Jacques Chirac : La dernière bataille

Publié le par Adriana EVANGELIZT

La dernière bataille
 
par Sylvain Besson

Jacques Chirac, candidat à sa propre succession? Le président français entretient le mystère... Sa fringale de pouvoir ne l'a jamais lâché. Un documentaire télévisé annonce que l'heure du bilan approche.

Depuis la fin de l'été, une étonnante rumeur circule dans les rédactions et les cercles dirigeants français. Elle s'est propagée après un Conseil des ministres qui s'est tenu à la rentrée, dans l'un des grands salons du Palais de l'Elysée. Jacques Chirac, particulièrement solennel, y a souligné la gravité de la crise nucléaire entre l'Iran et les Occidentaux. Certains initiés n'ont pas tardé à décoder le message: si la situation internationale dégénère, le président n'hésitera pas à briguer un troisième mandat.

Jacques Chirac, candidat à sa propre succession? La question a de quoi faire sourire. Le chef de l'Etat aura 74 ans en novembre. Il accumule les déconvenues depuis le rejet du traité constitutionnel européen, en mai 2005. Surtout, très peu de Français souhaitent son maintien au pouvoir: selon un sondage publié le 15 octobre, seuls 2% des électeurs veulent qu'il représente la droite à l'élection présidentielle de 2007.

Pourtant, ceux qui le connaissent ont peine à croire que cet animal politique infatigable prendra tranquillement sa retraite au printemps prochain. «J'ai l'intuition qu'il sera lui-même candidat, tout en poussant les autres à se battre entre eux pour lui succéder», confie Jean-François Probst, ancien conseiller de Jacques Chirac et auteur d'un livre* sur le président.

«Je pense qu'il a peur de mourir s'il arrête la politique. Ce qui le fait courir, c'est l'idée de tenir trois ans de plus que François Mitterrand [président entre 1981 et 1995, ndlr].» Et puis, ajoute Jean-François Probst, il y a cette «fringale» du pouvoir qui ne l'a jamais lâché: «S'interroger sur ce qui motive Chirac, c'est comme se demander pourquoi un coureur de jupons a envie de coucher avec des femmes.» C'est viscéral, voilà tout.

Reste que personne ne sait vraiment ce qui se passe dans la tête du président. Lui-même dit qu'il annoncera sa décision de se représenter ou pas durant le premier trimestre de l'année prochaine. Ses intentions restent une énigme, même pour ses plus proches collaborateurs. Sa politique de communication ajoute au mystère: entre ses discours officiels sur des thèmes politiques ou historiques, Jacques Chirac parle très peu. Son entourage, retranché dans le secret du palais présidentiel, observe un silence presque absolu.

Mais en coulisses, le chef de l'Etat s'active. Depuis quelques jours, ses fidèles élèvent la voix contre Nicolas Sarkozy, le rival honni qui s'est emparé du parti présidentiel, l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, a dénoncé le «dénigrement continu» et les «attaques incessantes» du ministre de l'Intérieur contre Jacques Chirac. Le premier ministre, Dominique de Villepin, se voit à nouveau en recours potentiel de la droite, tout comme la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie.

De fait, grâce au relatif rétablissement de l'économie et du moral des Français, la cote de confiance du président et de son premier ministre, qui avait touché le fond au printemps dernier, a regagné 20 points. «A six mois de la présidentielle, l'un et l'autre disposent [...] d'une capacité de soutien ou de nuisance non négligeable, qu'ils peuvent user à la faveur ou à l'encontre de Nicolas Sarkozy», commentait récemment l'institut de sondage LH2. Or la haine du «nain», comme les chiraquiens appellent le ministre de l'Intérieur, est peut-être la dernière grande passion du président.

L'inimitié entre ce dernier et Nicolas Sarkozy apparaît clairement dans le film, sobrement intitulé Chirac, que France 2 va diffuser ces lundi et mardi**. C'est la première fois qu'une chaîne de télévision française fait le portrait d'un chef de l'Etat en exercice. Par sa seule existence, ce documentaire de trois heures trente divisé en deux parties - «Le jeune loup» et «Le vieux lion» - signale que l'heure du bilan a sonné pour Jacques Chirac.

Sur ce sujet, précisément, Nicolas Sarkozy est impitoyable. Dans une interview réalisée pour l'émission, il réduit les succès du président à trois mesures seulement: l'abolition du service militaire obligatoire et l'arrêt des essais nucléaires, en 1996, ainsi que la réforme des retraites de 2003, qui alignait la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du secteur privé.

C'est peut-être pour atténuer le jugement sévère de ses contemporains que Jacques Chirac multiplie les interventions dans les domaines les plus divers. Il vient de rendre justice aux anciens combattants des colonies en augmentant leurs pensions. Il a promis l'instauration de consultations obligatoires des syndicats avant toute réforme du droit du travail. Il veut accélérer la réduction de la dette publique tout en se vantant d'avoir fait baisser les impôts. «Aujourd'hui, il travaille pour l'Histoire, et pour ne pas terminer en guenilles», commente Patrick Rotman, qui a réalisé le documentaire de France 2. Une attitude typique, paraît-il, des présidents en fin de règne.

L'activisme de dernière minute dont fait preuve Jacques Chirac est peut-être superflu. Car si l'on considère l'ensemble de sa carrière, le résultat de son action politique est loin d'être négligeable. Le documentaire de France 2 le montre bien: depuis plus de quarante ans, ses décisions ont puissamment influencé l'histoire de la France contemporaine.

Dans les années 1950, Jacques Chirac n'est qu'un jeune homme hyperactif, surnommé «l'hélicoptère» par ses amis étudiants et «enfant de miel» (honey child) par l'une de ses conquêtes américaines. Dès 1962, après un passage à l'Ecole nationale d'administration, il découvre avec délice les cabinets ministériels parisiens et les campagnes électorales dans la France profonde. A Matignon, résidence du premier ministre, il s'occupe de questions de transports, de construction et d'infrastructures - des dossiers cruciaux, parce qu'ils permettent de distribuer généreusement les subventions.

Cela tombe bien: la Corrèze, sa terre d'origine, est une région rurale où l'on manque d'eau courante, d'électricité et de chemins vicinaux. Mais si Jacques Chirac s'y fait élire, c'est aussi grâce à une proximité non feinte avec les gens du cru. Il adresse des saluts sonores aux vieux paysans («comment qu'il va le M'sieur Couderc, ça se maintient?») et finit par se faire surnommer «serre-la-louche».

Les images en noir et blanc donnent une idée de l'époque qui a formé Jacques Chirac: la France des Citroën DS et des costumes à gilets, dominée par le pouvoir rigide du général de Gaulle et l'idéologie communiste. Dans ce pays en plein essor mais encore archaïque, le jeune politicien incarne une certaine idée du progrès, planifié et étatique. Il défend la construction du Concorde et du Centre Pompidou. Il crée l'Agence nationale pour l'emploi, aujourd'hui vertement critiquée pour ses défaillances dans la prise en charge des chômeurs. Il transforme l'agriculture en machine productiviste, gourmande en produits chimiques et en fonds publics.

Ses choix politiques, faits d'alliances et de trahisons, ont été déterminants: il a fait élire Valéry Giscard d'Estaing à la présidentielle de 1974, puis François Mitterrand à celle de 1981. C'est grâce à son soutien que la France a adopté l'euro par référendum, en 1992. S'il affirme sans cesse que la France actuelle ne va pas si mal, c'est qu'il en est, pour le meilleur et pour le pire, l'un des fondateurs.

Malgré sa santé, sa capacité de travail et sa baraka légendaires, il a toujours manqué quelque chose à Jacques Chirac. «Une grande idée», écrivait son plus cruel biographe, Franz-Olivier Giesbert, en 1987. «Jacques n'a pas à l'évidence de vision du monde un peu ferme», déplore son camarade d'études Michel Rocard dans le documentaire de France 2. L'actuel président a défendu le gaullisme le plus conservateur, puis le «travaillisme à la française», avant de s'inspirer de Ronald Reagan ou du «modèle japonais».

«Il est comme une éponge, il s'empare de l'air du temps, commente Patrick Rotman. Mais j'ai l'impression que désormais, en fin de mandat, il exprime vraiment ce qu'il est.» A savoir: un étatiste opposé au libéralisme anglo-saxon; un ami du tiers-monde (et de certains dictateurs) qui déteste l'arrogance occidentale et le racisme; un Français pur fruit qui veut préserver la laïcité, l'Etat républicain et le «modèle social». Autant de convictions affermies sur le tard, qui le poussent à combattre un Nicolas Sarkozy jugé trop libéral, atlantiste et communautariste pour être son héritier. Cette citation d'une de ses vieilles connaissances, Olivier Stirn, sonne comme un avertissement: «Chirac n'est jamais aussi bon que quand il fait campagne contre la droite.»

*Jean-François Probst, «Chirac et dépendances», réédition en format poche, Paris, Ramsay, 2006.

**Le documentaire réalisé par Patrick Rotman, «Chirac», est diffusé en deux épisodes ces lundi 23 et mardi 24 octobre sur France 2, à 20h50.

-----------------

Un vrai marathonien du pouvoir

par Sylvain Besson


29 novembre 1932 Naissance de Jacques Chirac à Paris. Il est le fils unique d'un banquier qui travaille pour les magnats de l'aéronautique Potez et Dassault.

1949 Devient «pilotin» (assistant du capitaine) sur un cargo.

1956 Il épouse Bernadette Chodron de Courcel, nièce d'un gaulliste historique, puis participe à la guerre d'Algérie.

1959 Sort de l'ENA et devient haut fonctionnaire.

1968 Contribue à apaiser les émeutes de mai en négociant des accords sociaux.

1974 Devient premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing. Il démissionne deux ans plus tard.

1977 Devient maire de Paris. Il le restera jusqu'en 1995.

1981 Echoue au premier tour de l'élection présidentielle, puis contribue à la défaite du président sortant face à François Mitterrand.

1988 Il est battu au second tour de la présidentielle par François Mitterrand.

1995 Il est élu président face à Lionel Jospin.

2002 Réélu avec 82% des voix face à Jean-Marie Le Pen.

----------------------

Les forces et les faiblesses du président


par Sylvain Besson


Points forts

• Sympathie instinctive, contact facile avec les gens.

• Tacticien hors pair, spécialiste des manœuvres politiques.

• L'adversité le stimule.

Points faibles

• Incarne une classe dirigeante dépassée.

• Rendu responsable de l'état de la France (déclin, blocages).

• A subi un accident vasculaire cérébral l'an dernier

Sources : LE TEMPS

Posté par Adriana Evangelizt




Publié dans JACQUES CHIRAC

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
D'accord avec  toi. D'ailleurs, il y en a de plus en plus qui ouvrent les yeux. Qui voient quand même la différence. Enfin, oserais-je ajouter.
Répondre
V
voila pourquoi on peut être militant ump et anti sarkozyste :<br /> «Il est comme une éponge, il s'empare de l'air du temps, commente Patrick Rotman. Mais j'ai l'impression que désormais, en fin de mandat, il exprime vraiment ce qu'il est.» A savoir: un étatiste opposé au libéralisme anglo-saxon; un ami du tiers-monde (et de certains dictateurs) qui déteste l'arrogance occidentale et le racisme; un Français pur fruit qui veut préserver la laïcité, l'Etat républicain et le «modèle social». Autant de convictions affermies sur le tard, qui le poussent à combattre un Nicolas Sarkozy jugé trop libéral, atlantiste et communautariste pour être son héritier. Cette citation d'une de ses vieilles connaissances, Olivier Stirn, sonne comme un avertissement: «Chirac n'est jamais aussi bon que quand il fait campagne contre la droite.»
Répondre