L'heure de vérité

Publié le par Adriana EVANGELIZT

L'heure de vérité

par Claude Imbert

 

Le tourniquet des candidats à la présidentielle nous écarte de l'essentiel : qu'attend donc le peuple de cette élection ? L'opinion mûrit. Elle médite ce qui pourrit au royaume de France. Notre « non » référendaire à l'Europe, le « non » des instances olympiques à Paris, les émeutes de banlieue, le chômage de masse, le scandale d'Outreau, le désastre scolaire, la dégradation civique, la défonce des dépenses sociales, et surtout l'impuissance réformatrice d'un pays qui ne vit que trop à crédit, toute cette cascade de revers commence de faire réfléchir.

Alors, il s'établit en France ce sentiment étrange que la France va plus mal que les Français. Que l'optimisme individuel des citoyens quant à leur propre sort - optimisme toujours majoritaire - cohabite désormais avec un pessimisme collectif impressionnant. Les Français accordent de moins en moins leur confiance à des dirigeants logés, pensent-ils, sur une autre planète. Ils sentent ces dirigeants résignés au déclassement d'une France marginalisée par la mondialisation, par son chômage de masse, confite dans la précaution. Une France au passé désenchanté, désormais accablée jusqu'à l'absurde par des culpabilités historiques. Et perdant, sous ces avanies diverses, le cap de l'espérance collective.

On pressent dans le pays une rumination souterraine dont la présidentielle serait le national exutoire. Comment ? Pour qui ? Par qui ? On l'ignore encore. Mais toutes les lignes bougent.

Le désarroi idéologique, sans abolir les territoires séculaires de la droite et de la gauche, efface maintes frontières, ébranlera d'anciennes allégeances. La gauche socialiste patine de n'être ni gauchiste ni sociale-démocrate. Et la droite de gouvernement de n'être ni gaulliste ni libérale. Ajoutée à l'abstention pure et simple, la désaffection des électeurs pour ces deux machineries de pouvoir réduit dangereusement la participation républicaine : toute une France baguenaude dans les terrains vagues de la démocratie.

De fait, les deux extrêmes - de droite et de gauche - confisquent et rejettent, hors du jeu de pouvoir, une part notable de l'électorat : 30 % au premier tour de la dernière élection présidentielle... Funestes échappées des extrêmes qui, pour comble, s'agglutinent dans des aversions dangereuses pour les valeurs démocratiques et libérales du camp occidental !

A ces égarements le pays officiel ajoute son divorce d'avec la vérité. Le pouvoir maquille depuis des lustres la situation réelle de la Nation, comme les devoirs qu'on lui doit, occulte le glissement de son statut international et, surtout, la perspective d'un avenir défoncé par les facilités de l'immédiat « toujours plus ». Depuis combien de temps, sous Mitterrand comme sous Chirac, règne ce théorème : « la vérité ne paie jamais politiquement » ? Depuis combien de temps exhibe-t-on la défaveur électorale d'un Mendès, d'un Barre, d'un Rocard pour expliquer qu'en France on n'est jamais élu que dans la comédie et la défausse ? Et qu'un de Gaulle ne se leva (en 1940 comme en 1958) que sur un champ de décombres.

Un pays théoriquement démocratique s'empoisonne lentement lorsque le mensonge devient un instrument machiavélien de pouvoir toléré par le cynisme populaire. Or la vérité, chez nous, ne sort du puits qu'en cachette. Sa nudité fait scandale. Elle est « provocante ».

Voyez plutôt ! Fillon puis Sarkozy osent-ils évoquer la réforme des régimes spéciaux de retraite, dont plusieurs ne s'enkystent que sous le chantage à la grève de leurs détenteurs, alors quel tollé ! Aussitôt, la gauche dénonce la « brutalité » de cette évidence. Mais jusque dans la droite clapote de même un grenouillis de tartufes effrayés par l'« imprudence » électorale de la vérité. Il est vrai que, dans le marigot démagogue, toute vérité est un pavé. Toute vérité est une « rupture ».

Qu'ensuite Sarkozy critique la tranquille impunité de sauvageons multirécidivistes, et c'est à nouveau, dans le sérail des caciques, tintamarre et cris d'orfraie ! Toute la France sait pourtant, depuis les préfets jusqu'aux parlotes de tous les foyers, que la multirécidive est une plaie qui bâillonne les témoins et terrorise des quartiers entiers. Et qu'il faut sans doute de plus en plus amples moyens légaux et matériels à une Justice débordée. Mais dans quelle bulle le pouvoir s'enferme-t-il pour ne voir que « populisme » dans l'énoncé des évidences publiques ? Est-il concevable qu'une nation prêchant à tout vent la démocratie en donne un si piètre exemple ?

Avant l'élection, il restera bien des vérités à exhiber : qu'il faudra réduire les dépenses publiques, retarder l'âge de la retraite, desserrer le carcan des 35 heures, et j'en passe... Peut-on les cacher ? Autrement dit : le peuple français est-il enfin mûr pour son heure de vérité ? Qui sait ?

Sources : Le Point

Posté par Adriana Evangelizt

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