DDV en attente...

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Villepin attend son heure

par Catherine Pégard

Tout le trahit : le Premier ministre est candidat à l'élection de 2007. Déjà, il apparaît « un peu président » et jure, contre les « déclinologues », qu'avec lui « tout ce qui était impossible devient possible ». Vraiment ?

Les débuts d'année, c'est bien connu, sont propices aux résolutions. La vie politique n'échappe pas à ce poncif. Les cérémonies des voeux qui s'enchaînent, à l'Elysée, à Matignon, de ministère en ministère, dessinent des postures, dévoilent des intentions, affermissent des ambitions. Alors qu'ici et là on s'évertue à sanctuariser 2006 pour retarder les hostilités de la campagne présidentielle, les échanges de souhaits, convenus, amusés ou aigres-doux, révèlent les stratégies. D'emblée, le 3 janvier, dans le huis clos des premiers voeux gouvernementaux, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, avant d'afficher publiquement cette semaine leurs différences, avaient fixé le paysage de l'UMP.

Ce mardi-là, en effet, Nicolas Sarkozy ouvre le bal en accueillant, comme c'est la tradition, pour un petit déjeuner au ministère de l'Intérieur, l'ensemble du gouvernement avant qu'il n'aille retrouver le chef de l'Etat de l'autre côté du faubourg Saint-Honoré. Nicolas Sarkozy, pour prononcer son discours, reste assis au milieu des ministres en face de Dominique de Villepin. Les ministres suivent ses mains en forme de battoirs qui relaient ses mots. Le ministre de l'Intérieur veut manifestement être aimable. Seules ses digressions, dosées, le trahissent. « Je vous souhaite une bonne année, dit-il au Premier ministre. Et si elle n'est pas bonne, on ne pourra pas dire que je ne l'ai pas fait ! » Mais le fond du propos est plus intense. Nicolas Sarkozy rappelle que l'année 2005 a été rude, mais qu'il s'attend à des épreuves plus lourdes encore en 2006. Il ne s'en plaindra pas, lui qui confie que, lorsqu'« on entreprend l'ascension de l'Himalaya par la face nord en décembre, on ne doit pas s'étonner qu'il fasse froid ». Il en profite d'ailleurs pour rappeler que la politique est un métier et que c'est normal : « Aurait-on l'idée d'aller voir un médecin ou un dentiste amateur ? » Le message est clair. Autour de la table, chacun a compris que la partie avait commencé et que Sarkozy signifiait à Villepin qu'ils la joueraient ensemble.

Ministres impressionnés. Le Premier ministre se lève, commente les oeufs brouillés qui sont la « spécialité du ministère de l'Intérieur », glose sur ce rituel annuel agréable qui précède le moment « grotesque » où les ministres vont rejoindre à pied l'Elysée ; le premier d'entre eux avance le cou, flanqué de ceux qui veulent être sur la photo avec lui pendant que d'autres s'isolent, raconte-t-il. Les ministres s'esclaffent. Tout à l'heure, il prendra bien soin de rester mêlé aux autres avant de conduire le cortège, seulement aux marches du palais. Mais déjà, Dominique de Villepin est parti dans une de ses montées chromatiques dont il a le secret. Il parle de la France, de la nécessité pour la République de se rassembler et, en conclusion, devant ses ministres ébahis, évoque une « année pleine de grâce » sur le thème « Tout ce qui était impossible devient possible, tout ce qui ne devait pas arriver arrive ; les choses changent ». Le message est clair. Chacun a compris que Dominique de Villepin était candidat à l'élection présidentielle. Y penser toujours, n'en parler jamais. Les ministres sont impressionnés par ce mélange, accentué depuis quelques semaines, de détermination froide et d'exaltation lyrique.

Mais les voilà à l'Elysée, pour présenter leurs voeux au président de la République. Le discours du Premier ministre est à peu près le même. Il le termine sur les engagements qu'il faut prendre pour les générations futures, transition pour mentionner Martin (le petit-fils du président), qui « égaie cette maison ». L'allusion, en ce lieu cadenassé sur l'intimité de Jacques Chirac, est inhabituelle. Certes « Dominique » est toujours un peu chez lui dans ce palais, mais aurait-il songé même inconsciemment, il y a deux ou trois ans, à évoquer Chirac dans l'art d'être grand-père ?

Depuis six mois qu'il est à Matignon, Dominique de Villepin occupe plus que son rang. Le chaos du référendum, la distance aggravée entre le président et les Français et plus généralement entre les politiques et les Français, et l'ébranlement de la santé de Jacques Chirac qui soudain le rendait moins présent, tout a concouru en 2005 pour que Dominique de Villepin soit, comme on dit à l'Elysée, « déjà un peu président ». La relation particulière de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac et le tempérament du Premier ministre ont fait le reste. Jacques Chirac n'a rien à apprendre sur Dominique de Villepin, à qui il n'a jamais confié l'espèce de blanc-seing qu'il accordait à Alain Juppé. Il sait ses emballements que rien n'arrête, mais ses emballements l'ont souvent stimulé lui-même. Jusqu'ici, Dominique de Villepin a toujours su, face au président, jusqu'où aller trop loin avec « élégance », le maître mot qu'il s'est fixé tant il connaît l'attachement ombrageux du président aux formes. Les circonstances cristalliseraient donc « le moment Villepin », comme disent ses amis. Dominique de Villepin a beaucoup médité la leçon de ses prédécesseurs : Alain Juppé n'a pas pu et n'a pas voulu convaincre Chirac de ses choix. Jean-Pierre Raffarin n'a pas voulu le faire et ne l'a donc pas pu. Lui, Villepin, il le veut et le peut.

Réveil français. Il y a toujours eu chez Dominique de Villepin une indifférence affichée pour son avenir politique. Il aurait un destin national ou rien, et sans franchir les obstacles habituels du jeu de l'oie classique. Certains y voyaient l'esthétisme d'un littéraire. La plupart, le grain de folie d'un narcissique. Il a fait le pari l'an dernier que Matignon, où les autres se sont brisés, pourrait lui donner ce destin, jusqu'à faire sur le président une pression parfois jugée folle pour qu'il le nomme, jusqu'à réclamer sursaut et électrochoc avant même l'échec du référendum : « Jamais, je ne revivrai une telle campagne », confie-t-il aujourd'hui encore.

En six mois, le Premier ministre pense avoir gagné une partie de son pari en montrant qu'il était possible de « faire des choses ». On décèle même à Matignon les signes d'un « réveil français ». L'amélioration de la croissance, les déblocages de l'emploi rendraient le goût de la marche aux Français ankylosés, qui en auraient marre d'être traités en permanence de « nuls sans avenir ». Ils ne veulent plus des discours des « déclinologues » - toutes ces « analyses datées » -, mais croient au changement, jure-t-on encore à Matignon. Tant pis si, selon un sondage BVA pour Les Echos, les Français sont encore plus pessimistes en ce début d'année qu'ils ne l'étaient en 2005, estimant à 72 % que l'avenir de l'emploi reste sombre, à 75 % que les prélèvements augmenteront et à 67 % que la politique économique du gouvernement est mauvaise, ce qu'ils pensaient déjà sous Jean-Pierre Raffarin. Comme son prédécesseur, Villepin chante « la positive attitude » mais avec une perspective de résultats plus clémente. A rebours de tous les schémas, Dominique de Villepin espère gagner l'estime des Français, à Matignon, en rendant sa « fierté » à la France. « Il a tout pour ne rien comprendre à la société mais, parce qu'il en reçoit tous les échos, il a commencé à entrer en empathie avec elle », estime un de ses proches qui trouve qu'il « apprend vite au contact des "gens"». « Quand un aristo se comporte soudain en conseiller général, on est en extase », ironise Roselyne Bachelot, qui l'a accueilli avant Noël dans sa région angevine, dans une de ces réunions de l'UMP qu'il suscite soigneusement lors de tous ses déplacements en province.

Rendez-vous. Le Premier ministre refuse de reconnaître que Matignon est le lieu du pouvoir et préfère le décrire comme le « mouvement du pouvoir » : « C'est une maison de rendez-vous. » Et Dominique de Villepin veut montrer qu'il a tous les jours rendez-vous avec les Français : « Plus on lui charge la barque, plus il est content », se réjouit-on à l'Elysée. « Si on n'avance pas, on tombe » décrypte-t-on à Matignon. « Le miracle, nuance un ministre, c'est que le gouvernement fonctionne dans un contexte sinistré et dans une situation politique hyper-compliquée, un an avant la présidentielle. » Là-dessus, Dominique de Villepin est évidemment intarissable. Les réunions interministérielles sont brèves et tripartites : ministères concernés, représentants de Matignon et ceux de l'Elysée. Les ministres refont leur copie sans avoir le temps de respirer et parfois découvrent la commande après que le Premier ministre en a fait l'annonce. C'est l'an I du villepinisme, autorité et volontarisme en marche ! Dominique de Villepin pense que seuls des résultats, fin 2006, permettront à son camp de surmonter la « malédiction française » qui veut que l'alternance l'emporte sur la continuité, mais que, s'il échoue, la gauche l'emportera et qu'il aura fait tout cela pour rien. Alors il partira vers d'autres aventures, différentes.

La présidentielle, qui ne passionne qu'« un microcosme auquel il n'appartient pas et dont l'opinion s'éloigne », lui serait donc donnée par surcroît. Dominique de Villepin croit détenir sa légitimité de son action et pense que son action finira par asphyxier, jour après jour, son rival Nicolas Sarkozy et rendre impossible le discours de la « rupture » : « Comment peut-on dire qu'on ne pourra faire bouger ce pays qu'en 2007 ?» s'insurge-t-il. L'autre jour, à l'occasion d'une cérémonie de voeux à l'Elysée, le Premier ministre retrouvait son ancien poste d'observation au temps où il disséquait au scalpel les adversaires de Jacques Chirac : « Je crois être un des meilleurs spécialistes du personnel politique français », remarquait-il, rappelant que la psychologie était déterminante dans le combat présidentiel. « Nous en avons remporté deux », s'amusait-il, se remémorant sans doute les conversations de 1994 ou de 2001 où il expliquait semaine après semaine que « les yeux allaient se déssiller », « le voile se déchirer » et que les Français verraient Edouard Balladur et Lionel Jospin tels qu'ils étaient, incapables de gagner une élection présidentielle.

Tandis que ses amis de l'Elysée vantent sa capacité à mener une guerre des nerfs dans la dernière ligne droite - « Le 18 brumaire ne lui fait pas peur » -, Dominique de Villepin pense depuis longtemps que Nicolas Sarkozy ne peut tout simplement pas être président, qu'à force de brûler il se consumera. Avis partagé avec Chirac.

Cet argument n'émeut guère le ministre de l'Intérieur, même s'il ne s'attendait pas à ce que cette météorite-là laboure la route qu'il trace depuis si longtemps. « Je me battrai jusqu'au bout et, si j'échoue, je m'arrêterai », clame-t-il pour clore le débat sur la guerre d'usure qu'on lui promet. Lui non plus n'a pas changé d'avis. Il pense que Dominique de Villepin ne pourra sortir de l'«identification » à Jacques Chirac et qu'elle le tuera - « Il est déjà repris en main », susurre-t-on dans son entourage -, et puis que l'essoreuse Matignon finira de l'achever - « les épreuves arrivent », prédit-on au même endroit.

A part ça, ils déjeunent ensemble et refusent l'escalade nucléaire. On vous dit même qu'ils finiront par s'entendre. A condition que l'autre soit mort ?

ACCROCHAGE AU PALAIS DE JUSTICE

Vendredi, alors qu'il montait dans sa voiture pour se rendre au palais de justice de Paris, Dominique de Villepin eut la désagréable surprise de découvrir à la une du Monde le discours que le Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, était censé prononcer quelques instants plus tard devant lui et les représentants des plus hautes instances dirigeantes du pays. « C'est une maladresse lourde. Une inélégance de la part de M. Canivet, alors qu'on nous explique que cette cérémonie a des us et usages », commentait-on lundi à Matignon.

« J'avais communiqué mon discours dès jeudi au Premier ministre, via son conseiller justice, et je lui avais fait part de la publication de larges extraits dans Le Monde », explique au Point Guy Canivet, « désolé » de cet « incident ». « Je veux bien passer pour tout ce qu'on veut, mais pas pour quelqu'un qui ne connaît pas les usages, s'agace-t-il. Le Premier ministre devrait s'adresser à son conseiller technique. »

Toujours est-il que la confusion était perceptible, vendredi, peu après l'ouverture de l'audience solennelle. Contre toute attente, le Premier ministre prit la parole : « Je ne suis pas très sûr qu'il soit dans les habitudes d'une séance de rentrée qu'un Premier ministre s'exprime, mais je ne suis pas un homme d'habitudes. Nous ne sommes pas dans un temps d'habitudes, mais dans un temps de changement. »

La tradition veut qu'en tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, le chef de l'Etat préside l'audience de rentrée. Mais cette année, en l'absence de Jacques Chirac, Dominique de Villepin était au premier rang.

Après un aparté aigre-doux, Guy Canivet a, à la demande du Premier ministre, autocensuré à l'oral près de la moitié de son discours portant sur l'indépendance du juge et sa liberté de pensée « irréductible ». En réponse aux critiques dont sont l'objet les magistrats, le premier président de la Cour de cassation ajoutait : « Nous ne rendons justice que les mains tremblantes. » Entre-temps, Dominique de Villepin l'avait prié de faire court et de passer aux propositions concrètes

Sources : LE POINT

Posté par Adriana Evangelizt

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article