Royal/Sarkozy : révélateurs du divorce entre le peuple et l'idéologie dominante

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Royal/Sarkozy : révélateurs du divorce entre le peuple

et l’idéologie dominante

 



Dans la théorie originelle de la Ve République, l’élection présidentielle, clé de voûte des institutions, est la rencontre d’un homme et d’un peuple. Dans la pratique actuelle, le choix du peuple ne peut s’exercer qu’après un premier tri des postulants par les médias. La monarchie élective est devenue une monarchie médiatique, aujourd’hui fragilisée par le divorce croissant entre le peuple et l’idéologie dominante telle qu’elle est notamment véhiculée et imposée par les médias.

Explications :

1. Etre un bon « produit médiatique »

Pour avoir une chance d’être dans le peloton de tête du premier tour de l’élection présidentielle – et à fortiori d’être en position de gagner le second – un candidat doit d’abord être un bon produit médiatique. Et pour cela ne pas hésiter, selon l’amusante formule de Nicolas Dupont-Aignan, à « choisir la cause du “people” plutôt que la cause du peuple ». Commercialement, il faut attirer les caméras et faire vendre par le sens de l’anecdote, de l’image, de la mise en scène ; dans le même temps, il faut être média-compatible sur le plan idéologique et respecter les préjugés dominants de l’époque.

2. Les médias ne sont pas neutres

Car les médias ne sont pas neutres : ils ne peuvent l’être ni en raison de ceux qui les détiennent, ni en raison de ceux qui les font. Ils sont engagés. Les propriétaires de groupes de presse et leurs hommes d’influence – Bouygues, Lagardère, Pinault, Minc, Rothschild, Dassault, Bébéar – sont puissamment impliqués dans le jeu de la mondialisation. Ils appartiennent à ce que Huntington appelle « la superclasse mondiale » dans « Qui sommes nous ? », http://www.polemia.com/contenu.php?iddoc=1043&cat_id=34

Cette « superclasse mondiale », les « oligarques à la française » en partagent le mode de vie et l’idéologie favorable à la globalisation financière et à l’ouverture la plus complète des frontières à la libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes.

Ceux qui font les journaux et les télévisions ne sont pas neutres non plus : un sondage auprès des 30 000 journalistes français, paru dans l’hebdomadaire « Marianne » en avril 2001, révélait que seuls 6 % d’entre eux « votaient à droite ». Très majoritairement de gauche, la classe journalistique inscrit logiquement ses analyses dans la rupture de la tradition et la défense du cosmopolitisme et de l’égalitarisme.

3. L’idéologie médiatique : mondialisation/redistribution/culpabilisation

L’idéologie médiatique est la résultante de cette collaboration du capital et du travail dans les salles de rédaction autour de trois thématiques :

  1. les bienfaits de la mondialisation ;
  2. la nécessaire redistribution égalitaire de l’Etat providence ;
  3. la culpabilisation des identités charnelles, la répression des « phobies » (xénophobie, homophobie, islamophobie), « la lutte contre les discriminations ».

Ainsi, contrairement à ce qui est souvent affirmé, mensongèrement, nous ne vivons pas à l’ère de la fin des idéologies ; bien au contraire, nous sommes saturés d’une idéologie unique qui s’articule autour de trois concepts clés : mondialisation/redistribution/culpabilisation. Cette idéologie unique s’impose par un mélange de marginalisation et de répression des mal-pensants et d’ahurissement médiatique.

4. La majorité de l’opinion souffre de l’idéologie dominante

Le couplage économico-social de la mondialisation des échanges et de la redistribution des revenus a un effet direct sur le partage de la richesse. Certains en sont bénéficiaires :

  1. la superclasse mondiale dont les revenus croissent beaucoup plus vite que ceux des autres catégories sociales ;
  2. les rentiers sociaux qui bénéficient des dispositifs créés pour réparer, tempérer ou compenser les évolutions ultra-rapides de l’économie liées à la mondialisation et dont le nombre croît d’autant plus que certains s’installent dans l’assistance ;
  3. les rentiers financiers tirant profit d’une période où le pouvoir relatif des actionnaires dans l’entreprise s’est considérablement accru à travers les fonds de pension.

A contrario, les producteurs, c'est-à-dire les actifs adultes, voient leurs revenus stagner et leurs impôts croître ; et ce, pendant que l’évolution rapide de l’économie multiplie les « coûts de frictions » (changements d’emploi, changements de lieu d’habitation) qui leur sont imposés et qui pèsent souvent sur l’équilibre de leur vie personnelle et familiale.

Il y a là un élément d’insécurité sociale qui vient s’ajouter au développement de l’insécurité tout court, produit d’une société à la fois multiraciale et multiconflictuelle. Au moment même où les bouleversements rapides de la composition de la population, dus à une immigration plus souvent subie que choisie, peuvent donner aux Français d’origine européenne et chrétienne le sentiment d’une mise en cause progressive de leur identité.

Or ces catégories économiques et sociologiques, qui peuvent légitimement déplorer les effets négatifs de l’idéologie dominante sur leur situation financière personnelle, leur tranquillité, leur environnement, leur mode de vie et leurs référents culturels, sont encore très largement majoritaires dans la société française, à la fois par le nombre et par la participation à la production de richesse.

5. Le grand écart des hommes politiques

Toute la difficulté des hommes politiques se trouve ainsi résumée : porter devant l’opinion une idéologie dominante dont un nombre croissant de Français perçoit de plus en plus, malgré le contrôle des médias sur les esprits, le caractère néfaste.

C’est toute la difficulté d’un Dominique Strauss-Kahn. Volontiers présenté par l’établissement parisien comme ayant « la carrure d’un homme d’Etat », DSK, en parlant de « mondialisation heureuse », a obtenu un passeport de bien-pensance mais souscrit un visa pour la défaite soit devant le parti socialiste, soit devant les Français : car s’il devait être choisi comme candidat par le PS, il pourrait le ramener aux alentours de 10 %, tant est grand l’écart entre l’idéologie qu’il véhicule et les réalités de la société française.

A contrario, comment séduire l’opinion sans être accusé de populisme et sans risquer la diabolisation, comme en ont fait l’expérience Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret et, à un moindre degré, Philippe de Villiers ou José Bové ? C’est toute la difficulté de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy, qui s’opposent l’un à l’autre tout en ayant des démarches finalement très comparables : inscrire leur action dans le cadre de l’idéologie dominante tout en proférant une parole aux limites du politiquement correct.

6. Effets d’annonce, effets de censure, effets de décalage

Travaillant à partir d’enquêtes qualitatives d’opinion et de sondages, ne négligeant pas les informations qui remontent via les blogs, les deux favoris provisoires de l’élection présidentielle tentent de se maintenir au cœur des préoccupations des citoyens en jouant des effets d’annonce et de décalage.

Alors que les juges sont, aux yeux de l’opinion, suspects d’adhérer à une idéologie laxiste, Nicolas Sarkozy propose d’étendre le rôle des jurés populaires. Alors que « représenter c’est trahir » et que les élus se plient souvent aux effets de la tyrannie médiatique, Ségolène Royal propose de les placer sous le contrôle de jurys populaires tirés au sort. Système jugé choquant, bien qu’il fût pratiqué par les démocraties de l’Antiquité.

Dans un autre domaine, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont bousculé une autre vache sacrée : la carte scolaire. En prenant position sur sa suppression, ils ont pris acte qu’en dehors de la superstructure idéologique de l’éducation nationale, plus personne ne croyait plus à l’efficacité ni à la légitimité de cet instrument de rationnement de l’offre éducative.

Plus profondément, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont compris la nécessité de se poser comme des « hommes nouveaux » en « rupture » avec le système classique. Exercice évidemment difficile pour des gens qui ont été constamment parlementaires ou ministres depuis plus de vingt ans : le premier, notamment, au gouvernement du président Chirac depuis cinq ans ; la seconde, qui sollicite l’investiture du parti socialiste.

On approche ici un problème aussi difficile à résoudre que la quadrature du cercle : Ségolène Royal a ici un avantage décisif , sa féminité ; son approche féminine – voire maternelle – des problèmes peut apparaître comme une réelle nouveauté. Il est toutefois permis de douter que ces postures puissent déboucher sur un réel changement, comme le démontre admirablement bien Didier Lefranc dans son analyse sur « Impuissance ou ruptures ? » http://www.polemia.com/contenu.php?iddoc=1346&cat_id=22 : il n’y a pas d’impuissance du politique, il y a la tyrannie du politiquement correct ; il ne peut y avoir de véritable rupture que s’il y a rupture avec l’idéologie dominante, remise en cause du statu quo politique et social de la fin du XXe siècle.

La France n’y est sans doute pas encore prête.

7. Le rôle d’Internet dans la campagne présidentielle

Toutefois, dans l’équilibre des forces qui façonnent l’opinion, il y a un phénomène nouveau : Internet, qui n’est pas contrôlé par l’idéologie dominante.

Ainsi Internet a déjà changé, en 2005, le résultat du référendum sur la Constitution européenne en permettant aux partisans du Non de faire valoir leurs arguments, souvent de manière intellectuellement charpentée, en tout cas convaincante. Certes, l’élection présidentielle est radicalement différente d’une élection référendaire, l’électeur ne s’y prononce pas sur un texte mais sur un homme ; il choisit moins des idées que des images. Pour autant, Internet commence à peser sur l’élection présidentielle, ne serait-ce que par les blogs qui font remonter à la surface les préoccupations profondes de l’opinion.

Jean-Marie Le Pen a connu ses premiers succès en affirmant qu’ « il disait tout haut ce que les Français pensaient tout bas » ; il est aujourd’hui permis de se demander si bien des blogueurs de http://www.desirsdavenir.org/, le site de Ségolène Royal, n’écrivent pas tout haut ce que leur candidate pense tout bas et parfois même reprend… un peu fort.

Internet est aussi l’une des causes de l’émergence de la notion, encore floue, de « démocratie participative ».

Mais d’autres usages d’Internet sont possibles au cours de la campagne à venir. Jusqu’ici les grands médias avaient le monopole de la critique des candidats, voire de leur destruction/diabolisation par la juxtaposition d’images négatives. Mais la généralisation des courtes vidéos diffusées directement sur Internet, de poste à poste, démocratise ce procédé. Déjà durant la campagne référendaire un court petit film juxtaposant les déclarations sur l’Europe de Jacques Chirac en 1979, à l’époque de l’Appel de Cochin, et en 2005 appelant à la ratification de la Constitution européenne avait produit un effet destructeur pour le Oui.

Aujourd’hui, en se surexposant médiatiquement, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy font la course en tête dans les sondages mais ils risquent un effet boomerang si tel ou tel de leurs adversaires réalise un montage spectaculaire ou comique de leurs effets d’annonce successifs. Il est vrai que tous les candidats sont vulnérables à ce type d’attaques qui n’étaient réservées jusqu’ici sur les radios et les télévisions qu’aux hommes politiquement incorrects.
 
Là aussi c’est un effet du pouvoir égalisateur d’Internet : il ne suffira pas d’être le chouchou des grands médias pour être le vainqueur de la prochaine élection présidentielle !

Sources Polemia

Posté par Adriana Evangelizt

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