Prévention de la délinquance façon Sarkozy
Prévention de la délinquance : Sarkozy refait tout sauf la police
par Jacqueline COIGNARD
Son projet de loi prévoit de réformer la justice, l'éducation, le logement, la santé... Mais aucun questionnement sur ses propres troupes.
Un maire tout puissant, des miniprocureurs, une police intouchable, le retour de la loi «anticasseurs», l'appel à la délation... Voilà l'esprit du projet de loi sur la prévention de la délinquance que Nicolas Sarkozy s'apprête à dégainer.
Retravaillé une énième fois (onzième rédaction environ depuis 2003), le texte, mitonné en petit comité, devrait sortir incessamment des tiroirs du ministère de l'Intérieur. Après les émeutes de novembre dans les banlieues, les rédacteurs ont ajouté un court chapitre intitulé : «La réponse pénale aux violences urbaines». Pas l'ombre d'un questionnement sur les rapports entre les institutions notamment la police et les habitants des banlieues. Plutôt un plaidoyer justifiant une renaissance de la loi anticasseurs de 1970 (1). Les «événements récents (...) ont permis de mesurer une fois de plus les limites du principe juridique de la personnalisation de la responsabilité pénale», indique le texte. «L'individu n'est responsable pénalement que de ses propres actes et les enquêteurs devront apporter la preuve des éléments constitutifs de chaque infraction commise, et notamment l'élément matériel», regrettent les rédacteurs. D'où l'idée de «disposer d'outils législatifs» permettant «d'incriminer les instigateurs, les meneurs, mais aussi chacun des participants au regroupement, cause de troubles graves à l'ordre républicain, la responsabilité pénale personnelle découlant de la participation individuelle et volontaire au groupe fauteur de troubles».
Dans tout le reste du texte, on cherche en vain des mesures qui pourraient concerner les troupes du ministère de l'Intérieur. En revanche, celles de tous les autres ministères sont impliquées. Le projet prévoit de réformer la justice, l'éducation nationale, le logement, la famille, la santé... Les auteurs n'hésitent pas à agréger des mesures préconisées dans divers rapports remis à tel ou tel ministère, ou à réclamer... des dispositifs qui existent déjà (il réinvente les centres éducatifs fermés et les jugements à délai rapproché, pour les mineurs notamment). Résultat, cet ensemble hétéroclite ressenmble davantage à un programme du patron de l'UMP en campagne pour 2007 qu'à une ébauche de projet de loi du ministre de l'Intérieur.
Antienne. Alors qu'il déborde largement sur le champ social, le texte réaffirme pourtant, au fil de ses métamorphoses, une critique de «la culture de l'excuse sociale et économique» pour insister au contraire sur «l'intégration des normes» et «la perception des interdits». En préambule, on retrouve toujours la même antienne : «Cette confusion constatée entre prévention et politique sociale est à l'origine du développement d'une culture de l'excuse sociale ou économique au comportement du délinquant, qui conduit souvent les professionnels, dont la générosité n'est pas à mettre en doute, à des formes de découragement.»
Le maire reste aussi le personnage clé, d'une rédaction à l'autre. Lors du premier passage de Sarkozy à l'Intérieur, c'était déjà le leitmotiv : il faut un pilote dans l'avion de la prévention et ça ne peut être que le maire. Cette fois, il n'est plus classé dans les «élus», mais dans les «professionnels» de la prévention de la délinquance. Est toujours question dans ce projet du très contesté «partage de l'information» sur les personnes qui bénéficient de mesures sociales ou qui ont maille à partir avec la justice. «Les actions menées en direction de personnes susceptibles d'être victimes ou auteurs d'infractions se trouvent aujourd'hui largement entravées par des difficultés de coordination entre les multiples professions appelées à intervenir», martèle le texte.
En mars 2004, cette idée avait fait descendre dans la rue les représentants de ces diverses professions : médecins des centres de protection maternelle et infantile (PMI), infirmières scolaires, assistantes sociales, éducateurs spécialisés, magistrats... Ils manifestaient leur volonté de refuser cette culture de la délation, en foulant au pied leur déontologie professionnelle. Et soulignaient les dangers de cette politique de stigmatisation des personnes en difficulté, désignées comme une charge, et rangées dans la catégorie de délinquants potentiels n'ayant pas droit au respect de leur vie privée.
Le texte prétend éviter l'écueil en affirmant : «les acteurs concernés ne seront habilités à se communiquer entre eux que les renseignements nécessaires à l'accomplissement de leurs missions, c'est-à-dire dans l'intérêt de la personne qui en bénéficie». Et le maire ne serait plus le centralisateur direct de toutes ces informations. Un personnage intermédiaire servirait de tampon : le coordinateur responsable du partage de l'information. Lequel serait nommé par... le maire.
Tapage. Autre innovation majeure : dans le cadre de la lutte contre les «incivilités», le délégué du procureur (généralement un ancien policier désigné par le parquet) pourrait s'autosaisir de certaines infractions (les contraventions de quatrième classe comme les troubles de voisinage, tapages, menaces, insultes, violences légères...), sans attendre d'en être chargé par le procureur. Et le maire pourrait également saisir le délégué du procureur dans le même genre de cas. Même si le dispositif est limité à des infractions légères, il constituerait une rupture importante. Jusque-là, le maire n'a aucun pouvoir d'injonction sur les services de l'Etat (police, justice, éducation nationale). Cette capacité de saisir le délégué du procureur lui donnerait une prise sur les services du parquet. Dans sa maison de la justice et du droit, le délégué deviendrait ainsi un mini-procureur susceptible d'infliger directement des rappels à la loi, des mesures de réparation ou de médiations pénales. «Il s'agit, lorsque les mécanismes naturels de régulation sociale sont défaillants, de permettre la prise de conscience, par l'auteur d'une incivilité, de sa faute et de l'existence d'une réponse sociale moralement ou matériellement significative», indique le texte.
(1) Cette loi, votée en 1970, édictait une responsabilité collective lors de manifestations et a été abrogée en 1981.
Sources : LIBERATION
Posté par Adriana Evangelizt