Des batailles sérieuses pour des motifs peu sérieux

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Des batailles sérieuses pour des motifs peu sérieux

Par Alexandre Khramtchikhine,

chef du service analytique à l'Institut d'analyse militaire et politique (Russie),

 pour RIA Novosti

La situation actuelle autour du déploiement du système (américain) de défense antimissile (ABM) en Europe et la menace de la Russie de suspendre sa participation au Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) ne sont qu'une conséquence des ambitions et du refus réciproque des parties de se comprendre. Ces ambitions et ce refus sont manifestés tant par l'Occident que par la Russie. Il peut en résulter une aggravation des relations "pour rien", aggravation dont ni l'Occident ni la Russie n'ont besoin.

Or, la Russie a des raisons rationnelles d'être mécontente face au déploiement éventuel du bouclier antimissile américain en Europe, ainsi que face à la situation autour du Traité FCE. En effet, pratiquement tous les spécialistes militaires en Russie se rendent compte que l'ABM des Etats-Unis dans son état actuel ne représente par ses capacités techniques aucune menace pour les forces nucléaires stratégiques de la Russie. Quoi qu'il en soit, les analystes russes n'arrivent pas à comprendre le choix de la région pour le déploiement d'éléments du bouclier antimissile américain. La Pologne pour les missiles intercepteurs et la République tchèque pour le radar. Il est difficile, voire impossible, de s'imaginer que les militaires américains croient sérieusement que, tout d'abord, l'Iran soit capable de créer des missiles balistiques intercontinentaux et qu'ensuite, de tels missiles puissent être tirés contre les Etats-Unis. Ces deux hypothèses ne relèvent pas de l'analyse militaire ou politique, mais du domaine de la psychiatrie. Aussi, l'idée vient-elle automatiquement à Moscou que le futur ABM (américain en Europe) n'est pas dirigé contre l'Iran, mais contre la Russie. Qui plus est, la version commence à prédominer selon laquelle ce ne seront pas des missiles intercepteurs GBI (Ground-Based Interceptor) qui seront installés dans des silos sur le territoire de la Pologne, mais des missiles à moyenne portée avec un temps de vol très court pour atteindre les cibles dans la partie européenne de la Russie.

Par ailleurs, signé en 1987, le Traité sur l'élimination des missiles à courte et moyenne portée (Traité INF) interdit seulement à la Russie et aux Etats-Unis d'avoir des missiles d'une portée de 500 à 5.500 km. Pour ce qui est des Etats-Unis, cela n'a pas tellement d'importance car ils n'ont pas d'adversaires potentiels dans l'hémisphère occidental. Pour la Russie, la situation est tout à fait différente. De nombreux pays situés à proximité de ses frontières possèdent d'ores et déjà ou mettent au point des missiles à courte et moyenne portée, qu'il s'agisse d'Israël, de l'Iran, de l'Arabie Saoudite, du Pakistan, de l'Inde, de la Chine ou de la Corée du Nord. De tous ces pays, seules l'Inde et la Corée du Nord passent difficilement pour des adversaires potentiels de la Russie.

Par conséquent, la Russie pourrait céder à la tentation de se retirer du Traité INF. En effet, des missiles russes à courte et moyenne portée, déployés dans l'Oural et en Sibérie, pourront atteindre pratiquement n'importe quel point en Eurasie, en neutralisant ainsi tant le bouclier antimissile américain en Europe de l'Est que les arsenaux balistiques des Etats asiatiques susmentionnés et ce, sans utiliser les missiles balistiques intercontinentaux à la fois plus précieux et plus coûteux.

Quant au Traité sur les forces conventionnelles en Europe, ce document signé dans des conditions géopolitiques parfaitement différentes a déjà perdu pour beaucoup sa raison d'être. Le mécontentement de Moscou face à la situation actuelle s'explique par plusieurs facteurs, et tout d'abord par l'existence d'une "zone grise" constituée des Etats baltes (la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie ne font pas partie du Traité FCE et peuvent théoriquement avoir leurs propres forces armées avec des effectifs illimités et accueillir sur leurs territoires nationaux n'importe quels contingents militaires étrangers). On ne doit pas, non plus, oublier la situation en matière de limitations de flanc, à savoir que la Russie ne peut pas déployer librement ses propres forces armées sur son propre territoire national, et ensuite que les forces armées de la Bulgarie et de la Roumanie sont toujours classées parmi les forces de "pays membres de l'Organisation du Traité de Varsovie", alors que ces Etats font déjà depuis longtemps partie de l'Alliance de l'Atlantique Nord. En outre, Moscou ne peut plus accepter le fait que les pays de l'OTAN ne ratifient pas le "FCE adapté" alors que la Russie a retiré pratiquement toutes ses troupes de Géorgie et qu'elle ne maintient en Moldavie qu'un contingent peu important sans matériel lourd chargé de garder les immenses stocks d'armements de l'ancienne armée soviétique. Dans ce cas précis, les troupes russes protègent, apparemment, l'Europe contre une dissémination incontrôlable d'immenses quantités d'armes et d'explosif depuis ces entrepôts (en Moldavie).

Force est de reconnaître que les reproches de la Russie concernant le Traité FCE sont justifiés. Ces griefs revêtent un caractère purement théorique, car, en réalité, ni la Russie ni aucun pays de l'OTAN ne choisissent leurs quotas, même dans une seule des cinq classes de matériel, que ce soit dans le cadre de l'"ancien" Traité FCE, signé en 1990, ou du "FCE adapté". Les forces armées des Etats baltes et de la Slovénie, Etats qui ne font toujours pas partie du Traité sur les forces conventionnelles en Europe, sont en fait purement symboliques, vu leurs effectifs, et il n'y a sur leur territoire aucun contingent étranger (sauf quatre chasseurs qui se relaient tous les six mois sur l'aérodrome de Zokniai en Lituanie). L'OTAN n'a pas de triple supériorité sur la Russie, même dans une seule des cinq classes de matériel, limitées par le FCE. Néanmoins, sur le plan économique (selon le chiffre absolu du produit intérieur brut (PIB)), l'Alliance de l'Atlantique Nord est presque trente fois supérieure à la Russie.

Par conséquent, la rupture du traité ne profiterait guère à la Russie, car cela donnerait tout simplement à l'OTAN une possibilité théorique de transformer sa supériorité économique en supériorité militaire. Il reste à savoir si les pays européens de l'OTAN voudront s'engager dans une nouvelle course aux armements. Par ailleurs, si une telle course est engagée, il va sans dire que la Russie se retirera immédiatement du Traité sur l'élimination des missiles à courte et moyenne portée pour compenser son retard dans le domaine des armements conventionnels. A signaler que la reprise de la fabrication des missiles de moyenne portée Pioner ne posera pas de gros problèmes à la Russie, car ils sont similaires aux missiles balistiques intercontinentaux Topol produits à l'heure actuelle, à cette différence près que les Pioner n'ont que deux étages au lieu des trois des Topol.

Sources Ria Novosti

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Sarkozy - Russie

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