La réforme inachevée des retraites

Publié le par Adriana EVANGELIZT

La réforme inachevée des retraites

par Nathalie BIRCHEIM


Trois ans après la promulgation de la loi Fillon du 21 août 2003, on sait déjà que la réforme ne suffira pas à financer les retraites à l'horizon 2020. Prévu par la loi, le bilan de 2008 pourrait donner lieu à une nouvelle réforme

Ce n’est pas un zélateur de la réforme du modèle social français qui le dit, mais Jean-Christophe Le Duigou, le spécialiste retraite de la CGT : « En 2008, le réveil risque d’être douloureux car, malgré la potion amère de 2003, les problèmes de financement des retraites sont loin d’être résolus. »

En 2008 en effet, la loi Fillon du 21 août 2003 prévoit ce qu’il est désormais coutume d’appeler une « clause de revoyure », pour faire le bilan de l’efficacité de la réforme et envisager, le cas échéant, de nouvelles dispositions. Désormais, alors que la quasi-totalité des mesures décidées par la réforme Fillon (1) sont entrées en vigueur, on sait déjà qu’elles ne suffiront pas à équilibrer les comptes.

Petit retour en arrière. En 2003, un constat implacable s’impose à tous : alors qu’on comptait alors quatre personnes de plus de 60 ans pour dix personnes d’âge actif, en 2040 ce rapport doit grimper à sept pour dix. Corollaire : la masse des pensions de retraite à financer va augmenter beaucoup plus vite que celle des cotisations payées par les actifs. D’où un déficit prévisible dès 2010 pour le régime des salariés du privé et dès 2005 pour les fonctionnaires.

Pour retrouver l’équilibre financier du système par répartition, le législateur a fait le choix d’allonger la durée de cotisation à 40 ans pour tous en 2008, excepté les assurés des régimes spéciaux non concernés par la réforme, puis à 41 ans en 2012. Cela ne suffira qu’à éponger une partie des besoins.

Trois ans après, les chiffres publiés en mars dernier par le Conseil d’orientation des retraites (COR) précisent cette préoccupante perspective. Pour le régime général, la réforme aura permis, comme c’était l’objectif, d’économiser 5 milliards d’euros ; mais il reste 4 milliards à trouver.

Pour la fonction publique et hospitalière, les mesures Fillon ont dégagé 12 milliards d’économie, mais 18 milliards sont toujours non financés. Bref, si l’on additionne tous les régimes (salariés du privé, indépendants, artisans, agriculteurs…), il subsiste un « besoin de financement » de 18 milliards d’euros à l’horizon 2020 et de 112 milliards à l’horizon 2050 !

Les "quinquas" semblent pressés de prendre leur retraite

Et encore ce scénario se fonde-t-il sur l’hypothèse – extrêmement optimiste – d’un taux de chômage ramené à 4,5 % en 2015. Ainsi, avec un chômage à 9 %, il faudrait consacrer un point de PIB supplémentaire au financement des retraites en 2050. Un tel niveau de chômage ruinerait également les espoirs de «nouvelles ressources» qui découleraient d’une augmentation des cotisations vieillesse à mesure que la santé de l’emploi et donc la diminution des besoins de l’Unédic permettraient une baisse des cotisations chômage.

Autant dire que l’on ne pourra pas faire l’économie de décisions douloureuses à l’occasion du rendez-vous de 2008. D’autant que les comptes se dégradent plus vite que prévu. « En 2006, on devrait atteindre 2,4 milliards d’euros de déficit pour le régime général, puis dépasser les 3 milliards en 2007, » détaille Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (Cnav).

Le plus inquiétant n’est cependant pas dans ce nouveau bilan comptable, mais dans ses causes. En effet, alors que la philosophie de la réforme Fillon repose sur le pari que les gens vont travailler plus longtemps, tout se passe au contraire comme si les quinquagénaires cherchaient à partir à la retraite le plus vite possible.

En témoigne l’énorme succès du dispositif des départs anticipés pour carrières longues, créé par la loi Fillon pour permettre aux salariés ayant commencé à travailler tôt de partir avant 60 ans sans pénalité (lire les Repères), qui a concerné 16,2 % des départs en 2004 et 14,8 % en 2005. De même, le relatif succès des rachats de trimestres (2 227 rachats en 2004, 4 200 en 2005), malgré le caractère très onéreux de l’opération (le rachat moyen est de 26 013 €) comme, à l’inverse, la faible utilisation de la surcote (1,58 % des liquidations en 2004, 5,4 % en 2005), qui permet de majorer une pension en acceptant de travailler plus longtemps, militent pour la même conclusion.

« Alors qu’auparavant les salariés n’étaient pas à deux mois près pour liquider leur retraite, désormais ils veulent partir dès que possible. Ils savent qu’avec les réformes de 1993, de 2003 et les mesures à attendre en 2008, chaque année qui passe dégrade leurs conditions de liquidation », résume Danièle Karniewicz.

Or le Conseil d’orientation des retraites a bien prévenu dans son rapport de mars : « Le relèvement du taux d’emploi des seniors (NDLR : qui plafonne en France à 37 % pour les 55-64 ans) est un élément essentiel » de la réussite de la réforme Fillon.

Une première étape vers davantage de capiatalisation ?

Pour stopper l’hémorragie, le gouvernement a donc décidé au printemps dernier d’augmenter la surcote dès 2007. Mais le ministre délégué à la Sécurité sociale, Philippe Bas, ré- fléchit à une nouvelle piste : il s’agirait de dispenser des durcissements à attendre en 2008 les personnes ayant 60 ans en 2007 ou 2008 qui choisiraient de prolonger leur activité.

Le gouvernement doit redresser la barre, s’il veut laisser dans la boîte à outils de 2008 la possibilité de jouer à nouveau sur l’allongement de la durée de cotisation. Restent ensuite deux variables sur lesquelles les ajustements peuvent également jouer : l’augmentation des cotisations et la baisse du niveau des pensions.

Tous les syndicats sont vent debout contre cette dernière éventualité qui, résume Jean-Louis Deroussen, chargé des retraites à la CFTC, « n’est pas acceptable alors que beaucoup de salariés ont déjà une retraite inférieure au smic ». De fait, 4,7 % des retraités (tous régimes confondus) touchent le minimum vieillesse, rappelle Danièle Karniewicz, qui ajoute que « le taux de remplacement entre le dernier salaire et la pension est tombé à 70 % : on ne peut guère descendre plus bas ».

Pour le cégétiste Jean-Christophe Le Duigou, la marge de manœuvre réside plutôt dans les cotisations retraite : « Elles n’ont pas augmenté depuis dix ans (NDLR : mis à part un petit relèvement de 0,2 % sur la part salariale en janvier dernier), il faut qu’elles reviennent dans le débat. » Simple augmentation du taux, élargissement de l’assiette à d’autres rémunérations que les salaires, les pistes sont nombreuses. Mais elles se heurtent toutes à un refus de la part du patronat. Comme en 2003.

Celui-ci pourrait d’ailleurs à nouveau pousser une autre piste : le développement de l’épargne retraite individuelle. En créant le plan d’épargne retraite populaire (Perp, 1,3 million d’euros d’encours fin 2005), et le plan d’épargne retraite collectif (Perco, 300 millions d’euros à la même date), la loi Fillon a introduit une petite dose de capitalisation dans le système par répartition. Une première étape ?

Nathalie BIRCHEIM

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Les principales mesures de la loi Fillon

Des clauses de revoyure : la loi précise qu’« avant le 1er janvier 2008 », le gouvernement élabore un rapport pour tirer le bilan de la réforme. Un rendez-vous similaire est prévu en 2012 et 2016.

Une durée de cotisations allongée : l’âge légal de la retraite reste à 60 ans, mais la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier du taux plein passe à quarante ans en 2008 pour les fonctionnaires, comme elle l’est déjà pour les salariés du privé. À partir de 2009, elle est à nouveau majorée pour tous d’un trimestre par an pour atteindre quarante et un ans en 2012, sauf si, au vu du bilan de 2008, « un décret ajuste le calendrier de mise en œuvre de cette majoration ».

Des incitations à la prolongation d’activité : le cumul emploi-retraite est facilité. Un système de décote et surcote encourage les actifs de plus de 60 ans ayant suffisamment cotisé à prolonger leur activité en majorant leur pension de 3 % par année supplémentaire.

Des départs anticipés autorisés : les salariés ayant commencé à travailler à 14, 15 et 16 ans et cotisé au moins quarante ans sont autorisés à partir avant 60 ans sans pénalité. Par ailleurs, depuis juillet, tout assuré a le droit de racheter des trimestres d’année cotisée de façon incomplète ou d’année d’études pour avancer son âge de départ (mais pas en deçà de 60 ans) ou majorer sa pension.

Un filet de sécurité amélioré pour les smicards : un salarié ayant cotisé toute sa vie au smic ne pourra pas toucher une pension inférieure à 85 % du smic net.

Une meilleure information : les régimes sont tenus d’adresser tous les cinq ans un relevé de situation individuelle à chaque assuré, à commencer par les plus de 50 ans dès 2007. Depuis juin, un simulateur sur Internet permet à chacun d’estimer sa pension.

La création de produits de retraite par capitalisation : l’épargne retraite individuelle est encouragée avec la création de deux produits de placement destinés à la retraite (Perp et Perco) et bénéficiant d’avantages fiscaux.

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Le cas des régimes spéciaux

Épargnés par la réforme de 2003, les salariés des régimes dits spéciaux (SNCF, RATP, Banque de France…) pourraient être au centre des débats de 2008. Car des nouvelles normes comptables font obligation à ces entreprises de provisionner leurs futures dépenses de retraite, dans leurs bilans dès la fin 2007.

La plupart ne peuvent pas l’envisager sans faire exploser leurs comptes : d’où l’idée d’adosser d’ici là leur caisse au régime général en échange du paiement d’une soulte, correspondant au surcoût des avantages conservés à ces salariés, comme une durée de cotisation de 37,5 ans par exemple.

Or, si EDF et GDF ont déjà payé la somme nécessaire, la plupart des autres entreprises concernées n’ont pas les moyens et c’est l’État qui devra payer, donc le contribuable. Celui-ci acceptera-t-il de financer par l’impôt les avantages de régimes non réformés, quand lui-même pourrait voir ses conditions de retraite à nouveau durcies en 2008 ?

Sources : LA CROIX

Publié dans REFORME DE L'ETAT

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