûr d'avoir le dernier mot : "Allez, l'ami de la CGT, ne me caricaturez jamais. Moi je ne vous caricaturerai jamais. Ça s'appelle le respect."

Quelques jours plus tard, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), lors d'un débat qui s'éternise avec les viticulteurs, n'en pouvant plus, il explose : "Je devrais faire le gentil, l'aimable, mais chacun veut dire son truc !" Il donne des cours de politique : "Vous m'auriez dit "on a quatre problèmes", vous auriez désigné une personne pour me rencontrer, ç'aurait été plus efficace !"

Discourant dans une usine à Metz, un ouvrier l'interrompt : "On ne voit rien." M. Sarkozy, du tac au tac : "Si tu vois rien, écoute !"

Les femmes ont droit à plus d'égard et d'humour. Lors d'une rencontre avec les employés d'un centre d'appels à Lille, le portable d'une jeune fille sonne. Nicolas se fait alors tout sourire : "S'il rappelle, dites-lui que vous êtes partie avec moi."

"NI PEUR NI EXCITATION ; ZÉRO PLAISIR".

Au fond, au fur et à mesure que l'échéance approche, il s'exaspère le plus souvent sur des détails. "Comme s'il avait besoin de vider la tension qui est en lui", remarquent ses collaborateurs. Eux ont fini par faire le gros dos devant ses colères. Mais il se montre inébranlable sur sa stratégie. "A la fois sensible et indestructible", glisse Brice Hortefeux.

Insensiblement, pourtant, une gravité s'est installée. Il a encore ses engouements enfantins pour une chanson "sixties" que quelqu'un lui a fredonnée, guette toujours dans les yeux des journalistes qui le suivent une trace d'approbation pour le discours qu'il vient de prononcer.

Il se montre incapable d'être seul dans les avions qui l'emmènent en province et tout aussi incapable de parler d'autre chose que de lui, de sa campagne, des sondages qui le portent en tête, d'un débat qu'il pense avoir dominé, d'un opposant qu'il croit avoir mouché.

Mais on l'entend de plus en plus disserter sur "le devoir qu'était (sa) candidature pour relever la droite", sur " l'ascèse" qu'exige une campagne. Avec l'économiste Nicolas Baverez, avec Henri Guaino ou Georges-Marc Benamou, il évoque de plus en plus souvent les présidents du passé. Mitterrand, bien sûr, mais aussi de Gaulle et Georges Pompidou, qui mourut à l'Elysée sans vouloir avouer sa maladie aux Français.

M. Sarkozy avait une vision ludique et vorace de la politique. Il a perdu une partie de sa joie devant ses agréments. "Le tempérament s'est formé depuis trente ans, le sillon s'est creusé depuis quinze ans, et la mue s'est opérée en septembre 2005", explique le publicitaire Jean-Michel Goudard, qui le connaît depuis vingt ans.

A cette époque, ses amis se souviennent que, marchant sur une plage de La Baule (Loire-Atlantique), il n'avait prêté qu'une oreille aux militants UMP qui l'acclamaient sur son passage : "Il y a quelques années encore je serais venu les voir, mais maintenant, je n'ai plus besoin de ça." Aujourd'hui, il répète souvent : "Je ne ressens ni peur ni excitation. Plaisir zéro."

Nicolas Sarkozy a laissé son épouse, Cécilia, recomposer en partie ses équipes. Placer auprès de lui ses fidèles, François de la Brosse, José Frèches, et mener une guerre sourde aux "copains" de toujours, Pierre Charon, Brice Hortefeux, Frédéric Lefèbvre. Il sait que des murmures sur les états d'âme de sa femme circulent ; il refuse d'en dire un mot.

Le week-end de Pâques, il est parti seul chez son frère François. Elle a passé une semaine aux Etats-Unis, avec ses enfants. Mais rares sont ceux, désormais, qui ont accès à son intimité.

CEUX QUI EXÉCUTENT SANS CONTREDIRE.

"Personne n'a pu écrire que j'avais une garde de fer, affirme-t-il désormais. Je n'appartiens à personne. Si mes amis "historiques" ne me comprennent pas, c'est qu'ils ne sont ni mes amis ni historiques."

A-t-il changé vraiment ? "J'ai eu plusieurs phases à subir pendant cette campagne, confie-t-il. Au début, certains voulaient que je prenne un coach pour parler aux femmes. Mais un coach, cela sert à se perdre soi-même. Puis on m'a demandé de sourire. J'en avais mal aux zygomatiques."

Le candidat n'a écouté personne, a suivi son instinct et ce qu'il croit être sa connaissance des hommes. "C'est une sorte de Mitterrand de droite, sourit Georges-Marc Benamou, devenu son ami. Il y a de l'ancien président dans sa façon d'élaborer seul sa stratégie, de sélectionner les conseils qu'on lui donne et de maîtriser ses entourages."

De fait, seuls ont survécu les professionnels. Ceux qui exécutent ses directives sans le contredire. Ceux qui le servent sans lui faire subir en retour leurs propres affects. Franck Tapiro, jeune publicitaire, a été évincé du staff : "Un type intelligent et imaginatif, raconte M. Sarkozy, mais un blablateur. Au moindre sondage qui baisse, c'est la panique. François de la Brosse, qui l'a remplacé, c'est un calme, il ne diffuse pas de stress. Et pourquoi ai-je pris José Frèches plutôt que Loïc Lemeur pour animer le site Internet ? Parce qu'il est enthousiaste et fait campagne comme s'il faisait son premier voyage scout !"

Exigeant avec les autres comme avec lui-même, il subsiste pourtant comme un manque. Il peut bien se rassurer en pensant qu'avec 31 % des voix la démonstration est faite que "les Français ne (le) détestent pas autant que la gauche le pensait".

Mais, comme la plupart des hommes politiques, il cherche les marques d'une affection jamais assez grande à ses yeux.

Un jour qu'une femme se jetait sur lui pour lui dire combien elle le trouvait "exceptionnel", il s'est tourné vers ceux qui l'accompagnaient pour leur dire : "Vous ne m'avez jamais dit ça, vous..."

Sources Le Monde

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Elections danger

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Une photo de Benamou à l'Elysée sur http://phverant.blogspot.com/2007/05/georges-marc-benamou.html
Répondre