Villepin ne voulait pas que Sarkozy soit au courant

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Gergorin : Villepin ne voulait pas que Sarkozy  "soit au courant"

par Grégoire Biseau, Karl Laske et Renaud Lecadre


Mercredi, Libération a rencontré longuement Jean-Louis Gergorin, l'ex vice-président d'EADS, suspendu de ses fonctions. Il livre sa vérité sur l'affaire.

Je ne suis pas le corbeau de Clearstream. Un corbeau, c'est quelqu'un qui envoie anonymement des informations. Moi, j'ai accumulé des éléments qui m'ont convaincu de la très forte probabilité de l'existence d'un réseau financier sophistiqué. Je suis allé en parler au général Philippe Rondot, à Dominique de Villepin, puis au juge Renaud Van Ruymbeke. Sans cagoule.

Mon enquête personnelle: fin 2002
Je reçois de plusieurs sources, dans la communauté française du renseignement, des informations sur une sorte de réseau, autour d'un financier suisse en relation avec des oligarques russes. Ils s'intéressent à deux filiales d'EADS, concurrentes de sociétés russe et ukrainienne. J'apprend qu'ils ont filmé Arnaud Lagardère et sa femme faisant leurs courses, afin de vérifier s'ils payaient avec leur carte bleue personnelle. On s'intéresse à Arnaud avant même le décès de son père, Jean-Luc Lagardère, en mars 2003. Curieux. Mais ce n'était pas politiquement correct, pour l'image du groupe, de se poser des questions sur son décès. On m'a demandé de ne plus en parler.

Ma source: juillet 2003
Pour la pénétration de Clearstream, j'ai bénéficié d'une source. Elle a employé un moyen illégal: la source a réussi à hacker le système informatique. L'important, ce ne sont pas les annuaires de comptes, mais des fiches de transactions ponctuelles, qui mentionnent parfois son bénéficiaire. Ca arrange tout le monde de démentir et d'affirmer que Gergorin est tombé dans le panneau d'un escroc au renseignement, qu'il n'y a jamais eu de pénétration informatique: cela voudrait dire que l'Etat français a couvert la pénétration d'une chambre de compensation internationale. Quoi qu'on pense de ses informations, qu'elles soient vraies ou fausses, la vie de cette source est en danger. Même si on me colle en taule, je ne donnerai jamais son identité. Ce que me donne la source, c'est une liste de 60 à 70 noms avec des numéros de compte. On y trouve des hommes d'affaires étrangers, quelques mafieux, trois industriels français (ndlr: Gomez et Martinez pour Thales, Delmas pour EADS). Mais aussi trois politiques et seulement trois: Dominique Strauss-Kahn, Jean-Pierre Chevènement et Alain Madelin. (La justice a démenti que ces personnalités détiennent ces comptes, NDLR). C'est un mélange d'aspects extrêmement crédibles et d'éléments surprenants: deux charmantes demoiselles, Alizée et Laetitia Casta. Cette liste m'éloigne du système initial.

Mon enquête avec Rondot: octobre 2003
A l'automne 2003, j'ai recueilli assez d'éléments pour estimer que cela mérite vérification. Cela ne peut se faire par une autorité classique, mais par une autorité neutre, le ministère de la Défense, car il y a des noms de politiques et je ne veux pas politiser l'affaire. Je vais voir le général Rondot, qui a été mon collaborateur au Quai d'Orsay. Il agit seul et rend toujours compte aux autorités. Je lui propose de procéder à un contre-hacking. Mais cela n'a jamais été envisagé. Il y avait une grande incompréhension méthodologique entre Rondot et moi: il veut tout faire tout seul, alors que j'espérais d¹importants moyens techniques. Il n'avait aucune chance d'aboutir. Rondot ne va pas partir du tout dans la direction que j'attendais. Il fait des vérifications humaines auprès de gens qu'il connaît. Ou bien il tente d'envoyer un virement depuis un automate, alors que le numéro de compte Clearstream ne peut pas être fonctionnel vis à vis de l'extérieur. Je suis frustré. Rondot est une gigantesque erreur de casting.

Dominique de Villepin en renfort: janvier 2004
J'ai pensé améliorer l¹enquête en alertant Dominique de Villepin. J'évoque cette affaire auprès de lui au tout début 2004. Le 9 janvier au Quai d'Orsay, en présence du général Rondot, on a parlé de Nicolas Sarkozy, peut-être pas de façon dithyrambique, mais pas en terme de «compte Clearstream». Je crois que c'est comme pour Patrick Ollier: personne n'a dit qu'il avait un compte. Bien que le carnet de Rondot le mentionne, le «compte couplé Bocsa» n'est pas apparu à ce moment là. Je n'en ai entendu parler que fin mars. Ce qui a été immédiatement interprété comme étant le nom de son père. Et le nom de Bocsa n'apparait sur aucune fiche de transaction. Le 9 janvier, j'ai aussi parlé de mettre la DST sur le coup. Villepin a répliqué: «Certainement pas, Sarkozy va être au courant.» Il dit aussi qu'il débloquera tous les moyens pour vérifier. Il ne se passera rien. Rondot ne me dit pas: «C'est pourri», mais: «P'tête bien qu'oui, ou p'tête bien qu'non».
Jusqu'en avril 2004, ma conviction est que la probabilité que tout soit faux est infinitésimale. La source produit alors un annuaire de 33.000 comptes, dont un paquet de gens du groupe Lagardère. La, on peut se poser des questions sur les risques de manipulation. Quand la source a commencé à être vraiment performante avec les comptes Clearstream, la DGSE a pris peur. Je comprends que l'on ne fera jamais les vérifications qui s'imposent. Ma frustration me pousse à contacter Renaud Van Ruymbeke.

Renaud Van Ruymbeke, ultime tentative: avril 2004
J¹ai initié l'enquête de Rondot, je suis l'initiateur de celle de Van Ruymbeke. Je l'ai rencontré trois fois, chez l'avocat Thibault de Montbrial, à une semaine d'intervalle. Pas pour lui proposer de lui déposer une lettre anonyme, mais pour des séances de "brainstorming" sur le système Clearstream. Je lui ai indiqué que c'était une opération dérivée d'une pénétration. Van Ruymbeke m'a proposé de déposer devant lui. J'ai refusé. Non pas parce que j'étais «terrorisé»: Je lui ai seulement dit que le fils du général Imbot (mort après tombé d'une fenêtre durant son enquête sur les frégates de Taïwan, NDLR) ne s'était pas pris pour Icare. Je n'ai pas parlé de Rondot à Van Ruymbeke. Par contre, je ne pouvais pas ne pas en informer Rondot, et il a en a rendu compte à très haut niveau. J'ai très vite eu le sentiment que c'était une connerie d'aller voir Van Ruymbeke. Ses commissions rogatoires internationales visaient les numéros qui étaient des références internes à la banque. Il n'y avait aucune chance.

Retour à mon enquête: juillet 2004
J'ai téléchargé le manuel utilisateur de Clearstream, qui n'est plus disponible sur Internet. Les banques ne sont qu¹une clé d'entrée pour ouvrir un compte individuel chez Clearstream: de jure, c'est un sous-compte bancaire; de facto, c'est un compte individuel. Avec quelques millions d'euros, vous pouvez demander l'ouverture d¹un compte. Il y a des codes d'accès pour que le client dispose d¹un accès direct à Clearstream, sans passer par sa banque. Mais la banque ne donne pas à Clearstream le numéro de ce compte client, seulement le code de transfert. Puis le reporting du transfert de fonds est envoyé à la banque, mais pas à Clearstream. L'ensemble des transactions est alors consolidé au niveau du compte général de la banque. Il n'y a plus de trace de mouvements ponctuels.

Lisez la suite demain dans Libération.

Sources : LIBERATION

Posté par Adriana  Evangelizt

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