Le nouveau parcours du combattant

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Le nouveau parcours du combattant

par Blandine Flippo

Jeune Afrique

La politique française d’immigration se durcit. Entrer dans l’Hexagone est devenu un casse-tête pour beaucoup d’Africains. Qu’ils soient étudiants, politiques, riches ou pauvres…

Informations biométriques dans les visas, tests ADN, « quotas » d’expulsion imposés aux préfets : la politique française d’immigration commence à ressembler à une opération mathématique et scientifique dépouillée de toute considération humaine, ou même économique. Si la France est encore à mille lieues de fermer ses frontières aux étrangers, et particulièrement aux Africains - elle reste le deuxième pays européen d’accueil pour les immigrés en provenance du continent, après l’Espagne -, les portes de ses consulats, en revanche, ont une fâcheuse tendance à devenir infranchissables.

Fraîchement naturalisée française, Marie-Claire, infirmière d’origine congolaise, voulait que son fils Doudou la rejoigne en France. Le jeune homme, âgé de 15 ans, souffre de problèmes pulmonaires. Avec l’aide du père David, un jésuite « introduit » dans les milieux consulaires, le jeune homme a déposé son dossier à l’ambassade de France de Kinshasa. « On m’a proposé un rendez-vous, puis on m’a fait revenir, une fois, deux fois, puis ils sont partis en vacances… » Lassé, Doudou a renoncé à son voyage. Faisant une croix sur les soins qu’il espérait recevoir dans l’Hexagone. Même traitement pour l’épouse d’un haut fonctionnaire d’un pays d’Afrique centrale. Comme chaque année, elle souhaite se rendre à Paris pour faire un check-up médical, mais se voit, en 2007, imposer un délai de trois semaines pour l’étude de son dossier. L’ambassadeur français a beau se confondre en excuses auprès dudit officiel, ce dernier a conseillé à sa femme de se rendre en Suisse. Autant d’argent perdu pour l’hôpital français et pour les boutiques que madame n’aurait pas manqué de visiter lors de son séjour…

Qu’on soit modeste étudiant, cousin d’un Africain naturalisé français souhaitant passer un mois de vacances dans l’Hexagone ou riche épouse de diplomate, la réalité est désormais la même pour tous : obtenir le précieux sésame pour entrer en France relève du parcours du combattant. La délivrance des visas n’est que le reflet administratif de la politique d’immigration menée par Nicolas Sarkozy, à l’origine de deux lois sur l’immigration quand il était ministre de l’Intérieur (2003 et 2006) et d’une troisième sous son mandat présidentiel (adopté par le Parlement le 23 octobre). Les données statistiques « font apparaître une réussite indiscutable dans le contrôle des flux migratoires », se réjouit ainsi le dernier rapport annuel de l’Observatoire statistique du Haut Conseil à l’intégration (paru au début de 2007). « Pour l’année 2005, les flux d’entrées régulières se caractérisent par une baisse de 6 % du nombre d’entrées d’étrangers obtenant des titres de séjour d’un an et plus. Cette diminution est due principalement à la baisse de 7 % de l’immigration familiale, à la baisse de 13 % du nombre d’étudiants et à une diminution de 14 % du nombre de visiteurs. » Après une décennie d’augmentation du nombre de titres de séjour délivrés par la France, la tendance inverse semble donc bien se confirmer.

Un seul credo : « l’immigration choisie »

Selon le président Sarkozy, seulement 7 % des visas accordés le sont pour des motifs économiques. Il veut faire grimper le chiffre à 50 %. Au moins. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement a prévu d’actionner deux leviers.

Encourager la venue d’immigrés qualifiés, d’abord. Dans ce domaine, on en est encore au stade de l’intention. Les chiffres de 2006 montreraient même une baisse de l’immigration de travail : 9 016 visas long séjour avaient été délivrés pour activité professionnelle, de janvier à juin 2005, contre 8 021 seulement à la même période un an plus tard.

Les autorités françaises ont, en revanche, déjà largement actionné le second levier qui consiste à réduire l’octroi des visas pour raisons familiales. Les procédures se sont alourdies, les pièces demandées sont de plus en plus complexes à obtenir. Sans attendre l’amendement du député Thierry Mariani (UMP) qui fait tant parler de lui, sur la possibilité de recours aux tests ADN, les consulats pratiquent déjà, selon Jean-Pierre Allaux, chargé de mission au Groupement d’information et de soutien aux immigrés (Gisti), une « politique dissuasive ». Et ce pour toutes les sortes de visas demandés. La hausse des frais de dossier pour les visas court séjour, de 35 à 60 euros, depuis le 1er janvier 2007, l’ouverture des locaux seulement trois jours par semaine, une liste des documents qui évolue au gré des rendez-vous, la non-justification des refus, la suspicion systématique des épouses et des enfants… Les « méthodes » consistent à décourager les gens, accusent les associations de défense des migrants… « Faux », rétorque-t-on au consulat général de Dakar. « Notre liste est en ligne sur notre site Internet, tout le monde peut la consulter. » Du côté du ministère de l’Immigration de Brice Hortefeux, on affirme qu’il n’existe aucune circulaire demandant aux consulats d’être plus durs. Mais les chiffres commencent à parler d’eux-mêmes. Au consulat de France de Dakar, 33 311 demandes de visas ont été reçues par les services consulaires en 2005, qui en ont délivré 22 910. Une année plus tard : 28 103 demandes, dont 21 937 satisfaites.

Dans un rapport publié le 27 juin 2007 sur le service des visas, le sénateur français Adrien Gouteyron reconnaissait ainsi des « cas avérés de corruption fréquents sur l’activité visas ».

La politique française, en limitant l’immigration légale et en compliquant les démarches officielles, entraîne ainsi des conséquences perverses qui font le lit de la dégradation de son image. Pour les plus pauvres, la tentation de la clandestinité n’en est qu’exacerbée. Pour les plus aisés, celle d’aller frapper à la porte du consulat d’à côté est plus fréquente. Les fils et filles des élites africaines, de la Tunisie au Cameroun, en viennent, à force de vexations, à croire davantage à l’American dream qu’à la patrie des droits de l’homme. D’ailleurs, « opposer immigration familiale et économique est un non-sens », estime Claire Nodier, juriste au Gisti. Une personne venue en France pour rejoindre sa famille y travaille aussi la plupart du temps. Inversement, les gens venus pour des raisons économiques ont une vie familiale. « La politique actuelle est un retour en arrière dans les années 1960, avec des agences pour l’emploi qui recrutaient des hommes pour les secteurs où la France manquait de bras. » Et les parquaient dans des foyers Sonacotra en attendant leur retour - improbable - au pays. Drôle d’immigration choisie.

Sources Jeune Afrique

 

Posté par Adriana Evangelizt

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