Avnery : Massacres sans fin

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Pour ceux qui l'ignoreraient Uri Avnery de son nom de naissance Helmut Ostermann est un écrivain et journaliste israélien né le 10 septembre 1923 à Beckum (Westphalie, Allemagne). Surtout connu pour être un militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu, il appartient à une tendance de la gauche israélienne. Co-fondateur de Gush Shalom. Il serait bon que la doxa Occidentale sache faire la différence entre Juifs et sionistes. En précisant que Uri fut sioniste tout comme Avraham Burg qui lui aussi en est revenu et qui écrit dans "Vaincre Hitler" en parlant du sionisme : « Dans sa définition actuelle, je ne partage plus cette foi. Pour moi, l'Etat d'Israël ne peut être qu'un moyen, pas une fin, car il est indifférent aux aspirations spirituelles et mystiques exprimées par la religion juive ». Les choses sont claires, nous semble-t-il et l'amalgame qu'en font les Occidentaux qui cautionnent la politique sioniste au détriment de l'idéal juif universaliste ne peut plus continuer. Car ce qui se passe au Moyen-Orient nous mène tout droit vers le mur et vers une guerre mondiale.

 


Avnery : Massacres sans fin

Par Uri Avnery, Gush Shalom

 

 

 

« Le Hamas existe. On ne peut l’ignorer. Nous devons conclure un cessez-le-feu avec lui. Pas un simulacre d’offre comme « si vous arrêtez de tirer d’abord, alors nous arrêterons de tirer. » Un cessez-le-feu, comme un tango, nécessite deux participants. Il doit résulter d’un accord détaillé incluant la cessation de toutes les hostilités, armées ou autres, dans tous les territoires. »

« tue une centaine de turcs, puis repose-toi... »

Cette semaine, Je me suis rappelé une vieille légende à propos d’une mère juive faisant ses adieux à son fils, qui a été appelé sous les drapeaux de l’armée du Tsar contre les Turcs.

“Ne t’expose pas trop”, le prévient-elle, “tue un turc, puis repose-toi. Tue en un autre, puis repose-toi encore...”

“Mais Mère, s’exclame-t-il, et si le turc me tue ?”

“Te tuer ? s’écrie-t-elle, et pourquoi ? Que lui as-tu fais ?”

Ca n’est pas une plaisanterie (ce n’est pas une semaine à plaisanter). C’est une leçon de psychologie. Je m’en suis rappelé alors que je lisais la déclaration d’Ehud Olmert déclarant que rien ne l’avait rendu plus furieux que les explosions de joie à Gaza après l’attaque à Jérusalem, dans laquelle huit étudiants d’une yeshiva ont été tués.

Auparavant, la semaine dernière, l’armée israélienne a tué 120 palestiniens dans la bande de Gaza, la moitié étant des civils, parmi lesquels des douzaines d’enfants. Cela n’était pas “tue un turc puis repose-toi”. C’était “tue cent turcs puis repose-toi”. Mais Olmert ne comprend pas.

La Guerre des Cinq Jours à Gaza (ainsi que l’appelle le dirigeant du Hamas) ne fut qu’un autre court chapitre du conflit Israélo-Palestinien. Ce monstre sanglant n’est jamais satisfait, son appétit ne fait que grandir en mangeant.

Ce chapitre a commencé par “l’assassinat ciblé” de cinq responsables du Hamas à l’intérieur de la Bande de Gaza. La “réponse” fut une salve de roquettes, et cette fois non seulement sur Sderot, mais aussi sur Ashkelon et Netivot. La “réponse” à la “réponse” fut l’incursion de l’armée et la tuerie en masse.

Le but proclamé, comme toujours, était de stopper le lancement de roquettes. Le moyen : tuer un maximum de palestiniens, pour leur donner une leçon. La décision était basée sur le concept israélien habituel : frapper la population civile encore et encore, jusqu’à ce qu’elle rejette ses dirigeants. Cela a été tenté des centaines de fois et a échoué des centaines de fois.

Comme si la folie des propagateurs de ce concept n’avait pas été déjà démontrée, l’ex-général Matan Vilnai en a donné la preuve en déclarant à la télévision que “les Palestiniens attirent sur eux une Shoah”. Le mot hébreux Shoah est connu dans le monde entier, et a un sens très clair : l’holocauste mené par les Nazis contre les juifs. L’expression utilisée par Vilnai se propagea comme un feu de paille à travers le monde arabe et déclencha une onde de choc. J’ai moi-même reçu des douzaines d’appels et de message email du monde entier. Comment convaincre les gens que dans l’usage commun, Shoah veut “seulement” dire un grand désastre, et que le General Vilnai, ancien candidat au poste de chef d’état major, n’est pas la personne la plus intelligente ?

Il y a quelques années, le président Bush a appelé à une “Croisade” contre le terrorisme. Il ne savait absolument pas que pour des millions d’arabes, le mot “Croisade” évoque l’un des plus grands crimes de l’histoire de l’humanité, le massacre affreux commis par les premiers croisés contre les musulmans (et les juifs) dans les ruelles de Jérusalem. Dans un concours d’intelligence entre Bush et Vilnai, le résultat, s’il y en avait un, serait incertain.

Vilnai ne comprend pas ce que le mot “Shoah” veut dire pour les autres, et Olmert ne comprend pas pourquoi Gaza se réjouit après les attaques contre la yeshiva de Jérusalem. Des hommes aussi avisés dirigent le pays, le gouvernement et l’armée. Des hommes aussi avisés contrôlent l’opinion publique à travers les médias. Voici ce qu’ils ont tous en commun : le peu de sensibilité aux sentiments de ceux qui ne sont pas juifs/israéliens. De là découle leur incapacité à comprendre la psychologie de l’autre camp, et finalement les conséquences de leurs déclarations et de leurs actions.

Cela montre également leur incapacité à comprendre pourquoi le Hamas clame victoire après la Guerre des Cinq Jours. Pourquoi victoire ? Après tout, seuls deux soldats israéliens et un civil israélien furent tués, comparés aux 120 palestiniens tués, combattants et civils.

Mais cette bataille s’est livrée entre l’une des armées les plus puissantes du monde, équipée des armes les plus modernes, et quelques milliers d’irréguliers avec des armes primitives. Si la bataille se termine sur un match nul, et de telles batailles finissent toujours par un match nul, cela devient une grande victoire pour le camp le plus faible. Ce fut le cas lors de la deuxième guerre du Liban et dans cette guerre de Gaza.

(Benyamin Netanyahou fit cette semaine une des déclarations les plus idiotes, lorsqu’il a demandé que “l’armée israélienne passe de la guerre d’usure à la décision”. Dans un tel conflit, il n’y a jamais de décision.)

L’effet réel d’une telle opération n’est pas décrit par les faits matériels et le quantitatif : tant de morts, tant de blessés, tant de destruction. Il s’exprime à travers des conséquences psychologiques qui ne sont pas mesurables, et restent donc étrangères aux cerveaux des généraux : combien de haine a été ajoutée à la poudrière, combien de kamikazes potentiels, combien de personnes ont juré vengeance et sont devenues des bombes à retardements, comme cette semaine ce jeune de Jérusalem qui se réveilla un matin, se procura une arme, alla à la yeshiva Mercaz Harav, la mère de toutes les colonies, et tua autant qu’il le put.

En ce moment, les dirigeants politiques et militaires se réunissent pour discuter de la marche à suivre et comment “répondre”. Aucune idée nouvelle ne vient, ni ne surgira, car aucun de ces politiciens et généraux ne sont capables d’élaborer une idée nouvelle. Ils peuvent seulement revenir aux centaines de choses qu’ils ont déjà fait, et qui ont échoué des centaines de fois.

Le premier pas pour sortir de cette folie est la capacité de remettre en question tous nos concepts et méthodes de ces 60 dernières années et de tout repenser depuis le début.

C’est toujours difficile. C’est encore plus difficile pour nous, car nos dirigeants n’ont aucune ouverture d’esprit - leur pensée suit de très près la pensée des dirigeants américains.

Cette semaine, un document absolument choquant a été publié : un article de David Rose pour Vanity Fair, qui décrit comment les officiels américains ont dictés ces dernières années chaque pas des dirigeants palestiniens, jusqu’aux détails les plus minutieux. Bien que l’article n’évoque pas les relations Israélo-Palestiniennes (ce qui est en soi une omission surprenante), cela va sans dire que le discours américain, y compris dans les éléments les plus ténus, est coordonné avec le gouvernement israélien.

Pourquoi choquant ? Rien de nouveau, en termes généraux. Dans ce contexte, cet article ne présente aucune surprise :

a) les américains ont ordonné à Mahmoud Abbas de tenir des élections parlementaires, afin de présenter Bush comme le faiseur de démocratie au Moyen-Orient.

b) le Hamas fut la gagnant surprise.

c) Les américains imposèrent un boycott des palestiniens afin rendre nuls les résultats de l’élection.

d) Abbas divergea un moment de la politique qu’on lui dictait et sous les auspices de l’Arabie Saoudite (et la pression) conclut un accord avec le Hamas.

e) les américains mirent fin à cet accord et obligèrent Abbas à confier la direction de tous les services de sécurité à Muhammad Dahlan, qu’ils choisirent pour le rôle de l’homme fort de la Palestine,

f) les américains procurèrent argent et armes en grandes quantités à Dahlan, entraînèrent ses hommes et lui ordonnèrent d’exécuter un coup d’état militaire contre le Hamas dans la bande de Gaza,

g) le gouvernement Hamas élu prévint ce coup et entreprit son propre contre-coup d’état.

Encore une fois, rien de nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que le mélange d’informations, de rumeurs et de suppositions perspicaces s’est condensé dans un rapport référencé et appuyé par des preuves, basé sur des documents américains officiels. Il témoigne de l’ignorance abyssale des américains, qui dépasse même l’ignorance israélienne, des processus internes des palestiniens.

George Bush, Condoleezza Rice, le néocon sioniste Elliott Abrams et une brochette de généraux américains, dénués de toute connaissance, rivalisent avec Ehud Olmert, Tzipi Livni, Ehud Barak et notre propre brochette de généraux, dont la compréhension ne va à peine plus loin que le bout du canon de leur tanks.

En attendant, les américains ont détruit Dahlan en exposant publiquement son rôle d’agent pour eux, avec pour ligne de conduite : “c’est un fils de pute mais c’est notre fils de pute”. Cette semaine Condoleezza porta un coup mortel à Abbas. Il avait annoncé dans la matinée qu’il suspendait les négociations de paix (insignifiantes) avec Israël, c’est-à-dire le minimum qu’il pouvait faire en réponse aux atrocités de Gaza. Rice, qui pris connaissance de l’information alors qu’elle prenait son petit-déjeuner en l’excitante compagnie de Livni, appela immédiatement Abbas et lui ordonna d’annuler son annonce. Abbas capitula et s’exposa ainsi à son peuple dans toute sa faiblesse.

La Logique n’a pas été donnée en partage au peuple d’Israël sur le Mont Sinaï, mais a été offerte depuis le Mont Olympe aux grecques de l’antiquité. Malgré cet inconvénient, essayons de l’appliquer.

Qu’est ce que notre gouvernement tente de faire à Gaza ? Il veut renverser le Hamas (et dans la foulée mettre fin aux tirs de roquettes contre Israël).

Il a tenté de réaliser cela en imposant un blocus total sur la population, espérant qu’elle se rebellerait et renverserait le Hamas. Echec. Une alternative serait de réoccuper toute la Bande. Cela coûterait cher en vie de soldats, peut-être plus que ce que l’opinion publique israélienne n’est prêt à payer. Par ailleurs, cela ne résoudra rien, puisque le Hamas reviendra lorsque les troupes israéliennes se retireront. (Appliquant ainsi la première règle énoncée par Mao Zedong pour les guérillas : “quand l’ennemi avance, retirez-vous. Quand l’ennemi se retire, avancez.”

Le seul résultat de la Guerre des Cinq Jours est le renforcement du Hamas et le ralliement du peuple palestinien derrière lui, pas seulement dans la bande de Gaza, mais dans toute la Cisjordanie et à Jérusalem. La célébration de leur victoire était justifiée. Le lancement des roquettes ne s’arrêtera pas. Leur portée augmente.

Mais supposons que cette politique avait réussi et que le Hamas avait été brisé. Ensuite ? Abbas et Dahlan ne pourraient que se soumettre aux tanks israéliens, comme sous-traitant de l’occupation. Aucune compagnie d’assurance ne voudrait les assurer sur la vie. Et si ils ne se soumettaient pas, ce serait le chaos, duquel des forces extrémistes émergeraient, telles que l’on ne peut même pas l’imaginer.

Conclusion, le Hamas est là. Il ne peut pas être ignoré. Nous devons conclure un cessez-le-feu avec lui. Pas une offre honteuse de “si vous cessez de tirer d’abord, nous cesserons de tirer”. Un cessez-le-feu, comme un tango, nécessite deux participants. Il doit provenir d’un accord détaillé qui inclut la cessation de toute hostilité, armée ou autre, dans tous les territoires.

Le cessez-le-feu ne tiendra pas si il n’est pas accompagné par des négociations accélérées pour un armistice à long terme (hudna) et la paix. De telles négociations ne peuvent pas être tenues avec le Fatah sans le Hamas, ou avec le Hamas sans le Fatah. Ainsi, nous avons besoin d’un gouvernement palestinien qui inclut ces deux mouvements. Il doit comprendre des personnalités qui parlent à tout le peuple palestinien, tel que Marwan Barghouti.

C’est l’exact opposé de la politique israélo américaine actuelle, qui interdit à Abbas ne serait-ce que de parler avec le Hamas. Chez tous les dirigeants israéliens, comme chez tous les dirigeants américains, il n’y a personne pour oser le proposer ouvertement. Ainsi, ce qui a été, sera.

Nous tuerons une centaine de turcs et nous reposerons. Et de temps en temps, un turc viendra et tuera quelques uns d’entre nous.

Mais pourquoi, enfin ? Qu’est ce que nous leur avons fait ?

Sources Contre Info

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Sarkozy-Israel

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